L'avis du Haut Conseil des finances publiques a ouvert un débat sur la croissance potentielle et le solde structurel. Les estimations de cet écart de production sont en effet différentes selon qu'elles émanent du Gouvernement ou de la Commission européenne : un point tout de même, c'est considérable. Sur cette base, il n'est pas possible d'avoir un débat transparent et clair sur ces notions.
Il est utile de pouvoir raisonner indépendamment de la conjoncture. Par ailleurs, j'ai vu l'initiative des parlementaires à destination de la Commission européenne. Le Haut Conseil apportera sa contribution au débat, qu'il en soit saisi ou qu'il s'autosaisisse. Nous avons dit que la croissance potentielle et l'évolution tendancielle du rythme de la dépense sont des notions qui méritent d'être précisées. Est-ce faire preuve d'euroscepticisme, comme vous nous le reprochez, madame Berger ? Ce n'est pas la question, il s'agit surtout d'être le plus clair possible.
S'agissant de la loi de programmation, le Haut Conseil n'a fait référence qu'une seule fois à celle de 2012, car nous raisonnons par rapport à la loi de programmation de 2014, comme nous y oblige la loi organique. Qu'est-ce qui représente au fond, de la manière la plus honnête, les engagements du Gouvernement français, des programmes de stabilité ou de la loi de programmation ? Cette dernière a été corrigée après les observations du Conseil et de la Commission européens. Nous estimons que nous sommes en ligne avec la programmation de 2014, mais que nous restons en-deçà des engagements pris dans les programmes de stabilité pour 2015 et 2016.
Mécaniquement, compte tenu des corrections apportées et révisions opérées par l'INSEE, les efforts structurels à fournir seront plus grands si le Gouvernement s'en tient à la trajectoire négociée avec la Commission européenne. Or le Gouvernement veut que cet effort repose seulement sur la dépense. Le constat s'impose, même s'il appartient aux politiques d'en tirer les conséquences.
Le débat sur le solde structurel, la croissance potentielle et le déficit nominal ou structurel recouvre des enjeux importants. Car la surestimation de la croissance potentielle conduit à sous-estimer le déficit structurel, minorant l'effort à fournir pour atteindre l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme. Il est bon qu'il y ait un approfondissement de la réflexion au niveau européen, quoiqu'il puisse demander du temps. Les estimations varient en effet selon qu'elles viennent du Gouvernement, de la Commission européenne, de la Banque de France, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou même du Centre d'observation économique et de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (COE-REXECODE).
J'en viens à la certification des comptes. Des progrès ont été constatés, malgré le maintien de cinq réserves substantielles. Des interrogations subsistent aussi sur la mission Défense. Mais nous constatons que des efforts importants ont été réalisés, quoique ces progrès aient été sous-utilisés, tant par les gestionnaires que par vous-mêmes. L'on utilise encore trop peu la comptabilité nationale et la comptabilité générale pour faire en sorte qu'elles puissent fournir de meilleurs leviers d'amélioration de la gestion publique. Le chaînage n'est pas encore suffisant entre ces travaux de certification et l'amélioration de la gestion publique.
Quant à l'évolution de la dette et au fait que son augmentation ne corresponde pas à la totalité du déficit, il faut en effet tenir compte de la politique d'émission. Une telle politique a déjà été pratiquée et elle s'observe aussi dans d'autres pays. Mais elle a été pratiquée de manière particulièrement forte chez nous en 2015. L'objectif de réduire le stock de la dette à court terme peut être tout à fait louable, mais cela conduit à un simple report de la charge de la dette. Cela se traduira donc dans l'avenir, même si l'effet en sera étalé. Évitons donc une illusion d'optique : le ralentissement de l'endettement n'est que temporaire.
À la page 83 de notre rapport, ce sont l'ensemble des transferts de l'État vers les collectivités territoriales qui sont évoqués. Le prélèvement sur recettes (PSR) n'en constitue qu'un parmi d'autres. Si une certaine stabilité des transferts s'observe au niveau global, la réduction du PSR n'en est pas moins réalité. Elle ne correspond pas forcément à des économies dans le budget de l'État, n'ayant d'ailleurs pas cet objectif, mais celui de pousser plutôt les collectivités territoriales à faire des économies. Ces dernières peuvent cependant tout aussi bien emprunter davantage ou augmenter les impôts locaux, de sorte que les dépenses ne sont pas chez elles la seule variable d'ajustement.
J'y reviendrai dans ma présentation sur les administrations publiques, fin juin, ainsi que dans le rapport que nous publions fin octobre sur les finances des collectivités territoriales. Leurs dépenses augmentent davantage que celles de l'État, même si le rythme de cette progression baisse, tout comme ralentit la progression des dépenses de l'État. Nous ne constatons pas de maîtrise réelle des dépenses, mais nous convenons d'un mieux par rapport au début des années 2000, et même par rapport à l'ensemble de cette décennie, puisque les dépenses ne progressent plus aujourd'hui qu'au rythme de 0,9 % par an. Si c'est mieux qu'avant, nous avons encore des marges de progression, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience que nous nous efforçons de faire apparaître.
C'est pourquoi nous vous invitons à entrer, comme rapporteurs spéciaux, dans le détail de l'exécution des dépenses par mission. Pour cela, il faut prendre en compte le plafond d'emplois et les crédits votés par vous. Il est rare que les crédits votés par vous permettent de financer les missions à hauteur de ce plafond d'emplois, comme cela s'observe sur la mission Justice ou sur la mission Défense. Malgré les créations d'emplois annoncées, l'on s'y trouve encore sous le plafond d'emplois. De temps en temps, les crédits supplémentaires sont votés alors que les crédits initiaux n'ont pas encore été consommés… Cela montre que le travail sur l'exécution budgétaire est un travail essentiel. Seule la France fonctionne ainsi, à partir de la loi de finances initiale et des annonces ultérieures, alors que les autres pays s'appuient sur la comptabilité d'exécution.
Certes, l'État réalise des efforts, mais pas à la hauteur qu'il le dit et certainement pas à la hauteur des objectifs affichés dans les programmes de stabilité. À cet égard, je signale que nous avons toujours pratiqué le retraitement sur le plan budgétaire pour éviter que des événements exceptionnels ne faussent les comparaisons. Nous raisonnons aussi en comptabilité nationale, même si la comptabilité budgétaire importe aussi, car il est toujours utile de mesurer les écarts avec la loi de finances initiale.
J'en viens à la question des normes de dépense. J'ai entendu que la Cour conteste ou dénonce… Non, elle se borne à constater des écarts. Et nous pouvons voir une réduction du budget qui est moins importante que ce qui avait été annoncé, comme le confirme la comptabilité nationale. De même, nous produisons aussi des travaux sur l'insuffisance des contrôles, qui portent sur la fraude aux cotisations sociales et aux prestations sociales ou sur la fraude fiscale.
Je mettrai finalement en garde contre le raisonnement qui consiste à dire qu'une croissance accrue pourrait apporter prochainement plus d'inflation et une hausse des recettes. Nous pouvons tout aussi bien rester longtemps sur une croissance molle, tandis que les taux d'intérêt remonteraient et avec eux la charge de la dette. Vous connaissez la sensibilité de la France sur ce point. Dans le même temps, d'autres pays avancent, progressent et respectent leurs engagements.