Intervention de Jean-Louis Beffa

Réunion du 18 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jean-Louis Beffa :

Les politiques européennes déterminantes en matière industrielle touchent au commerce extérieur et à la concurrence. Et là, il faut inverser la tendance. Il n'est pas de tradition en Europe d'instaurer des droits anti-dumping comme le font les États-Unis ou la Chine. Les États-Unis ont très vite taxé à 30 % les panneaux photovoltaïques chinois, alors que l'Union européenne, elle, n'a rien fait. L'une des entreprises allemandes du secteur vient ainsi d'être reprise par un groupe chinois. Autre exemple de décision devant laquelle les bras vous en tombent : la Commission européenne a bloqué la fusion entre NYSE Euronext et la Bourse allemande, ce qui aurait pourtant permis de créer le numéro un mondial du secteur. Ce manque total de nationalisme européen fait bien rire en Asie !

Force est de constater qu'à l'Agence pour l'innovation industrielle, nous avons eu de bien meilleurs programmes émanant d'entreprises familiales de taille moyenne comme Mérieux que nous n'en avons eu des grands groupes. Je veillais toujours dans les contrats à ce que dans tous les programmes il y ait un chef de file mais aussi à ce que les grands groupes n'abusent pas des PME. Lors de la fusion entre l'AII et OSEO, ce n'est hélas pas un chef d'entreprise qui a pris la tête de la nouvelle entité. Par ailleurs, aucun programme d'un coût supérieur à 10 millions d'euros n'était accepté, ce qui était une erreur car certains programmes exigent une taille suffisante. Il ne faut pas opposer PME et grands groupes. Il faut aider les deux, de façon différente et adaptée à chacun.

Pour les PME, j'ai une proposition immédiate à faire. La future banque publique d'investissement ne doit pas seulement leur accorder des crédits mais aussi, sans interférer dans la gouvernance de ces entreprises familiales, les doter de fonds propres à long terme. La meilleure façon de répondre aux besoins des PME, ce sont les actions à dividende prioritaire, qui sont un moyen de lever des fonds sans diluer le capital puisque les détenteurs de ces actions ne disposent pas de droit de vote.

S'agissant du modèle social français que je ne considère d'ailleurs pas franco-français mais plus largement européen, bien sûr qu'il faut conserver cet acquis ! Imagine-t-on que l'on puisse comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne recevoir un simple courrier et être licencié dans les six mois ?

Un mot des pôles de compétitivité. Très utiles, ils gagneraient à être davantage structurés en projets. Partout une entreprise chef de file devrait s'engager avec les autres à investir puis à produire à l'issue des programmes. Il est dommage qu'on s'en tienne trop souvent à de la concertation et que cela ne se traduise pas assez par des réalités concrètes sur le terrain.

Quant aux clusters, ils existent dans les pôles de compétitivité de grande taille, comme à Grenoble, Lyon ou Toulouse. Mais rien n'empêche d'être moins formel et de faire preuve de souplesse. Ainsi Saint-Gobain s'est-il associé au pôle de compétitivité Céramiques industrielles créé à Limoges, bien que son centre de recherches soit à Cavaillon mais comment le groupe aurait-il pu rester en dehors alors que c'est lui qui mène les recherches les plus approfondies en France en ce domaine ?

Dans toutes mes propositions, je ne demande pas que l'État se substitue aux entreprises mais crée un contexte favorable non seulement à l'activité économique mais aussi à un dialogue entre syndicats et entreprises. Ce dialogue n'est d'ailleurs possible que si l'État ne se substitue pas aux entreprises.

Un dernier mot sur Florange et Arcelor Mittal. Je n'ai bien évidemment rien contre la sidérurgie et quand j'étais président de Pont-à-Mousson, j'ai prouvé que je défendais l'industrie lorraine. Nous avions modernisé les trois usines lorraines du groupe, nous gardant de construire alors des usines de bord de mer qui, par nature, les auraient condamnées, et ces trois usines sont toujours là. Cela ne m'empêche pas d'avoir mon opinion sur le projet Ulcos, qui vise à capter le CO2 issu de l'industrie sidérurgique et dont le coût s'élève à 600 millions. L'Allemagne a refusé de s'orienter dans cette voie. Le but, chacun le sait, est de sauver les hauts fourneaux d'Arcelor Mittal en Lorraine. Soit, sachant d'ailleurs que l'on ne fera que sauvegarder les emplois actuels. Mais pour un même montant de 600 millions, on pourrait créer deux usines les plus modernes d'Europe en matière d'énergies nouvelles. Vaut-il mieux conserver une activité qui de toute façon n'aura pas de débouchés même si le projet marche ou implanter des usines à même de créer des emplois nouveaux ? Le problème, je ne l'ignore pas, est que ce ne seront pas les mêmes emplois. Or, la sidérurgie en Lorraine est une activité historique, qui parle au coeur des habitants et dont le destin suscite toujours une vive émotion. Je vous prie de m'excuser d'avoir, en tant qu'ingénieur, parlé avec la raison, sans l'implication sur le terrain que peuvent avoir les élus de la région – que je comprends parfaitement. Mais il faut aussi parfois dire les chiffres.

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