Intervention de Pascale Crozon

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Autonomie des femmes étrangères — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Crozon :

Madame la rapporteure, votre proposition de loi pour tendre à l’autonomie des femmes étrangères soulève une question très lourde, que j’ai moi-même évoquée à plusieurs reprises à cette tribune. J’en ai beaucoup discuté à l’occasion de l’examen du rapport d’information que j’ai déposé en février 2016 relatif à la protection et l’accompagnement des femmes victimes de violences. Je suis donc ravie de pouvoir parler de ces sujets, et d’accepter certains articles de ce texte.

Je voudrais vous parler de l’histoire des femmes que j’ai rencontrées au cours de ma vie de parlementaire. C’est l’histoire d’une jeune femme algérienne, contrainte par sa belle-famille française d’abandonner ses études, désocialisée, privée de ses papiers et de tout moyen de paiement, et réduite à la condition d’esclave domestique. C’est l’histoire de cette jeune guinéenne contrainte par son époux français de se livrer à la pornographie et de se prostituer. C’est aussi l’histoire de cette jeune pakistanaise abandonnée à l’étranger, sans passeport ni billet de retour, par un mari français qui venait d’apprendre son infertilité.

Toutes ces femmes que j’ai reçues dans ma permanence, et tant d’autres au sujet desquelles j’ai appelé l’attention du Gouvernement et de la préfecture, avaient reçu un ordre de quitter le territoire. C’est que l’on nomme – vous l’avez très bien dit, madame la rapporteure – la double peine administrative : toutes ces femmes doivent lutter non seulement pour se défaire de l’humiliation, de l’emprise et parfois même des coups d’un mari violent, mais aussi pour se maintenir sur le sol français, ne serait-ce que pour y faire valoir leurs droits.

Bien sûr, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile interdit, par principe, le retrait du titre de séjour en cas de violences, mais le conditionnement du droit au séjour à la poursuite de la vie commune, et l’incertitude quant à l’appréciation, par l’administration, de ces situations de violence, constituent toujours les moteurs du chantage exercé sur ces femmes étrangères.

Il s’agit bien d’un chantage, en effet : l’inégalité entre les époux au regard de leur droit au séjour nourrit et aggrave les rapports de domination que l’on constate d’ores et déjà dans les situations d’emprise conjugale. C’est la menace du retrait des papiers, du retour au pays, de la honte jetée sur la famille ; la crainte de ne pas retrouver de mari dans certaines cultures qui n’admettent pas le divorce aussi sereinement que la nôtre. Ces menaces sont mises à exécution lorsque la rupture de la vie commune est dénoncée aux autorités par le conjoint violent lui-même. J’ai même connu des cas où le conjoint avait mis son épouse à la rue, changé les serrures de leur appartement, et dénoncé son départ au préfet.

Dans un pays où seulement 16 % des victimes de violences conjugales portent plainte, nous devons avoir conscience que sortir du silence est une démarche encore plus difficile pour une étrangère. C’est pourquoi nous avons choisi, en 2010, de lier la compétence du préfet lorsqu’une victime est couverte par une ordonnance de protection. Mais comme je le rappelais en février dernier dans mon rapport fait au nom de la délégation aux droits des femmes, les 2 500 ordonnances prononcées l’an dernier sont encore bien loin de répondre à l’ampleur des violences conjugales et familiales dans notre pays.

Nous avons tous connaissance d’exemples concrets dans nos circonscriptions, qui nous sont rapportés dans nos permanences : cela montre que ces dispositions restent très insuffisantes. Je vous remercie donc, madame la rapporteure, d’ouvrir le débat sur un certain nombre d’enjeux, que vous soulevez avec pertinence.

Le premier enjeu est, bien évidemment, la sécurisation des parcours d’intégration. Il faut assurer l’autonomie des femmes dont l’intégration ne doit pas être appréciée selon le bon vouloir de leur conjoint. Nous ne pouvons pas accepter que chaque renouvellement de titre de séjour soit l’occasion d’un chantage.

La délivrance de titres pluriannuels que nous avons votée il y a à peine trois mois était en la matière un engagement fort, et je crois qu’elle répond en partie à cette nécessité de desserrer l’étau. La commission a fait preuve de sagesse en ne modifiant pas ces dispositions récentes qu’il appartiendra à nos successeurs d’évaluer. Je partage également avec vous la conviction que les accords bilatéraux, initialement négociés pour accorder des dispositions plus favorables aux ressortissants de pays avec lesquels nous avons une histoire commune, n’ont pas suivi l’évolution du droit commun en matière de protection des personnes. Je regrette comme vous que la réponse ne soit pas en la matière de nature législative, espérant que l’évolution des consciences, à l’heure où l’Algérie adopte à son tour une législation sur les violences conjugales, permettra au Gouvernement de prendre des initiatives pour consolider ces acquis.

La commission des lois a choisi de concentrer ses efforts sur ce que je considère être le coeur de votre proposition : l’accès au droit. Le groupe socialiste soutient votre volonté d’améliorer et de clarifier la rédaction des dispositions proposées pour lever les dernières réticences, et j’espère vraiment que nous pourrons, lors de leur examen, aboutir à une solution satisfaisante.

Certes, je comprends, madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d’État, la crainte d’un détournement de ces dispositions pour se maintenir indûment sur le territoire. J’avais d’ailleurs moi-même accepté de retirer, lors du débat sur le texte de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, un amendement partageant vos ambitions en contrepartie de la possibilité d’en reprendre ultérieurement les objectifs par voie de circulaire. Mais je puis vous assurer que permettre à un plaignant étranger de faire valoir ses droits devant la justice, même s’il est en définitive débouté, constitue une atteinte à l’ordre public bien moins grave que de renoncer à poursuivre et à condamner les auteurs de violences conjugales car cela porte gravement atteinte à l’ordre public ; ce que je considère comme du laxisme face à de telles situations, c’est l’impunité.

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