Face au risque de pénurie de terres rares et de matières premières stratégiques et critiques, deux grands types de solutions peuvent être mises en oeuvre par l'État et les entreprises. Les premières, classiques, sont déjà largement engagées. Les secondes nécessitent un effort d'imagination et une volonté politique particulière.
Les solutions habituellement envisagées ne nécessitent pas d'inflexion politique majeure. Elles concernent, d'une part, le recyclage et la substitution, d'autre part, la formation et la recherche.
Le recyclage est déjà une réalité économique. Son intérêt n'est plus contesté, même s'il n'est pas une panacée, pour des raisons tant techniques qu'économiques. Son développement peut résulter du marché mais aussi de réglementations quand il n'est pas rentable ou n'est pas encore entré dans les moeurs. Une telle réglementation existe déjà, en France, pour les piles et accumulateurs. Le recyclage sera d'autant plus efficace qu'il s'inscrira dans une démarche relevant de l'économie circulaire, ce que montre l'expérience du Japon où il résulte d'une politique pragmatique très volontariste reposant sur un partenariat entre l'industrie et les pouvoirs publics, permettant la mise en oeuvre d'une loi qui définit les produits à recycler : les téléviseurs, les climatiseurs, les réfrigérateurs et les machines à laver.
La substitution reste encore balbutiante, mais son résultat est parfois surprenant, comme le montre le cas du dysprosium qui n'est plus nécessaire pour construire de grandes éoliennes, qui en nécessitaient jusqu'à présent 600 kg par mégawattheure d'énergie. La substitution n'a cependant d'intérêt que si elle permet d'obtenir des produits de qualité suffisante et si elle est possible technologiquement. Au Japon, l'Institut national pour la science des matériaux, le NIMS, estime que la substitution peut pallier l'insuffisance du recyclage et l'indisponibilité prochaine de certains produits critiques. Le NEDO et le METI ont développé un programme ambitieux de substitution qui concerne l'électronique, l'automobile et les instruments industriels.
La formation doit être dynamisée. En effet, la situation est alarmante. L'avenir des formations existantes, qui sont de qualité tant dans les écoles d'ingénieur qu'à l'université, n'est pas assuré, car les débouchés sont aléatoires. Plusieurs formations ont disparu ou sont menacées, ce qui risque d'entraîner une perte de certains savoir-faire en métallurgie. L'enseignement de la toxicologie ou du génie minier est insuffisamment développé. Aussi le soutien des pouvoirs publics est-il nécessaire pour traverser cette période difficile et donner une nouvelle impulsion.
L'effort de recherche et développement actuellement consenti est moins efficace que par le passé, même si l'implication des structures de recherche reste élevée. Il faut donc soutenir et encourager la recherche qui a permis des avancées significatives, notamment en débouchant sur des techniques beaucoup moins intrusives, plus miniaturisées et efficaces qu'auparavant. Des recherches en toxicologie devront être suscitées. Une réflexion doit être menée sur l'effort qu'il faut accomplir et sur les moyens à mettre en oeuvre, car les financements au niveau national n'utilisent pas l'ensemble des outils disponibles. L'Agence nationale de la recherche (ANR) n'a pas de programme spécifique, ni le rôle dynamisant qu'elle a dans d'autres domaines. En revanche, l'apport de l'ADEME est réel. Les financements de l'Union européenne sont davantage identifiés, notamment dans le cadre de l'Horizon 2020, mais ne permettent pas de financer des projets vraiment orientés sur la recherche. Enfin, les réseaux et les partenariats doivent être soutenus dans leur développement. La question se pose de la création d'une « alliance » des matières premières. La mise en place d'une fédération des réseaux des acteurs français, actuellement en cours, constitue une autre piste.
En revanche, l'élaboration d'une stratégie plus ambitieuse nécessite des décisions politiques fortes. Ce sera le cas pour la définition d'une stratégie minière et métallurgique volontariste, pour l'étude de la mise en place de stocks stratégiques, pour le développement d'une diplomatie économique des matières premières.
Une nouvelle stratégie minière ne relève pas de l'utopie car on connaît bien les conditions techniques, organisationnelles, économiques, financières et juridiques du succès des investissements qu'il faut entreprendre. Tout projet minier doit prendre en compte plusieurs étapes. Le sous-sol doit être mieux connu, ce qui suppose une relance ciblée de la prospection en France et en Europe et la réalisation d'un nouvel inventaire minier. Une analyse prospective des besoins et du contexte réglementaire, voire des media apparaît de plus en plus importante. Le marché doit être plus transparent. De nouvelles techniques de financement peuvent être utilisées. La compétitivité doit être améliorée. Mais, par-dessus tout, il faut veiller à l'acceptabilité des projets miniers afin de garantir leur pérennité. Cette acceptabilité, qui n'est plus évidente aujourd'hui, comme le montre l'exemple de la réouverture d'une mine à Salau (Ariège), dépendra surtout d'un dialogue rénové avec les populations concernées, qui doit prendre en compte toutes les générations.
