Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, contrairement à ce que vous pourriez croire, je n’ai pas abordé ce texte avec une quelconque prévention. Comme avocat, j’ai eu l’occasion de rencontrer des femmes qui, effectivement, étaient victimes du chantage à la carte de séjour. Cela peut vous étonner que je le dise, mais c’est vrai.
Mais, l’honnêteté m’oblige à le dire, j’ai aussi rencontré des hommes qui étaient victimes d’un chantage judiciaire. Or ce texte, qui est inspiré par de bonnes intentions et qui s’inscrit dans une certaine réalité, me paraît tout à fait insuffisant. Mon expérience des prétoires m’amène en effet à craindre qu’il ne fasse proliférer des chantages contraires. Pour obtenir la carte de séjour ou sa prorogation, on pourra monter des coups, organiser des situations qui donneront l’impression que l’on est la victime, alors qu’on ne l’est pas !
Ce texte n’envisage pas assez la fraude qu’il peut – certes involontairement – engendrer. On risque de voir proliférer des montages, des organisations, afin d’utiliser le texte pour obtenir ce que l’on veut. Comprenez-moi bien : pas plus que vous, je n’ai envie de laisser la femme étrangère abandonnée. Mais en même temps, le vieux routier des procédures que je suis – Alain Touret me comprendra peut-être – sait que l’homme et la femme, parfois, vivent bassement, et que la loi peut être détournée, utilisée, manipulée.
Vous n’y avez pas pris garde, madame la rapporteure, car vous êtes la belle âme des belles âmes – je vous le concède volontiers. Vous êtes de ces gens qui ont la chance de vivre en apesanteur ; ce n’est pas donné à tout le monde. Je dis les choses comme elles sont ! Il y a les soutiers de la vie, ceux qui sont dans le réel et savent que – hélas ! – la nature humaine n’est pas toujours très belle.
Ce texte, que je ne condamne pas fondamentalement, représente un grave danger dans la mesure où il permettra toutes les spéculations et montages imaginables. Vous ne pensez même pas à cela. Où sont les dispositions qui réprimeraient les abus de l’usage de ce texte ? Il n’y en a pas !
Alain Touret a raison : ce problème ne peut être réglé que dans le cadre juridique des conventions internationales. Malheureusement, vous passez à côté. Donnez-nous des garanties, posez-vous la question de l’usage abusif que l’on pourra faire de ce texte et pensez aussi aux hommes, car il n’y a pas que les femmes qui soient victimes de violences ! Ayez une vue générale, pesez le pour et le contre, et prenez en considération l’intérêt général, au-delà des cas individuels, anecdotiquement dramatiques !
Une fois qu’un texte existe, il est exploité, détourné, utilisé. D’un secours, on peut en faire une arme ! Malheureusement, et c’est le principal reproche que je vous fais, vous n’avez pris aucune mesure pour éviter le commerce judiciaire qui permettrait à des étrangers voulant abuser de la loi de mettre en place des systèmes de captation et de fraude. Une fois de plus, les garanties n’y sont pas !