Intervention de Jean-Paul Tuaiva

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Garantie du revenu des agriculteurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Tuaiva :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord associer à cette intervention mon collègue Thierry Benoit, qui travaille d’arrache-pied depuis plusieurs années pour défendre une vision responsable et ambitieuse du modèle agricole français.

Je souhaite ensuite remercier le rapporteur André Chassaigne, dont la proposition de loi a le mérite de présenter des solutions concrètes à une crise agricole qui n’a désormais que trop duré.

Votre travail ainsi que votre écoute lors de l’examen du texte en commission des affaires économiques prouvent votre sincère implication sur un sujet qui, je le crois, nous concerne tous.

Si le groupe UDI ne partage pas nécessairement tous les constats que vous faites ni toutes les solutions que vous proposez, ce n’est absolument pas par logique partisane. Soyez donc assurés que nous continuerons à nous positionner de manière constructive sur ces sujets, comme nous l’avions déjà fait lors de la loi agricole de 2014.

L’examen du projet de loi Sapin 2 en commission, la semaine dernière, a déjà permis de poser les premiers jalons d’un débat. Sur tous les bancs de notre Assemblée, nous avons été nombreux à dénoncer le déséquilibre des relations entre les différents acteurs de la chaîne agroalimentaire.

L’adoption, à l’unanimité, à la fois de la proposition de loi visant à mieux définir l’abus de dépendance économique, et des propositions du rapport d’information sur l’avenir des filières d’élevage remis par les députés Thierry Benoit et Annick Le Loch, témoignent d’une prise de conscience générale des difficultés que traversent nos agriculteurs.

Malheureusement, l’examen du texte Sapin 2 en commission n’aura pas permis de renverser la table, comme le promettait pourtant le ministre Stéphane Le Foll depuis plusieurs mois. Une refonte de la loi de modernisation de l’économie est absolument nécessaire : nous devons désormais être audacieux si nous voulons sortir nos agriculteurs de l’impasse.

Si les objectifs de votre proposition de loi sont louables, les moyens retenus nous semblent, malheureusement, difficilement applicables. Tel était du reste le sens de l’intervention de mon collègue Thierry Benoit, en commission. Vous-même, monsieur le rapporteur, avez convenu qu’il serait préférable de réfléchir ensemble à des solutions alternatives, après avoir reconnu le caractère inapplicable de vos mesures. En outre, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ne partagent pas tous les constats que vous dressez dans l’exposé des motifs de votre texte, quand ils ne les trouvent pas caricaturaux.

Certes, l’agriculture a pu souffrir d’une dérégulation des marchés, mais nous ne sommes pas pour autant d’accord avec l’intégralité de votre analyse de la crise agricole.

Vous évoquez le cataclysme de la doctrine libérale, l’inconscience de l’agriculture à taille industrielle ou encore le manque d’interventionnisme de l’État. Nous pouvons comprendre vos craintes mais gardons-nous d’une vision uniforme de l’agriculture. Nous devons au contraire réussir à faire cohabiter plusieurs modèles.

Nous devrons relever, en 2050, le défi de nourrir 9 milliards d’individus sur notre planète. C’est dès à présent que nous devons y réfléchir.

Une agriculture à taille industrielle n’est pas nécessairement synonyme d’une agriculture déraisonnée. Notre groupe pense qu’il faut parvenir à retirer des avantages de la globalisation des échanges, sans quoi nous serions perdus. L’essentiel est surtout de placer l’agriculteur au centre des relations commerciales afin de lui donner un rôle d’envergure.

Votre proposition de loi souligne l’absence d’outils d’intervention sur les prix. C’est une réalité. Thierry Benoit et Annick Le Loch préconisaient à juste titre, dans leur rapport d’information, de mobiliser des outils d’intervention européens, notamment pour réguler la production en cas de crise. Nous devons travailler dans ce sens car la France n’a pas vocation à influer seule sur les prix. C’est à l’Union européenne de créer un mécanisme d’intervention en s’inspirant par exemple du modèle américain du Farm Bill.

