Ce projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est porté par plusieurs ministres : Jean-Jacques Urvoas pour les dispositions à caractère pénal, Emmanuel Macron pour ce qui touche à l'économie, mais également Stéphane Le Foll pour les dispositions à caractère agricole. À l'instar de votre commission des Lois, je jouerai le rôle de chef de file dans les débats que nous aurons ensemble. Sachez que c'est avec une grande ouverture d'esprit vis-à-vis de vos propositions que j'aborde ces discussions, convaincu que le Parlement doit être étroitement associé à la construction de ce texte, dont l'objectif fondamental est de hisser la France aux meilleurs standards internationaux, pour renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur système politique et économique.
Il porte à mon sens deux objectifs qui peuvent tous nous rassembler. Il s'agit, d'une part, d'accroître la transparence dans le fonctionnement de nos institutions, laquelle a déjà fait, au cours de ces dernières années, l'objet de plusieurs textes de loi. C'est en effet la condition sine qua non pour que nos concitoyens retrouvent confiance dans les institutions publiques et dans une économie ouverte et saine.
Il s'agit, d'autre part, de développer la liberté du commerce et de l'industrie en encourageant le financement de l'économie réelle – nos entreprises ont en effet besoin que l'épargne de nos concitoyens et les investissements s'orientent vers elles –, tout en luttant contre la finance qui corrompt et en sanctionnant plus sévèrement les dévoiements qui menacent notre modèle économique et social.
C'est dans ce cadre politique que j'ai travaillé étroitement ces dernières semaines avec les rapporteurs des trois commissions saisies, MM. Denaja, Colas et Potier, afin d'améliorer le texte. Je les remercie chaleureusement et salue le travail qu'ils accomplissent.
Je commencerai par trois remarques avant d'en venir au fond du texte. En premier lieu, mon expérience parlementaire – relativement longue puisque peu d'entre vous siégeaient déjà dans cette assemblée avant que j'y sois élu – m'incite à penser que le travail parlementaire est utile et efficace. Le premier pas vers la transparence passe par le débat démocratique, d'autant que nous avons tous à coeur de partager des valeurs et un souci d'efficacité.
Ensuite, je voudrais vous mettre en garde contre le risque de charger ce texte, déjà considérable, de toutes les bonnes – ou moins bonnes – idées que vous pourriez avoir. Je propose donc que toutes les propositions de nature fiscale soient renvoyées au débat que nous aurons à l'automne sur la loi de finances ; je vous invite par ailleurs à vous méfier des cavaliers législatifs, ce qui est à l'évidence le cas de bon nombre d'amendements. Ils ne manqueraient pas d'être sanctionnés comme tels par le Conseil constitutionnel qui, on l'a vu, se montre sur ce point de plus en plus sévère.
Cela m'amène à ma troisième remarque : nous touchons avec ce projet à des sujets extrêmement délicats sur lesquels les acteurs économiques concernés ne manqueront pas, et on ne peut les en blâmer, de vouloir se défendre, le cas échéant en en appelant à la justice, comme c'est naturel dans un pays démocratique. Aussi, que le Conseil soit saisi ou pas, et peut-être plus encore s'il ne l'est pas, nous devons donc être très vigilants sur la constitutionnalité des dispositions envisagées. Car s'il n'était pas saisi, des QPC pourraient naître en bien des occasions – on le voit à propos d'autres sujets, avec le non bis in idem, et je ne doute pas que certains spécialistes y travaillent déjà –, qui viseraient à remettre en cause certaines procédures. C'est la raison pour laquelle je vous demande la plus grande rigueur possible sur les questions de constitutionnalité. Même si personne ne peut prétendre détenir la vérité absolue dans ce domaine, puisqu'elle arrive toujours a posteriori, mieux vaut tirer les enseignements de certaines décisions récentes.
J'en viens à présent au fond. Ce projet de loi s'articule autour de quatre grands axes, au premier rang desquels la protection des lanceurs d'alerte. Le texte comporte d'ores et déjà des dispositions qui constitueront l'accroche nécessaire pour ajouter par amendements un statut général des lanceurs d'alerte. Cela en effet n'a pu être fait en amont, les services du ministère ne disposant pas encore lors de la rédaction du projet du rapport que le Conseil d'État vient de rendre sur la question. Il contient de très bonnes idées, même si le sujet peut donner lieu à bien des débats de toute nature ; je compte sur vous pour apporter les compléments nécessaires.
