Intervention de Didier Migaud

Réunion du 25 mai 2016 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques et Premier, président de la Cour des comptes :

Comme chaque année, je suis très heureux de venir devant votre commission, afin de vous présenter les travaux que la Cour des comptes et que le Haut Conseil des finances publiques produisent à la demande du législateur organique.

Ces travaux, qui ont vocation à éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement, sont au nombre de trois : l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015 ; l'acte de certification des comptes de l'État de 2015 ; le rapport sur le budget de l'État en 2015.

Il est important de souligner la différence de champ entre ces trois documents : l'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques, alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes de l'État, et seulement de l'État.

Afin de simplifier la présentation de ces travaux, il a paru judicieux de coupler mes interventions en tant que président du HCFP et en tant que Premier président de la Cour. Je commencerai comme président du HCFP. Pour vous présenter son avis, je suis accompagné de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, et Paul Bérard, rapporteur.

Cet avis est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l'exécution constatée en 2015 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2019. C'est la loi de programmation en vigueur, qui constituait déjà notre référence l'an dernier.

Quant au solde structurel, je rappelle qu'il s'agit du solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.

Le solde effectif, s'établit, d'après les données des comptes nationaux publiées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) le 17 mai 2015, à – 3,6 %, contre – 4,1 % prévu dans la loi de programmation. Cet écart de 0,5 point de PIB est pour l'essentiel un écart sur la composante conjoncturelle du déficit. La révision à la hausse par l'INSEE de la croissance de 2015 conduit à réduire la composante conjoncturelle du déficit, désormais estimée à -1,6 % au lieu de -2,0 % dans la loi de programmation. C'est la conséquence d'une croissance du PIB meilleure que prévu en 2014 et 2015, à la suite de révisions intervenues sur les comptes nationaux. L'estimation des mesures ponctuelles et temporaires (0 % point de PIB) est inchangée.

En 2015, le déficit structurel s'établit ainsi à 1,9 % du PIB. Le Haut Conseil constate que le déficit structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement est inférieur de 0,2 point de PIB à ce qui était prévu par la loi de programmation en vigueur.

Cependant, le Haut Conseil ne peut se contenter de ce constat, pour au moins deux raisons.

La première est que la trajectoire de solde structurel figurant dans la loi de programmation de 2014 était peu exigeante. Le Haut Conseil avait jugé à l'époque qu'elle n'était pas cohérente avec les engagements européens de la France. Il a relevé qu'après plusieurs échanges avec la Commission européenne et le Conseil de l'Union européenne, cette trajectoire a été en quelque sorte « corrigée » par le Gouvernement dans les programmes de stabilité qui ont suivi, en avril 2015 et en avril 2016. Ces documents représentent mieux les engagements européens de notre pays que la loi de programmation à laquelle le HCFP se réfère en application de la loi organique.

La seconde raison est que les résultats de 2015 mettent une nouvelle fois en évidence la sensibilité de l'indicateur de solde structurel aux révisions de la croissance du PIB. Les révisions à la hausse des chiffres de la croissance tout récemment annoncées par l'INSEE, dont la principale porte sur l'année 2014, ont eu pour effet d'augmenter le déficit structurel de 0,3 point de PIB par rapport aux estimations dont on disposait jusqu'ici. La nouvelle estimation est ainsi de -1,9 % au lieu de -1,6 %. Nous l'avions déjà constaté dans le passé : l'estimation du solde structurel peut être révisée pour des raisons indépendantes de la politique budgétaire.

Pour ces deux raisons, le Haut Conseil suggère que l'appréciation soit complétée par l'examen d'un indicateur traduisant mieux l'action des pouvoirs publics en matière de recettes et de dépenses, à savoir l'effort structurel.

À cet égard, le Haut Conseil constate que l'effort structurel réalisé en 2015, qui représente 0,4 point de PIB selon les dernières estimations, est moindre que celui prévu dans la loi de programmation (0,6 point de PIB).

Il est sensiblement inférieur aux objectifs des deux derniers programmes de stabilité (respectivement 0,8 et 0,7 point de PIB). Le constat est le même sur l'ensemble des années 2014-2015. Ces écarts aux programmes de stabilité s'expliquent pour l'essentiel par une révision à la hausse des dépenses en volume, du fait d'une inflation plus faible que prévu. Ils résultent, pour le reste, des mesures de prélèvements obligatoires un peu plus importantes que programmé.

Ces différents points feront l'objet d'analyses détaillées dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques publié par la Cour en juin.

