Intervention de Jean-Paul Tuaiva

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Tuaiva :

François Hollande et Angela Merkel commémoreront ensemble, dans trois jours, le centième anniversaire de la bataille de Verdun. Cette bataille, emblème de la Grande guerre, a été vécue par nos soldats comme un enfer sans équivalent. Elle demeure dans la mémoire collective comme le paroxysme de l’horreur et de la violence extrême. C’est la bataille qui a mobilisé le plus grand nombre de soldats français : deux tiers y ont combattu, 163 000 y ont trouvé la mort, 196 000 y ont été blessés. Ces hommes, qui ont défendu sans relâche Verdun, pendant 300 jours et 300 nuits, sont le symbole du courage de nos soldats face à l’adversité pendant la Grande guerre, eux qui étaient prêts à consentir au sacrifice suprême, celui de verser leur sang pour défendre notre pays.

En cette période de commémoration, nous devons nous souvenir de leur détermination et leur abnégation, car la communauté nationale a, à l’égard des anciens combattants, une dette imprescriptible. Nous devons nous souvenir de toutes les victimes de cette guerre : toutes les familles touchées par des drames, tous les soldats mobilisés, qui, lorsqu’ils ont pu rentrer chez eux, sont restés traumatisés, les millions de blessés, marqués à vie dans leur âme et dans leur chair, et bien entendu, les près de deux millions de soldats français tombés pour la France durant ce conflit.

Parmi eux, 618 hommes ont été « fusillés pour l’exemple ». À ce nombre, s’ajoutent tous ceux qui ont été passés par les armes sans jugement, de manière sommaire. Ces soldats, parfois très jeunes, ont été exécutés par leurs propres compagnons d’armes, alors qu’ils avaient affronté ensemble les mêmes épreuves, alors qu’ils portaient le même uniforme et qu’ils défendaient les mêmes valeurs. Ils furent exécutés dans des conditions terribles, au cours de cette guerre sanglante et terrifiante. Ils furent exécutés pour avoir désobéi, pour avoir insulté un officier, pour avoir été capturés par l’ennemi, avoir regagné les lignes françaises après s’être échappés, ou bien encore pour avoir battu en retraite sans autorisation devant la violence des attaques. Happés par l’horreur de la guerre, par sa sauvagerie, ces hommes ont été fusillés pour avoir eu peur, parce qu’ils étaient à bout de forces, parce qu’ils s’étaient battus pour la France jusqu’à n’en plus pouvoir. À ce titre, ils ont été qualifiés de soldats indignes, de lâches ou de traîtres. Leur mémoire fut entachée et leurs familles, qui avaient perdu un fils, un frère, un père, ont vécu la douleur du deuil dans la honte et la solitude. Dès la fin de la guerre, ces familles de fusillés, relayées par différentes associations, ont exprimé le souhait de les réhabiliter.

Plusieurs lois d’amnistie furent votées et une quarantaine de soldats furent réhabilités par la Cour de cassation dans l’entre-deux-guerres, dont certains dès janvier 1921. Cette question très sensible fut ensuite totalement occultée par les pouvoirs publics pendant plusieurs décennies. Alors que les derniers témoins vivants de cette tragédie ont disparu, leurs descendants, aux côtés d’associations, ont continué, et continuent aujourd’hui encore, de se battre afin de défendre la mémoire de ceux qui n’étaient, comme nous, que des hommes.

Cent ans après, la question de la réhabilitation de ces soldats reste en effet pleinement légitime, car la France n’a pas le droit d’oublier ses blessures ni les heures sombres de son histoire, si douloureuses soient-elles. Il est du devoir de la Nation, lorsque les haines finissent par s’apaiser, par être dépassées, de respecter la mémoire de tous les morts. C’est pourquoi les soldats fusillés pour l’exemple ne doivent pas être oubliés. C’est dans cet esprit que se place la proposition de loi déposée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, visant à réhabiliter collectivement les fusillés pour l’exemple et ainsi à demander pardon à leurs familles. Une proposition de loi similaire avait été examinée au Sénat, en juin 2014, à l’initiative du groupe communiste, républicain et citoyen. Le Sénat l’avait alors rejetée.

Mes chers collègues, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants considèrent que la proposition de loi de nos collègues du groupe GDR doit nous amener à réfléchir sur le rôle du législateur et ses limites. En tant qu’élus de la Nation, il n’est pas en notre pouvoir de revisiter l’histoire un siècle après, au risque de la trahir. Nous ne sommes en aucun cas compétents pour juger de la bravoure ou de la lâcheté de ces hommes, qui se sont trouvés plongés dans une atroce boucherie humaine. Ils ont vécu des situations d’horreur pour nous aujourd’hui inimaginables. Qui peut dire ce que nous aurions fait à leur place ? Si des jugements ont probablement été injustes, nous ignorons combien sont concernés, et qui a été fusillé à tort ou à raison. Il ne nous appartient nullement d’en décider.

C’est pourquoi nous souhaitons, à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun, que notre pays se place dans une démarche de rassemblement et d’apaisement, en cessant d’opérer quelque distinction que ce soit entre ses morts, pour saluer la mémoire de tous ceux qui sont tombés pendant la Grande guerre. Nous saluons, à ce titre, le travail de mémoire considérable entrepris ces dernières années, avec notamment la numérisation des dossiers des conseils de guerre. Nous saluons également la place que le Président de la République a souhaité accorder aux fusillés pour l’exemple au sein du lieu chargé d’histoire qu’est le musée de l’Armée, aux Invalides. Il est essentiel que l’histoire de ces soldats soit pleinement réintégrée dans celle de la Première guerre mondiale.

Au-delà de ces décisions qui demeurent symboliques, le groupe UDI attend à présent, à l’occasion du centenaire, un message fort du Gouvernement envers les familles des fusillés pour l’exemple, afin que l’indignité dont les a frappés leur condamnation puisse enfin être relevée. Toutefois, la proposition de nos collègues du groupe GDR d’une réhabilitation générale et collective n’apporte pas à nos yeux une réponse satisfaisante. Il nous semble ainsi préférable que soit privilégiée une réhabilitation au cas par cas des fusillés pour l’exemple afin de les inclure, aux côtés tous les soldats morts pour la France, dans notre mémoire nationale.

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