Intervention de Sébastien Denaja

Réunion du 24 mai 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Ce projet de loi s'inscrit avec cohérence dans l'action menée avec constance par le Gouvernement et la majorité depuis 2012. Il fait écho à un discours célèbre prononcé par François Hollande en janvier 2012 au Bourget et dans lequel l'ennemi avait été désigné : la finance dévoyée, cette finance que nous entendons aujourd'hui démasquer au moyen d'outils comme l'agence Anticorruption.

Il s'agit d'un texte ambitieux et courageux. Ambitieux, tant son champ est large : favoriser une plus grande transparence de l'action publique, garantir la probité des comportements économiques, améliorer la régulation financière, renforcer les droits des consommateurs et faciliter le financement des entreprises et de l'économie réelle. Courageux, parce qu'il aborde des sujets difficiles et propose des réformes trop longtemps différées : le renforcement de la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d'alerte, la transparence du lobbying.

Je souhaite donc que l'Assemblée nationale, et en particulier les trois commissions qui se sont saisies de ce projet de loi, contribuent à l'enrichir, tout en maintenant sa cohérence d'ensemble. C'est en tout cas l'objectif que je me fixe en tant que rapporteur de la commission des Lois. Je salue l'esprit de co-construction dans lequel nous avons travaillé avec mes deux collègues rapporteurs, Romain Colas et Dominique Potier, et le Gouvernement.

En ce qui concerne la prévention et la détection de la corruption, le projet de loi renoue avec l'esprit de la loi du 29 janvier 1993, que le ministre connaît bien. C'est l'honneur de notre majorité d'assumer les engagements internationaux de notre pays et de doter notre législation d'instruments efficaces pour lutter contre les maux de la corruption.

Le Gouvernement nous propose la création d'une agence – que je proposerai de rebaptiser plus simplement Agence française anticorruption – dotée enfin de ressources à la hauteur du défi. Je rappelle en effet qu'en 2012, le SCPC ne disposait plus que de 4,75 équivalents temps plein… En Italie, le service équivalent compte 350 agents ! Cette agence sera notamment chargée de contrôler la mise en oeuvre, par les entreprises condamnées, de la nouvelle peine de mise en conformité prononcée par les tribunaux. Le projet de loi en fait un service à compétence nationale qu'il entoure de certaines garanties d'indépendance fonctionnelle, notamment pour son directeur. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre à accueillir favorablement les amendements prévoyant notamment l'inamovibilité de son directeur et visant à étendre les garanties d'indépendance à tous ses agents ?

Dans l'avant-projet figurait une procédure de transaction spécifique aux atteintes à la probité qui nourrit les débats. Ces débats, il est essentiel que nous les ayons, en commission comme dans l'hémicycle, car on ne peut occulter le fait que notre pays n'ait, de toute son histoire, jamais condamné à titre définitif une seule personne morale pour des faits de corruption, alors que trois cents personnes physiques en moyenne sont chaque année condamnées par les tribunaux pour des faits de même nature.

Ne vous semble-t-il pas néanmoins qu'il serait utile, au-delà de cette procédure, de renforcer les moyens juridiques à la disposition des parquets ? Si l'on peut en effet saluer les moyens importants affectés par le projet de loi à la prévention et à la détection – l'étude d'impact parle de soixante à soixante-dix agents –, je rappelle qu'à l'heure actuelle le parquet national financier (PNF) ne peut compter que sur quinze magistrats, et je plaide pour ma part en faveur d'un doublement de ses moyens. Ne faudrait-il pas également envisager la création d'une infraction de corruption en bande organisée, afin d'étendre les moyens d'enquête et de permettre le prononcé de peines plus sévères ? Pourquoi, enfin, ne pas imaginer une exemption de peine pour les repentis, comme elle est déjà possible en matière de blanchiment ?