Je conclurai mon propos sur l'avis du Haut Conseil en rappelant ses trois principales conclusions. Premièrement, le déficit structurel estimé pour 2015 est inférieur de 0,2 point à celui de la loi de programmation, s'établissant à 1,9 point de PIB au lieu de 2,1 points. Deuxièmement, ce déficit structurel, recalculé en 2015 avec les nouvelles données de la comptabilité nationale, est toutefois plus creusé que dans les programmes de stabilité d'avril 2015 et même d'avril 2016, s'établissant à 1,9 % du PIB au lieu de 1,6 %, ce qui signifie que l'effort à réaliser pour revenir à l'objectif d'équilibre structurel de moyen terme sera plus élevé. Troisièmement, l'effort structurel réalisé en 2014 et 2015 a été moins important que prévu dans les deux derniers programmes de stabilité.

À ce stade de mon propos, je m'exprime comme Premier président de la Cour des comptes pour présenter l'acte de certification des comptes de l'État et le rapport sur le budget de l'État. En préalable, je veux à nouveau attirer votre attention sur le fait que ces travaux, prévus par les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, sont consacrés uniquement au budget de l'État et au dernier exercice clos, à savoir l'année 2015. Ils ne portent pas sur les autres administrations publiques. Ils constituent, je le souhaite, une source de données, d'informations utile pour l'analyse du budget et des comptes de l'État.

La vision d'ensemble « toutes administrations publiques » vous sera apportée dans le rapport annuel que la Cour publiera en juin sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Pour vous présenter ces rapports, à mes côtés se trouvent Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de leur préparation, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes.

Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées respectivement par Emmanuel Belluteau, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, pour l'acte de certification, par les équipes animées par Guilhem Blondy et Vianney Bourquard, conseillers référendaires, ainsi que Louis-Paul Pelé, rapporteur, pour le rapport sur le budget de l'État en 2015. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy, conseillers maîtres.

J'aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail très riche, avant de répondre à vos questions.

Depuis 2006, en application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la Cour a procédé à dix reprises à un examen approfondi des comptes de l'État. Ces comptes sont arrêtés par le ministre des finances et des comptes publics. Ils sont intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous est soumis par le Gouvernement.

Dans l'acte qui est porté à votre connaissance aujourd'hui, la Cour vous apporte une opinion motivée sur la régularité, sur la sincérité et sur la fidélité de l'image que donnent les documents produits par l'État de sa situation comptable et financière. Elle porte sur la comptabilité générale de l'État. Il ne s'agit pas, en revanche, d'une appréciation quant à la sincérité de la comptabilité budgétaire de l'État.

Je vous rappelle les trois chiffres-clés, aisés à retenir, qui vous permettront d'appréhender synthétiquement le bilan de l'État au 31 décembre 2015. D'une part, le passif total s'élève à environ 2 100 milliards d'euros. D'autre part, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d'euros, à un niveau globalement stable par rapport à fin 2014. Ainsi, la situation nette de l'État est négative, d'environ 1 100 milliards d'euros. Enfin, les engagements hors bilan de l'État atteignent 3 300 milliards d'euros, soit un montant stable par rapport à fin 2014, la moitié de ces 3 300 milliards d'euros étant au titre des retraites civiles et militaires et le quart au titre de garanties accordées par l'État.

Au titre de l'exercice 2015, la Cour certifie que les comptes de l'État donnent une image fidèle de son patrimoine et de sa situation comptable et financière. Elle assortit cette certification de réserves en formulant, comme l'an dernier, cinq réserves substantielles, les mêmes que l'an dernier.

Trois d'entre elles présentent un caractère quasi systémique.

Premièrement, la Cour estime toujours que le système d'information financière et comptable de l'État reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d'erreur. Je rappelle qu'il est constitué de Chorus et de plus de 300 autres applications informatiques.

Deuxièmement, les dispositifs ministériels de contrôle interne et d'audit interne ne sont pas encore organisés et pilotés de manière satisfaisante. La Cour a néanmoins constaté cette année des progrès. Certains ministères sont désormais dotés de dispositifs d'audit conformes aux attentes. Je pense en particulier au ministère de la justice.

Troisièmement, la comptabilisation en droits constatés des produits régaliens, autrement dit du produit des impôts, des créances et des dettes fiscales, continue de pâtir des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.

Les deux autres réserves concernent à nouveau, d'une part, les immobilisations et les stocks du ministère de la défense et, d'autre part, les immobilisations financières de l'État.