L’article 1er de votre proposition de loi propose ainsi d’organiser une conférence annuelle de négociation interprofessionnelle sur les prix. Bien entendu, notre groupe soutient cette idée qui favorisera l’émergence d’un dialogue, souvent inexistant, entre les différents acteurs.

Vous suggérez que cette conférence aboutisse à fixer un niveau plancher de prix d’achat, qui tienne compte des coûts de production et des revenus agricoles. Cette idée peut sembler consensuelle de prime abord mais nous redoutons des effets pervers, comme un nivellement par le bas. Le prix d’achat ne risque-t-il pas d’être systématiquement fixé au niveau du prix plancher ?

Cette disposition nous semble par ailleurs contraire au droit européen de la concurrence. C’est pourquoi mon groupe renouvelle son invitation à engager une réflexion autour d’un mécanisme plus global, au niveau européen. La régulation n’implique pas nécessairement la fixation des prix.

Dans le cadre de l’examen du texte Sapin 2, notre groupe a déposé plusieurs amendements qui reprennent l’esprit général de l’article 1er, tout en étant plus souples.

Nous avons notamment proposé d’inscrire dans les contrats des clauses de révision faisant référence à des indices publics de coûts de production et de marges. Nous souhaiterions également qu’en fonction des indicateurs de l’Observatoire des prix et des marges, des renégociations entre fournisseurs et distributeurs puissent être automatiquement déclenchées. Il conviendrait par ailleurs d’organiser une conférence de filière chaque année pour fixer les grandes orientations. Si certains amendements ont été adoptés, il est possible d’aller encore plus loin.

L’article 2 propose, quant à lui, d’étendre le coefficient multiplicateur à l’ensemble des produits agricoles et alimentaires. Ce dispositif existe déjà pour les fruits et légumes périssables mais il n’a jamais été utilisé. L’idée peut paraître bonne ; elle suppose cependant la présence d’un État interventionniste, ce qui me paraît difficilement concevable dans notre économie.

Enfin, l’article 3 interdit une pratique qui vise à acheter un produit en deçà de son prix de revient. Une telle mesure pourrait paraître inutile à première vue. Comment concevoir en effet qu’un produit se vende moins cher que ce qu’il a coûté aux producteurs ? C’est pourtant ce qui se passe dans la crise agricole actuelle. Cette pratique est absolument scandaleuse. Outre qu’elle dévalorise le travail de l’agriculteur, elle le laisse dans une détresse professionnelle inadmissible.

Pour autant, la mesure proposée me semble difficile à appliquer. Notre collègue Brigitte Allain s’interrogeait ainsi à juste titre en commission sur le sort des invendus. Sans doute serait-il préférable de réfléchir à de nouveaux outils de stockage, plus performants.

Enfin, cette proposition aurait certainement dû se préoccuper davantage des négociations entre producteurs, fournisseurs et grande distribution, en prévoyant par exemple deux phases distinctes de négociations. Il aurait également fallu mettre l’accent sur la nécessité de « décartelliser » les centrales d’achat. Face à une concurrence à géométrie variable, l’Autorité de la concurrence et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes doivent être dotés de moyens financiers et humains plus importants pour contrôler des situations devenues insoutenables. Aujourd’hui, quatre centrales d’achat se partagent le marché. Le rôle de la grande distribution est prédominant : cette situation ne peut plus durer.

Monsieur le rapporteur, mon collègue Thierry Benoit l’a annoncé en commission, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants ne peut soutenir ce texte en l’état. En revanche, nous sommes prêts à travailler, de manière constructive, pour aider les agriculteurs à s’en sortir. C’est en tout cas dans cet esprit que nous aborderons l’examen, en séance publique, du projet de loi Sapin 2.

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