Intervention de Jean Jacques Vlody

Réunion du 10 mai 2016 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Jacques Vlody :

Et l'Europe. Comment inverser cette situation et faire comprendre que nous sommes dans une autre dimension ?

De récentes évolutions législatives redonnent un cadre à ce que l'on appelle de façon quelque peu simpliste la coopération régionale, consistant à travailler avec les pays de la zone, mais je ne souhaite pas limiter mes travaux à la simple question de la coopération régionale. C'est tout un état d'esprit, une mentalité de l'organisation administrative qu'il convient de faire évoluer, et cela ne s'arrête pas à la question d'une coopération entre une collectivité et un État ou entre deux États.

À l'occasion de l'examen de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, j'ai fait adopter un amendement modifiant les relations entre l'État et les collectivités locales dans leurs politiques de coopération régionale. Jusque-là, selon son bon vouloir, l'État pouvait associer les régions et départements à des politiques ou à des concertations avec les pays de la zone en matière de relations bilatérales : désormais, cette simple faculté est devenue une obligation.

Une autre évolution résultera des propositions faites par Serge Letchimy dans son rapport déposé le 16 mars dernier sur la proposition de loi relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération de l'outre-mer dans son environnement régional, dont l'examen est en cours. Il s'agit de conférer aux collectivités la possibilité, par délégation de l'État, de passer des accords-cadres avec les pays voisins indépendants : c'est une révolution. Cela montre une évolution de la position de l'État au sujet de ses relations avec les pays voisins des territoires d'outre-mer. L'ancien ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait été pionnier en introduisant une nouveauté sémantique avec la notion de « diplomatie territoriale ». Cette notion, qu'il faut désormais faire vivre, consisterait à ce que la France organise ses relations diplomatiques à partir des territoires situés dans la zone, et non plus uniquement à partir d'un État centralisé décidant de son seul point de vue.

Afin d'illustrer mon propos, je souhaiterais narrer une anecdote trouvée sous la plume de Wilfrid Bertile : la France, dans ses relations avec les pays de la zone au cours des années 2000, s'interrogeait sur l'inquiétude de La Réunion concernant la production d'ananas Victoria. Le représentant de l'État s'insurgeait de constater que l'on n'autorisait pas l'île Maurice à développer ces ananas, alors qu'il s'agit d'une production concurrente des ananas français cultivés à 200 kilomètres à peine. À l'époque, la mentalité de l'État français le conduisait à considérer qu'accompagner un pays en développement l'emportait sur le développement de son propre territoire situé dans la même zone.

Cet état d'esprit, frustrant pour les intéressés, n'est plus de mise aujourd'hui. Beaucoup de chemin n'en reste pas moins à parcourir, pour passer de ce statut d'espace périphérique à celui de centre sur lequel viendrait s'appuyer l'État en matière de diplomatie territoriale, que ce soit dans le fonctionnement même de l'État ou l'organisation administrative, telle qu'elle résulte de la loi ou du règlement. Cette coopération entre nos territoires – c'est-à-dire la France – et divers pays de la zone se révèle positive lorsque le bon sens s'impose ; cela est flagrant dans le domaine de la santé et de la sécurité sanitaire, dans celui de la sécurité maritime ainsi que dans celui de l'aide aux populations vulnérables en cas de catastrophe naturelle.

Ainsi, lorsqu'un problème de sécurité se présente dans l'océan Indien, particulièrement dans le domaine de la piraterie, la France est capable, grâce à la Commission de l'océan Indien (COI), de mobiliser ses moyens maritimes et militaires et d'organiser avec les autres pays de la zone la surveillance du territoire. Un partenariat a été établi et des accords ont été passés. Madagascar et les Seychelles sont d'ailleurs les bases maritimes de ce dispositif de lutte contre la piraterie.

Dans le domaine sanitaire, à l'occasion des épisodes d'émergence des maladies tropicales, tels le Zika, le chikungunya et autres fièvres épidémiques, a été constitué le réseau de surveillance des épidémies et gestion des alertes (SEGA), fruit d'une coopération entre La Réunion, Maurice, Madagascar, Mayotte et les Seychelles. Des partenariats portant notamment sur la formation entre médecins ont été établis, car chacun a compris qu'un manquement à la sécurité sanitaire à un endroit donné pouvait rapidement concerner l'ensemble de la zone.

La coopération porte aussi sur la météo, et les échanges d'informations en cas de cyclone se font naturellement entre La Réunion, Maurice, Madagascar et les Seychelles, chacun surveillant la trajectoire des cyclones.

Dans le cadre des catastrophes naturelles, le dispositif PIROI, qui relève de la Croix-Rouge, est basé dans les divers pays concernés, et, grâce à l'aide militaire et à la mobilisation de nos moyens logistiques, permet des interventions rapides pour la potabilisation de l'eau ou la construction de camps, par exemple.

Ainsi, lorsque les problématiques de diplomatie territoriale, susceptibles d'opposer La Réunion à Madagascar ou La Réunion à Maurice pour des questions de territoires, ou la France au Suriname au sujet de la légitimité du pouvoir en place, ne la limitent pas – ce qui est rarement le cas –, la coopération fonctionne bien, car elle commande l'intérêt supérieur des nations.

Cette coopération reste toutefois à construire dans le domaine de l'économie, et, à travers elle, de la circulation des personnes. La question est celle des visas exigés pour circuler au sein de la zone : la vision parisienne de cette problématique est en complet décalage avec la réalité de certains territoires. Ma mission m'a conduit à réaliser une cinquantaine d'auditions et de nombreuses visites de terrain. J'ai ainsi eu l'occasion d'aller au Suriname en passant par Saint-Laurent-du-Maroni : vu d'ici, on nous explique que la France va être envahie par l'ensemble des pays sud-américains à cause de problèmes de visas ; la circulation des personnes est conçue comme un danger majeur pour la sécurité du territoire, que cela soit en matière d'immigration économique ou de surveillance sanitaire.

Ainsi ai-je entendu, à Cayenne, le directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) qui m'a mis en garde contre le risque sanitaire majeur que représenterait la libre circulation des personnes entre Saint-Laurent-du-Maroni et le Suriname, susceptible de déclencher une pandémie mondiale. J'ai alors considéré que la France, à elle seule, ne pourrait pas faire face à une telle crise et qu'il fallait faire appel à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et à l'Organisation des Nations Unies (ONU).

Je me suis ensuite rendu à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, et j'ai rapporté les propos qui m'avaient été tenus : ils ont déclenché l'hilarité de mes interlocuteurs ; l'adjoint du directeur de l'ARS qui était présent m'a indiqué que la circulation des personnes constituait d'ores et déjà une donnée de fait, et qu'elle n'avait pas vocation à diminuer. Il a considéré qu'il s'agissait d'une vision parfaitement erronée de la réalité constatée sur le terrain ; le regard porté par la Métropole sur ces territoires est déformé.

Le sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni m'a conduit au petit poste-frontière, qui est réputé surveiller les 500 kilomètres de longueur du fleuve Maroni : cela prête à rire ! Ce poste est évidemment contourné par les personnes désireuses de se rendre au Suriname.

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