Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Garantie du revenu des agriculteurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, placés au coeur de l’actualité nationale depuis plusieurs mois, les éleveurs et agriculteurs français traversent une crise structurelle largement imputable à une politique agricole européenne ruineuse pour les producteurs faute de régulation des marchés. Ce point manque dans votre analyse, monsieur le ministre ! Nous savons tous que les prix de denrées comme le blé, le lait de vache et les viandes bovine et porcine sont bien trop bas actuellement pour permettre aux producteurs d’en tirer un revenu décent. Ils ne permettent pas à la plupart de nos agriculteurs, à l’exception des producteurs de fruits et légumes, de couvrir leurs coûts de production.

Pour des milliers de familles d’exploitants, la situation est devenue intenable. Au cours des derniers mois, en raison de l’effondrement des cours du lait ou du porc auquel s’ajoute la menace de se voir lâchés par leur banque, les exploitants vivent des drames familiaux et les suicides se multiplient. Notre agriculture et l’agriculture européenne en général n’ont pas su se réguler et se trouvent prises au piège d’une course folle à la compétitivité qui est en réalité une course à la baisse des prix détruisant la valeur du travail et transformant le paysan en une variable d’ajustement économique et une concurrence exacerbée entre agriculteurs qui se solde à chaque crise par l’élimination d’une partie d’entre eux. L’emploi agricole continue ainsi de se réduire rapidement au rythme de 6 000 emplois par an. On comptait encore 386 000 exploitations professionnelles en 2000, elles sont un peu moins de 300 000 aujourd’hui.

Aucune proposition de loi ne saurait prétendre formuler des solutions toutes faites remédiant aux maux de notre agriculture. La détresse de nos agriculteurs puise en effet dans un enchevêtrement de difficultés. Aux conséquences de la concurrence et de l’effondrement des prix à l’échelle internationale s’ajoutent celles de l’embargo russe et de la hausse du coût des consommations intermédiaires, le dumping fiscal et social pratiqué par certains de nos partenaires européens et le désengagement des politiques publiques agricoles communautaires dans le cadre de la nouvelle PAC qui se double d’une accélération des perspectives d’ouverture des échanges agricoles avec plusieurs zones économiques.

Si la proposition de loi que nous présentons aujourd’hui n’entend évidemment pas résoudre l’ensemble de ces difficultés, elle porte l’ambition de mettre en oeuvre des outils permettant de garantir des revenus décents à nos agriculteurs en agissant sur le levier des prix d’achat. Il convient en effet de mettre un terme aux pratiques des quatre centrales d’achat de la grande distribution de notre pays qui dictent leur loi en profitant d’un rapport de force disproportionné lors des négociations. Les politiques commerciales des groupes de la grande distribution, entretenues à l’égard des producteurs comme des consommateurs, leur permettent de dégager des bénéfices colossaux au détriment de l’intérêt général. En aval, dont la domination favorise la baisse des prix d’achat aux agriculteurs, se trouvent également les maillons industriels des filières agricoles.

Comme vous l’avez très bien résumé voici quelques semaines, monsieur le ministre, « chacun se renvoie la balle en disant d’un côté « C’est la grande distribution ! » et de l’autre « Ce sont les industriels ! » – résultat des courses : ce sont toujours les producteurs qui perdent ! ». Le législateur a une très grande responsabilité en la matière. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, votée par la majorité de droite de l’époque, a consacré le principe de libre négociation des conditions générales de vente, ce qui a eu pour principale conséquence une nouvelle concentration de la grande distribution et un renforcement de son pouvoir de négociation dans les relations commerciales au détriment des entreprises agroalimentaires et bien sûr des exploitants agricoles.

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 n’a pas fondamentalement modifié la donne en matière de partage de la valeur ajoutée. Elle n’a pas abrogé les dispositions les plus contestables de la loi de modernisation de l’économie. Les centrales d’achat des grands opérateurs de la distribution ont donc toujours toute latitude pour maintenir leurs pratiques abusives. Si l’on souhaite s’attaquer réellement à un système dont chacun s’accorde à considérer qu’il noie littéralement les producteurs, nous devons envoyer des signaux forts d’une volonté politique de garantir l’équité et la justice des négociations commerciales. Tel est le sens de notre proposition de mise en place de négociations annuelles obligatoires associant producteurs, organisations agricoles, transformateurs et distributeurs.

C’est également la raison pour laquelle nous réaffirmons notre attachement à l’application de coefficients multiplicateurs entre le prix d’achat et le prix de vente afin de limiter strictement le taux de marge des distributeurs. Rappelons que ce mécanisme de coefficient multiplicateur a précisément été mis en place à la Libération afin d’empêcher la spéculation de déstabiliser les prix. Ceux qui nous taxent de nostalgie d’une période révolue sont en réalité des nostalgiques d’un capitalisme non régulé d’avant-guerre, d’un capitalisme d’avant le Front populaire. Nous refusons, pour notre part, ce climat de régression sociale qui inspire tant de nos prétendus modernes, de Fillon à Copé et de Macron à El Khomri.

À l’évidence, nos agriculteurs font collectivement les frais des mécanismes de dérégulation du marché agricole et de l’irresponsabilité de ceux qui l’ont mis en place depuis des décennies et qui persistent et signent. Il est plus facile, pour les libéraux et les technocrates, de faire croire que la cause de la crise est due à l’incapacité des petites et moyennes exploitations de s’adapter. Pour survivre, il leur faudrait se transformer en fermes-usines et produire toujours plus sans se soucier des conditions ni de la qualité des productions. Dans les pays comme l’Allemagne, souvent citée en exemple, qui ont déjà mis en place des fermes de 1 000 vaches, on a constaté une baisse de bénéfices de 35 % en 2015 et de près de 50 % depuis 2014 ! Il y aura toujours un pays pour produire moins cher que celui qui l’a précédé en tête du classement des productions à bas coût !

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