En ce qui concerne les lanceurs d'alerte, nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à souhaiter que ce projet de loi permette de jeter les fondements d'un socle commun des droits des lanceurs d'alerte. C'est notamment l'objet de la récente proposition de loi déposée sur le bureau de notre assemblée par Yann Galut, et la récente étude du Conseil d'État doit nous aider à donner corps à ces fondements au travers de ce projet de loi. Je ne doute pas que vous accompagnerez plusieurs de nos initiatives en la matière. Je proposerai donc dès demain en commission des Lois des amendements visant à créer un véritable régime général de protection des lanceurs d'alerte, sous la forme de sept nouveaux articles ordinaires et d'une proposition de loi organique qui a reçu l'assentiment du groupe Socialiste et de son président, Bruno Le Roux, ainsi que de sa porte-parole pour ce texte, Sandrine Mazetier. Elle répond à l'exigence que vous venez, monsieur le ministre, de rappeler : seule une autorité indépendante peut garantir l'efficacité et la protection des lanceurs d'alerte. Nous proposons de faire du Défenseur des droits, autorité dont l'indépendance est garantie par la Constitution, la clef de voûte du dispositif de traitement et de protection des lanceurs d'alerte. Afin de nous permettre de passer l'obstacle de l'irrecevabilité financière prévue par l'article 40 de la Constitution, le Gouvernement est-il prêt à nous soutenir en indiquant son intention d'abonder les moyens budgétaires et en personnel du Défenseur des droits, afin de lui permettre d'exercer les nouvelles compétences que nous entendons lui confier ?

Pour ce qui concerne le répertoire des représentants d'intérêts, je me félicite qu'après le registre de transparence européen et les registres des représentants d'intérêts de l'Assemblée nationale et du Sénat, le pouvoir exécutif se dote à son tour d'un dispositif permettant de faire la lumière sur le lobbying, sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Mais nous souhaitons aller plus loin encore, notamment sur le périmètre des acteurs publics concernés et, dans le prolongement de l'avis rendu par le Conseil d'État, étendre ce registre aux collectivités territoriales et aux intercommunalités, de plus en plus souvent l'objet des sollicitations des représentants d'intérêts. Le Gouvernement y est-il favorable ? De même, est-il favorable à l'idée que ce répertoire unique comporte « l'empreinte normative » des représentants d'intérêts, en d'autres termes qu'il retrace quelle aura été leur influence réelle ?

Dans un autre domaine, les dispositions de l'article 24 suscitent de nombreuses interrogations sur l'interprétation des conventions internationales relatives à la protection des biens des États étrangers ; nous aimerions que vous nous précisiez les intentions du Gouvernement.

Pour ce qui concerne enfin les mesures relatives aux entreprises, le projet de loi comporte de nombreuses mesures en faveur de la simplification de la vie des entreprises, qui ont été, pour la plupart, bien accueillies par leurs représentants – je parle des dispositions dont la commission des Lois s'est saisie et non de celles qu'a évoquées Frédérique Massat, au nom de la commission des Affaires économiques, dont je ne suis pas loin de partager la circonspection.

Plusieurs d'entre elles ont retenu mon attention, notamment une des dispositions de l'article 45, qui prévoit que le Gouvernement pourra prendre par ordonnance des mesures autorisant les entreprises à déposer leurs comptes annuels sous un format dématérialisé dans un délai de deux ans. Or, les représentants des entreprises y voient le risque de se faire imposer une technologie appelée XBRL – extensible Business Reporting Language –, dont certains éditeurs de logiciels et avocats font la promotion et qui est de plus en plus utilisée dans le monde. Est-ce bien l'objet de cette disposition ?

Je souligne également que deux initiatives parlementaires importantes devraient venir compléter ces mesures. La première, qui porte sur l'encadrement des rémunérations des mandataires sociaux, donnera force contraignante à la décision de l'assemblée générale des actionnaires, selon le principe du say on pay, déjà en vigueur chez les Allemands, les Anglais ou les Américains ; ce faisant, nous nous alignerons sur des standards bien connus des grandes économies occidentales. La seconde proposition fait suite aux débats que nous avons eus à l'automne dernier au sujet du reporting pays par pays – public country-by-country reporting – et vise à inscrire dans la loi des dispositions permettant sa mise en oeuvre. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelle sera votre position sur ces deux propositions ?

Sachez en tout cas que, de notre côté, nous sommes déterminés à enrichir ce texte et à ce qu'il puisse aboutir dans les meilleures conditions – je l'espère, avant la fin de l'été –, ajoutant à la loi Sapin I ce que nos amis anglais appelaient la semaine dernière « the Sapin two bill » (Sourires), qui permettra à notre pays de se poser en véritable leader européen dans le domaine de la protection des lanceurs d'alerte et de la transparence du lobbying.

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