L'affaire des Panama Papers ou celle des Luxleaks et d'Antoine Deltour ont encore mis en lumière très récemment, s'il en était besoin, le rôle éminent des lanceurs d'alerte, et la manifestation de cette conscience citoyenne au bénéfice de l'intérêt général doit être mieux protégée. Il faut d'abord pour cela définir, et ce n'est pas si simple, ce qu'est un lanceur d'alerte afin de l'identifier juridiquement et, ainsi, de le protéger, en évitant l'utilisation abusive du concept. Il faut ensuite définir le « canal » que la révélation des informations dont le lanceur d'alerte est dépositaire doit emprunter. Ce canal doit être balisé clairement et précisément défini, afin, d'une part, de vérifier les informations et de protéger les tiers ainsi que l'organisation en cause contre tout signalement malveillant et, d'autre part, de permettre aux autorités compétentes de les traiter. Il faut enfin que tous les lanceurs d'alerte puissent bénéficier de la même protection, quel que soit le domaine dans lequel ils interviennent. Cette protection doit être renforcée au regard de ce qui existe, afin qu'aucun lanceur d'alerte n'ait à pâtir, notamment au point de vue financier, de la divulgation, dans les conditions légalement prévues, d'une information d'intérêt général au public ou à la presse. C'est la raison pour laquelle je crois que la protection des lanceurs d'alerte doit être confiée, quelle que soit la formule retenue, à une autorité publique indépendante.
Deuxième axe, le projet de loi prévoit la création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts – ou lobbyistes – auprès du Gouvernement, à l'image du fichier mis en place il y a quelques années par l'Assemblée nationale et le Sénat pour répertorier les représentants d'intérêts s'adressant aux parlementaires. L'objectif du Gouvernement est bien d'encadrer l'activité des représentants d'intérêts et non de l'interdire ou de la stigmatiser. Les représentants d'intérêts, par leur action, contribuent à la réflexion collective ; ils constituent des relais d'opinion que le Gouvernement et le législateur doivent écouter et dont les informations et les arguments doivent être pris en considération. Mais c'est parce qu'ils ont un pouvoir d'influence sur les pouvoirs publics qu'il faut rendre transparents les rapports qu'ils entretiennent avec ces derniers, en encadrant l'activité de représentation d'intérêts. Là encore, le projet du Gouvernement a naturellement vocation à être enrichi lors de l'examen que vous ferez du texte – votre rapporteur y travaille. Je suis favorable à toute extension qui ira dans le sens de la transparence, et notamment à la création d'un registre unique, commun au Gouvernement, à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Troisième axe, très important : la lutte contre la corruption. Vous le savez, et cela me fait toujours mal lorsque cette remarque m'est faite au niveau international : la France est très mal classée par les organisations internationales comme l'OCDE ou par les organisations non gouvernementales, comme Transparency International. Il lui est notamment reproché de manquer de dispositifs légaux suffisamment puissants pour prévenir la corruption internationale – nous nous sommes déjà, par d'autres lois, dotés de gros moyens pour détecter et punir les actes de corruption sur notre territoire, l'actualité juridico-politique en témoigne.
Je trouve notamment très choquant que notre justice n'ait condamné définitivement aucune société française pour corruption d'agent public étranger depuis 2000, date de la création de cette infraction, cependant que plusieurs de ces sociétés françaises étaient sanctionnées, parfois lourdement, par des justices étrangères, au premier rang desquelles la justice américaine, mais également par la justice britannique ou la justice hollandaise. C'est de toute évidence une situation inacceptable, nuisible à l'image de la France et de ses entreprises. C'est ce retard que je souhaite voir combler pour mettre notre pays au niveau des grandes démocraties modernes.
Il s'agit d'abord de mieux prévenir et détecter la corruption. Le projet de loi prévoit à ce titre la création de l'Agence nationale de prévention et de la détection de la corruption, qui remplacera le Service central de prévention de la corruption (SCPC), créé par la loi du 29 janvier 1993, dont elle reprendra les missions, tout en assurant celles, nouvelles, qui lui seront attribuées.
Le texte crée aussi une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption, applicable notamment aux très grandes entreprises.
Il vise ensuite à rendre plus effective la répression de la corruption, à travers un renforcement de notre arsenal répressif. Je me bornerai à ce stade à mentionner la création d'une peine complémentaire dite de mise en conformité des procédures de prévention et de détection de la corruption pour les entreprises.
Je suis convaincu que, là encore, vous aurez l'audace nécessaire pour compléter le texte afin de mettre notre pays aux meilleurs standards de lutte contre la corruption, et en particulier de la corruption transnationale.
Quatrième axe, la modernisation de la vie économique. Il porte quatre ambitions cohérentes. À l'examen les amendements que vous avez pu déposer, je remarque que bon nombre d'entre vous brûlent d'envie d'apporter leur contribution… Prenons garde, je le répète, à ne pas trop alourdir la barque, déjà bien chargée.
Notre première ambition est de renforcer la régulation financière française, ce qui contribuera à la stabilité financière et à la compétitivité de la place financière de Paris. Cela permettra également d'accroître la protection des épargnants. Pour en avoir beaucoup discuté avec lui, je sais que c'est une préoccupation que partage le rapporteur de la commission des Finances.
Le projet de loi prévoit ainsi plusieurs mesures pour étouffer (Sourires), étoffer, pardon, les pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers – pour éviter justement qu'ils ne soient étouffés… L'autre superviseur financier français, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, verra également ses pouvoirs renforcés : nous allons en particulier créer un régime de résolution pour les assurances – une première en Europe –, afin de renforcer la stabilité financière et la protection des assurés.