Les expériences de plusieurs pays – le Japon, la Suède, la Finlande notamment – montrent l'utilité de la définition d'une véritable stratégie minière, et l'intérêt de la mise en place de structures promouvant le financement de la recherche de ressources minérales. Elles mettent en évidence l'équilibre à trouver entre industrie et environnement, mais aussi entre activités économiques et valeurs culturelles.
Comme en Scandinavie, c'est le concept de « mine responsable », ou de « mine verte » qui peut permettre le développement, en France, d'un projet minier ambitieux. En Suède, il repose sur l'intervention d'un tribunal de l'environnement. En Finlande, il résulte d'un débat public lancé par le gouvernement. C'est une approche nouvelle qui permet de répondre à de véritables préoccupations : comment prévenir et maîtriser les risques ? Comment gérer l'après-mine, notamment lorsque les responsables sont défaillants ? Comment assurer la traçabilité de tous les éléments constitutifs du projet, ce qui répond de plus en plus à la demande des acheteurs finaux, surtout dans le cas de minerais de conflit ? Quel équilibre trouver entre réglementation et mise en oeuvre volontaire de bonnes pratiques ? Quel équilibre trouver entre réglementation et marché ? La modernisation du code minier, qui doit être enfin réalisée, pourrait être l'occasion de faire progresser ce concept de mine responsable et de commencer à le mettre en oeuvre.
L'étude de la constitution de stocks stratégiques doit être engagée. Elle devra permettre de répondre à trois questions cruciales, malgré la complexité et le coût de tels stocks : peut-on ou non se passer de certaines matières premières critiques si elles sont stratégiques ? Est-on prêt à payer le prix fort en cas de pénurie ? Quel serait l'utilité, le coût et les modalités d'un stockage préventif ? Les exemples de plusieurs pays étrangers montrent qu'un tel stockage préventif peut répondre à des préoccupations soit de nature économique, comme au Japon, soit de nature stratégique ou financière, comme aux États Unis, en Russie, en Chine, en Corée ou en Finlande.
La diplomatie économique française peut devenir un instrument essentiel d'une politique minière volontariste. Les outils d'une telle politique sont en place, tant au ministère des affaires étrangères qu'à Business France et à la direction générale du Trésor. Les exemples de la coopération bilatérale avec l'Allemagne, le Vietnam et le Japon montrent les possibilités de son développement qui pourrait être inspiré par le programme cadre particulièrement ambitieux que l'Allemagne a mis en place pour les matières premières afin de sécuriser ses approvisionnements en matières premières. Enfin, la diplomatie économique française pourrait compléter davantage la politique des matières premières de l'Union européenne car celle-ci se heurte, malgré son dynamisme, à l'absence de compétence de l'Union dans ce domaine.
Quatorze propositions découlent de cette analyse des enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques :
1. Définir une politique minière pour la France reposant sur l'identification des besoins et des ressources, la relance de la prospection, la réalisation d'un nouvel inventaire minier et une réflexion sur la mine moderne et responsable.
2. Définir une stratégie des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques, comme l'ont fait la Suède, la Finlande et le Japon.
3. Développer la filière minière française, qui est essentielle pour son impact industriel et économique, et sa contribution à l'emploi, à la croissance et à l'innovation.
4. Sécuriser l'approvisionnement des matières premières stratégiques et critiques par une coopération internationale active.
5. Envisager le stockage des matières premières stratégiques et critiques les plus sensibles.
6. Développer le recyclage et la recherche de produits de substitution aux matières premières stratégiques et critiques.
7. Aboutir au niveau européen à une harmonisation des législations sur les transports de déchets, afin de faciliter leur recyclage.
8. Financer davantage les travaux de recherche sur les terres rares et les matières premières stratégiques et critiques, afin qu'ils aient des retombées significatives. Déterminer clairement les financements envisagés dans la programmation de l'ANR et du PIA. Améliorer leur complémentarité avec les financements européens.
9. Relancer la formation aux activités minières, notamment au sein de l'enseignement supérieur français, à ses différents niveaux, afin de permettre le maintien et le développement d'un savoir-faire particulièrement précieux.
10. Développer la veille économique, réglementaire et médiatique sur les matières premières stratégiques et critiques.
11. Charger le BRGM de mieux identifier les besoins en matières premières stratégiques et critiques et de définir les modalités techniques et financières d'un stockage. Lui confier une mission d'observation des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques, pour améliorer la connaissance de la réalité française, européenne et mondiale, et faire de la veille technologique.
12. Créer au niveau européen, à l'image du JEBIC japonais, une banque d'investissement public qui aiderait les entreprises européennes à investir à l'étranger pour obtenir des produits à des prix stables et à sécuriser leur approvisionnement à long terme en matières premières critiques telles qu'elles sont définies dans la liste européenne.
13. Développer la coopération internationale pour mesurer et maîtriser l'impact environnemental de la prospection et de l'exploitation des mines et des ressources marines profondes.
14. Renforcer les moyens de l'Ifremer afin qu'il puisse s'engager pleinement dans une coopération avec le Japon dans la recherche et l'exploitation des ressources marines profondes, notamment dans la zone Asie-Pacifique où la présence de la France est très importante.