Pour ce qui est des immobilisations et des stocks du ministère de la défense, des incertitudes continuent de peser sur les inventaires de stocks et de matériels militaires, sur leur évaluation, et sur le recensement et l'évaluation par le ministère de ses biens immobiliers.

En ce qui concerne les immobilisations financières de l'État, la Cour ne peut toujours pas se prononcer sur la fiabilité de l'évaluation d'un grand nombre de participations financières.

Un tableau retraçant l'évolution des réserves dans le temps vous a été communiqué dans la synthèse. Il met en évidence le fait que depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, l'administration a consenti des efforts qui ont permis la levée progressive de réserves substantielles.

Même si les cinq réserves substantielles sont inchangées depuis 2013, cela ne veut pas dire qu'aucun progrès n'a été enregistré dans cette période. Cela ne veut pas dire non plus que rien n'a changé sur le fond ni davantage qu'aucun constat d'audit nouveau n'est apparu. Et l'année 2015 en donne une illustration claire.

Comme l'an dernier, en effet, la dynamique d'amélioration se poursuit, malgré la stabilité globale apparente. De multiples évolutions, dans le bon sens, ont été relevées : 43 parties de réserves font l'objet d'une levée dans l'acte ; toutes les réserves sont concernées par ces levées, y compris celles dites systémiques, qui concernent le système d'information et le contrôle interne ; des levées interviennent sur des sujets récurrents, comme les immobilisations anciennes du ministère de la défense ou le classement comptable des établissements publics de santé.

Je le disais : l'administration continue de consentir des efforts en matière de gestion comptable et financière. Ces efforts sont importants et utiles parce qu'ils accroissent la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur et parce qu'ils agissent comme un levier décisif de modernisation des administrations.

Dans un rapport récemment publié, la Cour a dressé le bilan de la tenue par l'État d'une comptabilité générale, dix ans après son entrée en vigueur. Elle a pu en mesurer les apports, notamment dans la connaissance de sa situation patrimoniale et la modernisation de ses services. Elle a mis en évidence les progrès importants réalisés grâce au dialogue soutenu entre certificateur et certifié. Mais elle a aussi relevé une utilisation limitée de la comptabilité générale par l'administration, en particulier les gestionnaires, et par les parlementaires eux-mêmes, qui avaient souhaité la réforme comptable il y a dix ans. La Cour regrette d'autant plus cet état de fait que la bonne utilisation de la comptabilité générale devrait permettre d'identifier des leviers d'amélioration de la gestion des organismes publics – les familiers de ces sujets parlent de « chaînage vertueux ».

À cet égard, l'effort prioritaire doit être porté sur l'amélioration des conditions d'établissement des comptes et sur leur meilleure utilisation. Le souci constant doit être de proportionner les travaux à l'objectif de fournir une information comptable fiable et répondant aux besoins de ses destinataires, qu'ils soient institutionnels, financiers ou citoyens.

Il importe à cette fin de tirer davantage parti des possibilités d'automatisation et de dématérialisation, d'enrichir l'information comptable à la disposition des gestionnaires et de développer la comptabilité analytique. C'est une nouvelle étape à engager, guidée par le souci de faire de la comptabilité générale un outil utile aux décideurs et gestionnaires publics.

Afin de prolonger la réflexion, la Cour organisera le 30 juin prochain, conjointement avec le Sénat, un colloque sur ce sujet.

Ce travail apporte un éclairage sur les finances de l'État, en analysant l'exécution budgétaire de l'année 2015. Il permet de l'apprécier au regard des prévisions budgétaires initiales, mais aussi de la comparer avec l'exercice budgétaire précédent.

Pour la première fois cette année, il comporte en outre un chapitre consacré à une problématique de gestion budgétaire : le thème retenu cette année, central pour la politique budgétaire, est celui des normes de dépenses de l'État. Ces normes constituent les dispositifs d'encadrement de l'évolution de ces dépenses d'une année sur l'autre. Le chapitre s'efforce de dresser un bilan de leur mise en oeuvre depuis leur instauration en 1996.

Ce rapport est livré avec 58 analyses de la gestion des missions budgétaires et cinq analyses spécifiques : deux sur l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales ; une sur les dépenses fiscales ; et, pour la première fois aussi cette année, deux sur les prélèvements sur recettes, au profit respectivement des collectivités territoriales et de l'Union européenne. Au total, ce sont plus de 2 500 pages, 2 586 pages précisément, qui sont mises à votre disposition.

