Intervention de Philippe Nauche

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Nauche :

Notre collègue Jean-Jacques Candelier, du groupe GDR, présente aujourd’hui une proposition de loi visant à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918, rappelant, en ces années de célébration du centenaire du premier conflit mondial, une période tragique de notre histoire.

Il me semble nécessaire et indispensable de rappeler rapidement les dernières évolutions sur la question, même si les orateurs précédents l’ont en partie fait. En novembre 1998, soit quatre-vingts ans après la fin du premier conflit mondial, un tournant mémoriel s’est opéré sur le champ politique. Lionel Jospin, alors Premier ministre, rendait hommage aux mutins de Craonne sur le Chemin des Dames de 1917, qui, je le cite, « épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être sacrifiés ». Il avait souhaité que ces soldats, fusillés pour l’exemple au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale.

Dix ans plus tard, le président Nicolas Sarkozy disait : « quatre-vingt-dix ans après la fin de la guerre, je veux dire au nom de notre nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches mais que simplement ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ».

Le 1er octobre 2013, poursuivant ce travail, l’historien Antoine Prost remettait le rapport qui lui avait été commandé. La principale conclusion de ce travail était que, dans le cadre du centenaire de la Première guerre mondiale, il était important de réintégrer les fusillés pour l’exemple dans la mémoire collective.

Plus récemment, en 2014, Kader Arif, alors ministre délégué chargé des anciens combattants, avait décidé de faire un premier pas symbolique en décernant, à l’occasion de la commémoration du 11 novembre, la mention « Mort pour la France » au sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant. Je rappelle que cette mention oblige l’inscription du nom sur le monument aux morts.

Enfin, le Président de la République, François Hollande, a décidé d’accorder à l’histoire des fusillés une place spécifique au sein du musée de l’Armée, installé aux Invalides. Tous les dossiers des conseils de guerre ont été numérisés et sont enfin accessibles à la recherche et au public dans un espace particulièrement consacré du site « Mémoire des hommes ».

Comme l’a souligné le Président de la République, ce sujet doit être traité avec la plus grande attention, la plus grande humanité et la plus grande précision historique et juridique. Aucune décision ne peut être prise sans souci de ne pas trahir l’histoire. Il affirmait : « je souhaite, au nom de la République, qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit oublié. C’est pourquoi je demande au ministre de la défense qu’une place soit accordée à l’histoire des fusillés au musée de l’Armée, aux Invalides, dans ce lieu qui porte le récit de la guerre. »

Nous considérons qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de juger ou de rejuger, mais bien de se souvenir et de comprendre, ainsi que le préconisait Antoine Prost, car il n’y a pas, me semble-t-il, de reconnaissance plus forte que celle de la connaissance. De fait, même s’il faut noter que la présente proposition de loi se distingue d’autres textes précédemment déposés, toute réhabilitation de portée générale, sans véritable discernement, qu’elle soit juridique ou symbolique, dilue la reconnaissance de ces victimes, chacune ayant sa propre histoire et son propre drame.

Par ailleurs, la notion de « fusillé pour l’exemple » n’est pas clairement définie. Antoine Prost lui-même considère que l’expression est utilisée de manière trop générale, que la notion d’exemplarité ne signifie pas que les soldats étaient fusillés au hasard, mais qu’en revanche il ne s’agissait pas moins de punir un coupable que d’empêcher d’autres de se comporter de la même façon. Nous considérons donc que les dossiers doivent être traités individuellement de façon que la réhabilitation, le cas échéant, conserve toute sa force.

Enfin, bien que je comprenne et partage une partie des motivations humanistes des auteurs de cette proposition de loi, je crois que le rôle de notre assemblée n’est pas d’écrire ou de récrire l’histoire. Pour ces raisons, considérant que les modalités de la reconnaissance collective de cette réalité historique ne sont pas probantes dans cette proposition de loi, le groupe socialiste, écologiste et républicain n’est, dans sa majorité, pas favorable à son adoption.

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