Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a choisi de profiter de sa niche traditionnelle pour débattre d’un droit fondamental de notre République : la protection des droits des femmes, plus particulièrement la protection des droits des femmes étrangères amenées à émigrer sur notre territoire français, ainsi que l’indique le titre de la proposition de loi.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, et je le regrette, le fait d’aborder cette problématique n’est pas en France une évidence. En effet, traditionnellement, nos textes législatifs et réglementaires relatifs à l’entrée et au séjour des personnes étrangères en France n’établissent pas de distinction entre les hommes et les femmes.
Je ne suis pas sûr du tout cependant qu’il faille sexualiser – je n’aime pas ce terme, mais n’en ai pas trouvé de meilleur – le droit. Malgré tout, cette proposition de loi permet de nous poser utilement la question de savoir s’il est pertinent ou non d’établir des droits spécifiques aux femmes qui entrent dans notre pays car, parfois, les réalités sociales, économiques, familiales, culturelles, les représentations ont leurs spécificités à cet égard. Je remercie la rapporteure, Mme Buffet, de nous conduire aujourd’hui à cette réflexion et à nous interroger sur l’interaction entre les textes et les réalités matérielles et idéologiques.
Mais venons-en au contenu de la proposition de loi.
La proposition initiale comportait sept articles : quatre d’entre eux ont été supprimés en commission par des amendements de députés du groupe socialiste, amendements qui pointaient des incohérences juridiques dans la rédaction desdits articles. Ainsi, l’article 2 avait pour objet de faire valoir la supériorité des dispositions françaises en matière de séjour des étrangers et du droit d’asile sur les accords bilatéraux négociés alors que cette mesure aurait été manifestement contraire à l’article 55 de notre Constitution, lequel prévoit la supériorité des traités internationaux sur le droit national. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la suppression de l’article 2 qui aurait été déclaré inconstitutionnel. Il ne reste aujourd’hui dans le texte qui nous est proposé que les articles 4, 5 et 6.
L’article 4 vise à combler une lacune du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en matière de protection des victimes de violences dans le cercle familial. En effet, l’article L 431-2 du même code prévoit que le titre de séjour remis régulièrement au conjoint d’un étranger au motif du regroupement familial peut, en cas de rupture de la vie commune, faire l’objet pendant trois ans d’un retrait ou d’un refus de renouvellement, à moins que la rupture ne résulte que de violences conjugales ou d’un décès. Au passage, je souhaite rappeler que ce dispositif date de la loi dite « Sarkozy » du 26 novembre 2003, complétée par la même majorité en 2006, et que les initiatives en la matière ne sont pas l’apanage d’un seul camp, mais qu’elles sont transpartisanes. Le groupe Les Républicains reconnaît cependant la nécessité d’apporter des améliorations au dispositif actuel.
En effet, les violences ne sont pas forcément infligées par le conjoint ; elles peuvent aussi être commises au sein de la fratrie. Il convient donc, comme le prévoit déjà par ailleurs le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de privilégier la notion de « violences conjugales ou familiales ». En conséquence, nous sommes tout à fait favorables à cet article 4 que nous le voterons sans réserve.
L’article 5 automatise la délivrance d’un titre de séjour en cas de condamnation définitive d’un conjoint, ou ex-conjoint, pour une infraction pénale, même s’il s’agit d’une contravention. L’article L. 316-4 du CESEDA prévoit, depuis la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes – je salue le travail réalisé alors par le rappoteur Guy Geoffroy – qu’une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte contre son conjoint, son concubin ou son partenaire de pacte civil de solidarité lorsque celui-ci est définitivement condamné. La rupture de la vie commune ne peut constituer un motif pour refuser la délivrance de la carte.
Le droit actuel réserve en conséquence à l’autorité administrative une compétence discrétionnaire dans de telles situations, tandis que l’article 5 de la proposition de loi prévoit une compétence liée du préfet et la délivrance automatique de la carte de résident. Or, l’obtention d’un titre de séjour au bénéfice d’une personne dont le conjoint serait condamné à une simple contravention n’est pas, sauf mauvaise compréhension de ma part – auquel cas vous ne manquerez pas de me corriger – exclue par le dispositif. Vous avez évoqué en commission, madame la rapporteure, l’article 222-13 du code pénal qui prévoit la qualification en délit ou crime de toutes violences commises sur conjoint, ascendant ou descendant, mais il ne tient compte que des violences volontaires, et non des autres infractions pénales qui entrent dans la catégorie des contraventions, en l’occurrence les violences involontaires. Ainsi, une condamnation définitive pour atteinte involontaire à l’intégrité physique n’ayant entraîné aucune interruption temporaire de travail, une imprudence ayant causant un dommage, serait susceptible d’entrer dans le champ de cet article. Si l’on ajoute à cela que le préfet perdrait tout pouvoir d’apprécier la situation et d’apporter une réponse au cas par cas, vous comprendrez que nous restions très sceptiques devant le dispositif proposé.
L’article 6 prévoit un mécanisme général de délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à tout étranger présumé victime de violences dès lors que des procédures civiles ou judiciaires sont en cours et que celui-ci ne constitue pas une menace à l’ordre public. Bien que cet article ait été amendé en commission pour limiter les infractions permettant cette obtention à celles prévues aux articles 222-9 et 222-11 du code pénal qui définissent des violences volontaires dites « graves », je souligne, là aussi, que l’administration n’aura aucun pouvoir d’appréciation en dehors de la menace à l’ordre public. J’ajoute que, contrairement à l’article 5, l’article 6 ne prévoit pas la condamnation définitive de l’auteur, mais qu’il évoque simplement des procédures en cours. Cette rédaction n’apporte pas de garanties suffisantes et permettrait même, dans certains cas, des dévoiements préjudiciables au système d’attribution des titres de séjour temporaires. Nous ne pouvons en conséquence pas soutenir cet article.
Nous avons donc aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi qui initialement contenait sept articles ; quatre d’entre eux ont été supprimés en commission des lois. Nous sommes favorables à l’article 4 qui privilégie la notion de « violences conjugales ou familiales » sur les seules violences conjugales prévues actuellement par le CESEDA. Mais nous ne pouvons pas approuver l’article 5 qui automatise la délivrance d’un titre de séjour en cas de condamnation définitive d’un conjoint ou ex-conjoint pour une infraction pénale, même s’il ne s’agit que d’une contravention. Et nous sommes également opposés à l’article 6 qui prévoit un droit au titre de séjour pour l’étranger victime de violences si une procédure civile ou pénale est en cours, même si cet article a été amendé par la commission.
Cette opposition à la quasi-totalité des articles nous conduira donc à voter contre cette proposition de loi. Cela ne nous empêche pas pour autant de souhaiter que des instructions précises soient à nouveau données aux préfets, d’une part, pour que les pièces exigées par les préfectures pour apprécier la réalité des violences ne diffèrent pas considérablement d’une préfecture à l’autre et, d’autre part, pour que certaines préfectures cessent de subordonner l’octroi ou le renouvellement des cartes de séjour à des conditions particulières qui ne sont pas explicitement prévues par les textes, par exemple la production systématique d’une ordonnance de protection.