Enfin, je sais que vous envisagez de renforcer les pouvoirs du Haut Conseil de stabilité financière, que je préside depuis maintenant deux ans. Cette institution, qui veille à l'interaction entre les développements financiers et la stabilité économique, a effectivement un rôle majeur à jouer : je salue donc votre initiative, qui vise à enrichir ses pouvoirs.
Notre deuxième ambition est d'améliorer la protection des consommateurs et des épargnants. Je voudrais insister ici sur deux mesures particulièrement importantes. Nous souhaitons d'abord interdire purement et simplement la publicité pour des plateformes internet qui proposent des instruments financiers très risqués et promettent de vous transformer en trader en quelques heures pour décrocher le gros lot en quelques jours, sans préciser qu'au bout du compte, vous vous exposez surtout à perdre beaucoup d'argent. Vous vous apprêtez pour cela à donner à l'AMF des pouvoirs supplémentaires, ce qui est une bonne initiative.
Je veux également faciliter l'usage des moyens de paiement modernes, de façon sécurisée pour les consommateurs. C'est notamment la raison pour laquelle je souhaite restreindre la durée de validité du chèque à six mois, ce qui permettra également de diminuer l'incertitude liée au délai d'encaissement. La commission des Affaires économiques a souhaité fixer une date claire d'entrée en vigueur afin de permettre aux acteurs de s'adapter ; j'en suis tout à fait d'accord.
La troisième ambition concerne le financement de l'économie française. Une première mesure qui me paraît majeure consiste à faciliter le financement de l'économie par les investisseurs. C'est pourquoi, conformément à ce que permet le droit communautaire et tout en maintenant un niveau de protection élevé pour les assurés, le projet de loi crée un régime prudentiel adapté pour les régimes de retraite supplémentaire – ce qu'on a faussement appelé des « fonds de pension à la française », alors qu'il s'agit d'une épargne que les Français ont volontairement mis de côté pour leurs vieux jours. Or ces retraites supplémentaires sont aujourd'hui régies par le système assurantiel, dont les règles prudentielles extrêmement contraignantes limitent considérablement le fléchage de ces sommes vers l'économie réelle.
Vous souhaiteriez que cette évolution puisse également s'appliquer aux plans d'épargne retraite populaire (PERP). Cependant, les PERP ne sont pas des produits de retraite professionnelle au sens de la réglementation communautaire. À droit constant, cela n'est donc pas possible, mais je suis prêt à plaider à Bruxelles pour que ce type de produits puisse bénéficier des mêmes souplesses.
Par ailleurs, le livret de développement durable (LDD) comportera désormais un volet dédié à l'économie sociale et solidaire, qui représente 10 % du PIB en France : concrètement, les banques proposeront annuellement à leurs clients détenteurs d'un LDD d'en affecter une partie au financement d'une personne morale relevant de l'économie sociale et solidaire. Vous souhaitez également étendre les obligations d'emploi de l'épargne réglementée qui incombent aux banques aux entités de l'économie sociale et solidaire. Cela me paraît une bonne mesure, qui incitera les banques à investir davantage dans ce secteur.
Enfin, ce texte doit permettre d'améliorer les conditions d'exercice de nombreuses professions, en assurant plus de transparence et en adaptant le système de qualifications professionnelles pour en améliorer l'accessibilité et la qualité. Je n'entrerai pas dans le détail de mesures dont la commission des Affaires économiques a déjà longuement discuté avec le ministre de l'Économie ; je tiens d'ailleurs à saluer ces travaux, et particulièrement ceux du rapporteur pour avis, qui ont contribué à enrichir le texte et à en clarifier les objectifs là où cela était nécessaire.
Je comprends en particulier les préoccupations qui ont conduit à faire évoluer les dispositions en matière d'agriculture, pour apporter plus de transparence sur les ventes de foncier agricole et sur la formation des prix au sein des filières : on y retrouve parfaitement l'esprit du projet de loi.
Je suis satisfait également des clarifications qui ont pu être apportées sur certaines mesures chères au monde de l'artisanat. L'objectif est bien de tirer vers le haut les créateurs d'entreprise et en particulier les primo-créateurs, autrement dit ceux qui le font pour la première fois, en leur offrant d'autres passerelles – c'est le sens des modifications qui ont été apportées, que je trouve de bonne qualité.
Enfin, s'agissant des questions relatives au droit des sociétés, certains d'entre vous souhaitent enrichir le projet de loi pour rendre contraignantes les décisions des actionnaires en matière de rémunération. Je m'en félicite.
Mesdames et messieurs les députés, c'est avec une vraie émotion que, près de vingt-cinq ans après avoir présenté à votre assemblée un projet de loi qui portait quasiment le même titre – c'est ce qui vaut à celui-ci de porter un numéro en plus d'un nom –, j'engage aujourd'hui le débat avec vous.
Charles de Courson. Ça ne nous rajeunit pas !