Intervention de Delphine Bataille

Réunion du 18 mai 2016 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur de l'OPECST :

Comme l'a précisé M. Christian Bataille, l'OPECST a été saisi le 24 février 2014 par M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques du Sénat, d'une demande d'étude sur les enjeux stratégiques des terres rares, afin de « contribuer à conforter la compétitivité de l'économie française ».

Le 16 avril 2014, l'Office a désigné deux parlementaires pour procéder à cette étude : M. Patrick Hetzel, député, et moi-même. À l'issue d'une étude de faisabilité approuvée par l'OPECST le 8 juillet 2014, nous avons organisé plusieurs auditions privées et deux auditions publiques qui sont retranscrites dans les annexes de ce rapport, l'une le 6 juillet 2015, l'autre le 29 février 2016. Nous nous sommes rendus en Suède, en Finlande et au Japon, de même qu'à la Rochelle, où Solvay sépare les terres rares et gère les suites du traitement de la monazite par Rhône Poulenc à la fin du siècle dernier.

Quatre thèmes majeurs apparaissent à l'issue de ces travaux :

- la crise des terres rares de 2010-2011 a révélé l'existence de matières premières très spécifiques, dont la thématique est très proche de celle des matières premières stratégiques ou critiques ;

- l'évolution des marchés des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques est préoccupante du fait de l'évolution croissante de la demande dans un contexte où l'offre dépend de plus en plus d'un nombre très limité d'acteurs ;

- les solutions habituellement envisagées par les industriels, les chercheurs et le monde académique peuvent être mises en oeuvre, même si aucune inflexion politique majeure n'est décidée ; la question majeure est alors celle de leur masse critique et de leur financement ;

- la mise en place d'une véritable stratégie à moyen et long termes implique, en revanche, de prendre des décisions politiques fortes.

Les terres rares, dont l'importance a été révélée en 2010 lors d'une crise géopolitique entre la Chine et le Japon, restent peu connues malgré leur utilité indéniable et les précautions qu'il importe de prendre lors de leur exploitation.

Ce sont dix-sept éléments du tableau périodique de Mendeleïev, découverts tardivement, qui ont des propriétés particulières et des usages spécifiques. Leur production est faible et très concentrée. Leur exploitation et leur traitement reposent sur des techniques qui nécessitent de prendre des précautions particulières en termes de santé publique et de protection de l'environnement. Contenues dans des minerais et des alliages, ces terres rares doivent être traitées afin de les séparer et de les purifier, soit par hydrométallurgie soit par pyrométallurgie, soit par chimie fine. Elles répondent à des besoins souvent croissants de nombreux secteurs industriels. Elles sont ainsi utilisées pour produire des aimants permanents, des téléphones portables, des pots catalytiques, les batteries des véhicules hybrides, des grandes éoliennes, des luminophores pour les ampoules de basse consommation et les diodes électroluminescentes (LED). Leurs applications médicales sont intéressantes.

Leur demande future est fortement dépendante des choix des industriels et de l'évolution des technologies. À titre d'exemple, Renault a fait un choix différent de Nissan en optant pour un moteur électrique sans terres rares. Siemens vient d'annoncer qu'il peut se passer de dysprosium pour la production de grandes éoliennes, ce qui permettra d'éviter de fortes tensions sur le marché du dysprosium, produit utilisé également dans les téléphones portables. Par ailleurs, les LED vont remplacer de plus en plus les luminophores.

L'offre des terres rares est fortement concentrée en Chine, ce qui est apparu particulièrement lors de la crise sino-japonaise de 2010-2011, qui a créé un choc psychologique et a retenti comme un signal d'alarme. La Chine produit en effet 90 % des terres rares, et possède 50 % des réserves mondiales.

La forte hausse des prix qui en a résulté n'a pas perduré. Les prix ont baissé de nouveau et la Chine, mise en cause par l'OMC, a supprimé ses quotas et ses taxes à l'exportation. Elle a aussi mis de l'ordre dans sa production, et développe des activités intégrant de plus en plus de valeur ajoutée, tout en cherchant à contrôler des gisements à l'étranger, comme à Kvanefjeld au Groenland, où l'Union européenne a fait preuve d'une très grande naïveté. Il en résulte que les projets d'exploitation et de transformation hors de Chine ont du mal à émerger, d'autant que les prix sont aujourd'hui insuffisants.

L'évolution des marchés de terres rares et de matières premières stratégiques et critiques est donc préoccupante. La demande croissante des pays et des continents en voie d'industrialisation est difficilement contrôlable. L'offre va être soumise à des contraintes de plus en plus fortes et risque de se concentrer encore davantage en Chine.

Raisonner en termes de besoins stratégiques et de criticité permet de mieux comprendre les enjeux en cause. Plusieurs matières premières, dont les terres rares, présentent un intérêt stratégique pour les États et peuvent être critiques pour l'industrie. Cette notion de produits critiques est du reste utilisée par la Commission européenne pour désigner des produits nécessaires à l'approvisionnement des industries high tech, et qui font l'objet d'un oligopole caractérisé par la présence de deux ou trois producteurs qui représentent ensemble au moins 80 % de la production mondiale.

La combinaison des deux caractéristiques complexifie les problèmes à résoudre. On peut, d'ores et déjà, prévoir qu'il va falloir se préparer à des risques de pénurie pour les matières premières non agricoles et non énergétiques. C'est pourquoi l'élaboration de listes de produits sensibles est particulièrement intéressante, que l'on vise les métaux stratégiques ou critiques. Plusieurs pays l'ont déjà fait.

En conclusion de ces deux premières parties de notre projet de rapport, je voudrais souligner mon attachement à la mine et au secteur minier dont le développement qu'il nous faut imaginer sera source d'atouts pour notre pays, en termes d'emplois, d'innovation et de croissance. Nous disposons d'acteurs de premier plan. Mais encore faut-il créer les conditions leur permettant de développer leurs potentialités.

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