Intervention de Yves Fromion

Réunion du 24 mai 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion :

Pour avoir effectué avec mon collègue Joaquim Pueyo une étude approfondie de l'opération Sophia dans le cadre des travaux de la commission des Affaires européennes, je ne peux pas partager tout à fait votre point de vue. Certes, cette opération a permis de sauver nombre de vies ; c'est sa dimension humanitaire, mais c'est là son seul succès. Car, comme vous l'avez vous-même dit, on ne peut pas dire que l'opération ait vraiment permis de couper les flux de migrants organisés par les passeurs : ceux-ci ne s'aventurent certes plus dans les eaux internationales – ils sont bien trop malins pour cela –, mais ils envoient les migrants en embarcation de type Zodiac vers la limite des eaux territoriales, où les navires de l'opération Sophia les prennent en charge : à cet égard, on pourrait voir Sophia moins comme une opération de sauvetage en mer que comme une opération de transport de migrants !

Bien sûr, on peut nous dire qu'ainsi, les passeurs ne récupèrent pas leurs bateaux. Mais quand on sait que leur bénéfice moyen s'élève à 100 000 euros pour le transport d'une centaine de migrants sur une embarcation de type Zodiac, et à 400 000 euros pour quatre cents migrants sur de petits bateaux hors d'âge et de faible valeur, on se rend compte que la perspective de perdre leur embarcation n'est certainement pas très dissuasive…

Par ailleurs, les zones de départ des passeurs sont pour beaucoup contrôlées par Daech, auquel les passeurs paient leur dîme. Nous nous retrouvons par conséquent dans une situation invraisemblable, où les choses se passent comme si nous avions un deal de fait, et bien involontaire, avec Daech ! Les marins que j'ai rencontrés sur le porte-avions italien Cavour en conçoivent même un certain malaise. Le secrétaire général du Service européen d'action extérieure, M. Alain Le Roy, me disait récemment que la situation pourrait se débloquer grâce à des perspectives de coopération plus poussée avec l'État libyen, notamment en améliorant leurs capacités de patrouille maritime. Mais pour l'heure, nos résultats ne paraissent pas glorieux : nous faisons certes avec succès du sauvetage en mer, c'est-à-dire de l'humanitaire, mais contre les trafics, faute d'entrer dans les eaux territoriales, le résultat est pratiquement nul. Il faut donc rapidement trouver avec les autorités libyennes un accord permettant d'entrer autant que possible dans les eaux libyennes pour avoir, si j'ose dire, une attitude plus offensive.

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