Je le disais dans mon introduction générale : ce travail ne traite que du seul budget de l'État en 2015 et non de l'ensemble des finances publiques. C'est en juin que la Cour livrera ses constats sur la situation et les perspectives des finances publiques, dans un rapport qui couvrira le périmètre « toutes administrations publiques ».

Dans son rapport sur le budget de l'État en 2015, la Cour a dressé six constats. Premièrement, le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions mais en faible amélioration par rapport à 2014, hors éléments exceptionnels. Il reste à un niveau élevé. Deuxièmement, le ralentissement de la croissance de la dette par rapport aux années précédentes est lié principalement à la politique d'émission. Troisièmement, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions. Quatrièmement, la maîtrise des dépenses est partielle et ses résultats restent fragiles. Cinquièmement, le périmètre des normes de dépenses doit être clarifié puis stabilisé et leur suivi rendu plus transparent. Enfin, le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l'effort en faveur d'une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience, et si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques qu'ils ont arrêtée.

Le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions, mais en faible amélioration par rapport à 2014, hors éléments exceptionnels, de sorte qu'il reste à un niveau élevé. Le déficit budgétaire de 70,5 milliards d'euros est inférieur de 15,1 milliards d'euros à celui de 2014 et de 3,9 milliards d'euros à celui prévu en loi de finances initiale (LFI).

Par rapport au déficit enregistré en 2014, on pourrait avoir l'impression d'une forte amélioration. Mais, comme la Cour le fait remarquer chaque année, l'appréciation du niveau de déficit doit se faire après l'avoir retraité des éléments exceptionnels intervenus. Pour 2015, il s'agit notamment, d'une part, du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA) et, d'autre part, du versement au mécanisme européen de stabilité (MES). Une fois ce retraitement opéré, le déficit budgétaire ne s'améliore plus, en réalité, que de 0,3 milliard d'euros, ce qui est relativement faible. Il faut toutefois relever que cette faible amélioration a été obtenue alors que la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et la compensation à la sécurité sociale du pacte de responsabilité et de solidarité ont pesé sur le budget de l'État à hauteur respectivement de 5,4 et 5,1 milliards d'euros. Au sein des administrations publiques, c'est en effet le budget de l'État qui a supporté la totalité de la politique d'amélioration de la compétitivité des entreprises décidée par le Gouvernement et mise en oeuvre depuis trois ans.

Au total, le déficit reste à un niveau toujours élevé en valeur absolue, puisqu'il s'élève à 70,5 milliards d'euros. Il représente près de trois mois de dépenses du budget général, ce qui est équivalent au budget de l'enseignement scolaire ou au produit de l'impôt sur le revenu.

En deuxième lieu, la Cour observe que le ralentissement de la croissance de la dette est lié principalement à la politique d'émission. Fin 2015, la dette financière négociable de l'État atteignait 1 576 milliards d'euros. Cette augmentation de 48 milliards d'euros est conséquente mais inférieure à celle enregistrée en 2014. Elle est surtout inférieure au déficit de l'année 2015.

Ce ralentissement s'explique par les spécificités de la politique d'émission de l'Agence France Trésor (AFT) dans l'environnement actuel de taux bas. La politique d'émission d'obligations par l'État a été telle que l'Agence France Trésor a encaissé en 2015 des primes à l'émission à hauteur de près de 23 milliards d'euros. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur le mécanisme qui l'explique.

En tout état de cause, une grande partie de ce montant a été mobilisé pour réduire l'encours de la dette à court terme. Cette politique d'émission a permis une déconnexion entre la croissance de la dette et le niveau du déficit. Mais cette déconnexion n'est que temporaire. La dette rattrapera progressivement le niveau qu'elle aurait atteint en l'absence de cette politique. Et les primes à l'émission encaissées en 2015 auront leur contrepartie dans le paiement de coupons plus élevés dans les prochaines années.

Selon l'AFT, cette particularité de la politique d'émission, relevée en 2015 et qui semble se prolonger, à un degré moindre, sur 2016, vise à répondre à la demande des investisseurs et aux évolutions de cette demande provoquées par la politique d'achats de la Banque centrale européenne (BCE). Elle a permis en 2015 de protéger la dette française du risque de remontée des taux en réduisant la part de dette à court terme dans la dette totale, celle-ci s'étant fortement accrue après la crise de 2008. Ces objectifs sont prudents : vouloir optimiser la charge budgétaire de la dette à n'importe quel risque serait contre-productif. En revanche, il serait erroné d'interpréter le ralentissement temporaire de la croissance de la dette observé en 2015 comme une amélioration structurelle des finances de l'État.

