Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi visant à garantir le revenu des agriculteurs est le fruit d’un engagement personnel de longue date sur la problématique des prix d’achat des productions agricoles. Depuis 2009, et une première proposition de loi visant à garantir un droit au revenu pour les agriculteurs – j’ai déposé un deuxième texte à ce sujet en 2011 – j’ai fait le choix d’aborder ce débat de fond sur la base d’un constat, que je crois largement partagé sur les bancs de cet hémicycle, mais aussi, très largement, par la profession agricole. Ce constat, c’est celui d’un abandon : l’abandon de tous les outils de régulation des marchés sous la pression des libéraux, au plan européen comme au plan national. Pour ma part, je ne partage absolument pas l’idée que l’agriculture serait une activité comme une autre, quand son premier objectif est de répondre aux besoins alimentaires de 500 millions d’Européens.
La conséquence la plus visible de cet abandon concerne les prix d’achat de la production agricole. Sans intervention sur les volumes et les marchés, ils subissent une pression constante à la baisse, alors que dans le même temps, les marges des géants de l’agroalimentaire et de la distribution s’envolent. Ces marges ont tout simplement doublé en quinze ans, tandis que le revenu agricole, tous secteurs confondus, n’a quasiment pas évolué depuis 1995. Je le rappelle systématiquement dans mes interventions, ce sont 25 % des exploitations qui ont disparu en dix ans, et quasiment autant d’emplois agricoles. Malheureusement, ce rythme reste constant, et pour cause : nous ne sommes pas confrontés à des crises agricoles conjoncturelles, mais à une crise structurelle, qui a des raisons profondément politiques.
Les prix d’achat des différentes productions agricoles ne couvrent aujourd’hui quasiment jamais les coûts de production moyens. L’absence, la suppression ou l’inefficacité des outils réglementaires et contractuels ne permettent pas de répondre à la gravité de la situation vécue par nos agriculteurs. L’abandon progressif des derniers outils de régulation des marchés et des volumes au niveau communautaire a bien évidemment conduit à une mise en concurrence brutale des producteurs. Cette mise en concurrence, et, dirais-je aussi, le miroir aux alouettes de la compétitivité qui l’accompagne, risquent d’être toujours plus dramatique pour notre modèle d’exploitation familiale, notamment avec la perspective de traités de libre-échange particulièrement offensifs. Quant à la multiplication des plans de soutien et des plans d’urgence, malgré tous vos efforts, monsieur le ministre, ils ne répondent ni aux problèmes structurels de la formation des prix d’achat et des marges, ni aux rapports de force qui existent dans la répartition de la valeur ajoutée tout au long des filières. Or, cette question des prix, c’est la question essentielle.
Je l’ai dit devant la commission des affaires économiques, le comble du comble est sans aucun doute que l’Union européenne joue dans la cour des grandes puissances agricoles au niveau international, ce que l’on peut trouver normal, mais qu’elle le fasse en poursuivant la liquidation de toutes les protections et de tous les outils politiques d’intervention sur les marchés et les prix, alors que les autres puissances avec lesquelles nous sommes en relation les conservent, voire les renforcent. Je pourrais notamment citer les États-Unis, le Canada et de multiples autres États qui ont fait d’autres choix que ceux de l’Union européenne. Il faut donc avoir le courage de dire stop et de ne pas vouloir être plus libéraux que les plus libéraux.
Comme le souligne son exposé des motifs, cette proposition de loi ne prétend pas apporter des solutions toutes faites pour remédier aux maux de notre agriculture. Elle s’appuie sur une réflexion collective établie à différentes reprises au cours de l’année écoulée avec les agriculteurs et leurs organisations syndicales au coeur de la circonscription dont je suis l’élu. Elle s’attache, par cette démarche citoyenne, à avancer des pistes d’action pour retrouver une politique active, en nous centrant sur l’enjeu fondamental et déterminant des prix, et sur les leviers d’action que nous pouvons immédiatement actionner.
L’article 1er propose que les organisations interprofessionnelles reconnues organisent une conférence annuelle sur les prix pour chaque production agricole. Dans sa rédaction actuelle, il prévoit également que cette conférence donne lieu à une négociation destinée à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs sur la base de l’évolution des coûts de production et des revenus agricoles par bassin de production. Par souci de cohérence avec le carcan du droit européen et pour ne pas exposer les filières à des risques juridiques relatifs à d’éventuelles ententes anticoncurrentielles sur les prix, j’ai déposé un amendement visant à supprimer cet objectif. L’article 1er assigne également à cette conférence un second objectif : « déterminer un ou plusieurs indices publics de prix des produits agricoles ou alimentaires mentionnés mentionnés à l’article L. 441-8 du code de commerce. »
L’article 2 prévoit l’extension à l’ensemble des productions agricoles et alimentaires du mécanisme du coefficient multiplicateur, déjà présent dans notre droit, à l’article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime. Pour faciliter son éventuelle mise en application, j’ai également déposé un amendement limitant la mise en oeuvre de ce coefficient multiplicateur, aujourd’hui applicable pour les fruits et légumes, aux viandes et au lait de vache, c’est-à-dire à des secteurs de production qui en permettent une application plus facile. Je précise que cette solution est proposée en période de crise ou en prévision des crises, comme c’est le cas aujourd’hui pour les fruits et légumes.
L’article 3 s’appuie sur un constat largement relayé par les agriculteurs et le monde agricole : les agriculteurs sont les seuls – je dis bien les seuls – agents économiques – susceptibles de vendre leurs productions à perte, c’est-à-dire en deçà de leur coût moyen de revient. Avec cet article 3, je souhaite inscrire dans la loi une interdiction d’achat à perte. En affichant cet objectif, je suis néanmoins parfaitement conscient des difficultés que pose cet article au regard des spécificités de la vente de certaines productions agricoles. Cela a en particulier été souligné par notre collègue Brigitte Allain lors de nos échanges. Nous avons eu l’occasion d’aborder cette question en commission, et je souhaite que nous puissions y revenir lors de l’examen des articles.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, après le débat en commission, je souhaite tout particulièrement insister sur la rédaction de l’article 1er, qui me paraît être un point d’appui important pour l’ensemble de la profession agricole. Déjà, en 2009, puis en 2011, j’avais proposé l’instauration d’une conférence annuelle de filière aboutissant à la définition de prix d’achat aux producteurs et associant pleinement ceux-ci à cette négociation. L’idée, depuis, a fait progressivement son chemin sur tous les bancs de l’hémicycle, puisque nos collègues de droite ont présenté il y a quelques semaines, une proposition similaire, quoique moins ambitieuse. Vous-même, monsieur le ministre, avez tenu avant-hier des propos très proches dans le cadre de la séance de questions sur la politique agricole du Gouvernement. Je vous cite : « […] nous voulons rendre pluriannuelles les négociations commerciales et faire figurer dans la loi l’obligation de donner le résultat en termes de prix à la production à l’issue de la négociation commerciale. »