À cet égard, comme je le rappelais tout à l'heure, la situation nette de l'État est négative d'environ 1 100 milliards d'euros en 2015, soit quatre mois de produits régaliens, contre seulement deux en 2008.

Troisième constat de la Cour : en 2015, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions.

Les recettes fiscales nettes se sont élevées à 280,1 milliards d'euros, soit 1 milliard d'euros au-dessus des prévisions de la LFI. L'évolution spontanée, c'est-à-dire à législation constante, des recettes fiscales a été conforme aux évaluations initiales pour plusieurs raisons : grâce à des prévisions macroéconomiques réalistes, à des prévisions prudentes d'élasticité des recettes, et grâce à un bon rendement du contrôle fiscal. Le léger surcroît de recettes fiscales par rapport à la LFI s'explique par des recettes 2014 un peu plus élevées que prévu, de 1,9 milliard d'euros. L'amélioration de la qualité et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales est indéniable. C'est un progrès à saluer.

L'impact des mesures fiscales a été inférieur à celui estimé en LFI, à savoir une baisse de 0,8 milliard d'euros, en raison d'une montée en charge plus rapide du CICE. Son coût s'est élevé à 12 milliards d'euros en 2015. Cette sous-évaluation du CICE a été en partie compensée par des événements favorables non reconductibles en 2016 : régularisation versée par EDF au titre des années antérieures ; moindres remboursements dans le cadre des contentieux communautaires ; et rendement élevé de la réforme des délais de paiement des droits de succession.

L'augmentation plus rapide que prévu du coût du CICE a conduit à dépasser les plafonds annuels de dépenses fiscales et de crédits d'impôt prévus par la loi de programmation, en l'absence de mesure visant à réguler le niveau des autres dépenses fiscales. Dans ce contexte, un renforcement des dispositifs de maîtrise des dépenses fiscales est indispensable pour concentrer les moyens sur des dispositifs ciblés, cohérents avec les objectifs de politiques publiques. Les évaluations de dépenses fiscales sont trop rares pour alimenter des propositions de réformes argumentées. Et les conférences fiscales encore dépourvues de résultats concrets.

J'en viens au quatrième constat de la Cour : la maîtrise des dépenses de l'État est partielle et ses résultats sont fragiles.

D'une part, la maîtrise des dépenses est partielle. Les dépenses nettes du budget général de l'État en 2015 se sont élevées à 296,5 milliards d'euros, soit un niveau très proche de la LFI. Des redéploiements importants ont eu lieu en cours d'année. Des mesures nouvelles ont modifié la répartition des dépenses. Je pense notamment à l'augmentation des contrats aidés, aux mesures rendues nécessaires par les sous-budgétisations concernant notamment les opérations militaires extérieures, par les refus d'apurement communautaire au titre de la politique agricole commune, à l'allocation aux adultes handicapés ou encore à l'hébergement d'urgence des migrants. Les dépenses supportées par le budget général ont été aussi accrues par le transfert de dépenses d'investissement militaire qui devaient initialement être financées sur un compte d'affectation spéciale. Certains mouvements de rebudgétisation ont permis d'aller dans le sens d'un meilleur respect du principe de l'unité budgétaire. Ce principe vise à garantir au Parlement un contrôle sur le périmètre de dépenses publiques le plus étendu possible.

En revanche, le premier plan de lutte anti-terroriste a eu un impact encore limité sur 2015 en raison de recrutements concentrés sur la fin de l'année. Les conséquences sur l'équilibre global de ces dépenses supplémentaires ont été limitées. Cela est dû à une charge de la dette plus faible que prévu de 2,2 milliards d'euros et à une forte sollicitation de la réserve de précaution.

Par rapport à 2014, après prise en compte de ces éléments exceptionnels et de ces effets de périmètre, les dépenses 2015 ressortent à 299,2 milliards d'euros, en augmentation de 2,6 milliards d'euros.

Ce diagnostic mitigé sur la maîtrise des dépenses est conforté si on examine les deux autres objectifs figurant dans l'exposé des motifs de la LFI 2015, concernant les économies et les normes de dépenses.

L'objectif d'économies sur les dépenses de l'État et de ses opérateurs, hors charge de la dette, hors pensions et hors PIA, s'élevait à 7,3 milliards d'euros par rapport à la LFI 2014. Les économies sur l'État et les opérateurs imputables à l'exercice 2015 ne représentent finalement selon la Cour que 1,7 milliard d'euros. Elles correspondent à hauteur de 60 % à des prélèvements sur le fonds de roulement d'organismes publics qui ne sont pas reconductibles en 2016.

Sur le périmètre de la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions, les dépenses sont inférieures à l'exécution 2014 de 1,4 milliard d'euros, mais supérieures à l'objectif de la LFI de 1,3 milliard d'euros.

La révision à la baisse de l'inflation a permis de faciliter la tenue de la norme de dépenses de l'État. Elle a conduit mécaniquement à diminuer la charge d'intérêts, une partie de la dette étant indexée sur l'inflation. Par ailleurs, initialement fixée à 282,6 milliards d'euros, la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions a été assouplie en fin d'année. Elle a été portée à 284 milliards d'euros, notamment pour prendre en compte le transfert sur le budget général de dépenses d'investissement militaire initialement financées sur un compte d'affectation spéciale. Les dépenses dans le périmètre de la norme ainsi révisée se sont élevées selon le Gouvernement à 283,9 milliards d'euros.

La Cour constate que des contournements de la charte de budgétisation ont permis de minorer ce montant d'environ 3 milliards d'euros. Ces contournements ont notamment pris la forme d'une substitution de recettes affectées à des crédits budgétaires, notamment pour le financement des infrastructures de transport à hauteur de 1,1 milliard d'euros, le remboursement de la dette à la sécurité sociale pour 0,6 milliard d'euros ou la réforme du financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle, pour 0,5 milliard d'euros.

D'autre part, la maîtrise des dépenses, partielle, repose sur des bases fragiles. Ces bases ne sont pas toutes reconductibles les années suivantes. L'évolution est en effet contrastée selon la nature des dépenses.

Les transferts de l'État aux collectivités territoriales et ses concours aux opérateurs sont stabilisés après des années d'augmentation rapide. Des économies de constatation sur la charge de la dette mais aussi le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ont offert des marges de manoeuvre en gestion.

En revanche, l'effort est faible sur le périmètre propre de l'État. Les dépenses de personnel ont augmenté pour la deuxième année consécutive passant à 121,1 milliards d'euros en 2015, après 120,2 milliards d'euros en 2014 et 119,6 milliards d'euros en 2013. L'État a créé des emplois publics, à savoir 2 625 équivalents temps plein travaillé pour la première fois depuis 2002. Ses dépenses de fonctionnement et d'investissement ont aussi fortement progressé.

Le cinquième constat de la Cour est d'une nature un peu différente, car il ne porte pas seulement sur l'exécution 2015. Le bilan de vingt ans d'utilisation des normes de dépenses en France conduit la Cour à recommander que le périmètre des normes de dépenses soit clarifié puis stabilisé. Leur suivi devrait être rendu plus transparent.

La norme de dépenses est une règle d'évolution à périmètre constant des dépenses que l'État s'impose depuis 1996. Au fil du temps, les fonctions de la norme se sont diversifiées. Elle ne constitue plus seulement un outil de pilotage interne des gestionnaires, mais aussi un moyen d'expression externe de la stratégie budgétaire du Gouvernement. Elle est approuvée par le Parlement dans la loi de programmation pluriannuelle depuis 2009. Il est désormais indispensable de clarifier les périmètres de deux normes et d'assurer un meilleur suivi. La Cour propose de renforcer la distinction entre une norme de gestion comprenant les dépenses maîtrisables annuellement par l'administration et une norme globale, plus large et plus directement cohérente avec les objectifs généraux de finances publiques. Elle recommande en outre que le Gouvernement rende publique régulièrement en cours d'année une prévision d'exécution des dépenses sur le périmètre des deux normes.

J'en viens à ma sixième et dernière observation. Il s'agit aussi d'une transition vers les constats que je serai amené à partager avec vous le mois prochain dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l'effort en faveur d'une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience qui apparaissent à l'analyse, et si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques qu'ils ont arrêtée.

Les risques budgétaires sont significatifs pour l'État à moyen terme. La montée en charge du CICE et celle du pacte de responsabilité et de solidarité devront être financées dans la durée. En dépenses, des engagements juridiques importants ont été pris en 2015 concernant notamment le fonds de soutien des collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts toxiques, le plan France très haut débit ou les grands programmes d'armement. S'y ajoutent les décisions concernant la politique de recrutement de l'État, sa politique salariale, la programmation militaire ou le deuxième plan de lutte anti-terroriste, qui auront des conséquences sur la programmation pluriannuelle 2017-2019. Ces conséquences ne sont pas encore complètement mesurées.

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