Monsieur Boisserie, s'agissant des moyens nécessaires pour l'accomplissement de nos missions dans la troisième phase de l'opération, je suis d'accord avec vous : si nous ne les avons pas, il ne sert à rien de se lancer dans cette « phase 3 ». C'est là d'ailleurs un processus classique dans toute opération militaire : on demande les moyens nécessaires avant d'engager une mission. Quant à savoir si nous les obtiendrons pour passer en « phase 3 », je n'ai aucune certitude, mais je n'ai pas non plus d'inquiétude particulière. En tout état de cause, nous n'en sommes pas encore à cette étape, et il ne s'agira que de moyens somme toute limités : pour des opérations de va-et-vient à partir d'un bâtiment amphibie, l'ordre de grandeur est de cent ou deux cents personnes.
Pour ce qui est de l'articulation avec l'opération de l'OTAN en Méditerranée, notre coopération est pour l'heure officieuse : je rencontre très régulièrement les responsables de l'OTAN, tous les quinze jours, et notre communication est très bonne. Les deux opérations sont toutefois très différentes. En effet, non seulement nous n'avons pas la même chaîne de commandement, mais nous n'avons pas les mêmes missions : l'OTAN renforce les garde-côtes grecs et turcs dans un espace maritime relativement restreint en mer Égée, alors que nous couvrons un vaste espace maritime dans les eaux internationales. De plus, nous avons des objectifs, certes ambitieux, mais précis ; la mission de l'OTAN est moins définie. Nous coopérons cependant pour bénéficier de certaines capacités que possède l'OTAN et dont nous avons besoin, par exemple en matière de renseignement et de logistique, dont il faut préciser qu'elles sont fournies par les mêmes États contributeurs que ceux de Sophia.
Monsieur Fromion, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Certes, le flux de migrants n'a pas été réduit. Si les bateaux des passeurs sont facilement rentabilisés même quand ils sont perdus, force est de constater que les embarcations en bois disponibles dans la région sont devenues rares : il y en a peu désormais sur le marché. L'époque à laquelle vous avez été reçu sur le Cavour correspond probablement à celle où les groupes affiliés à Daech opéraient autour de Zuwarah ; ils sont aujourd'hui concentrés plutôt à l'est de Tripoli. Globalement, la Tripolitaine est assez préservée de Daech, contrairement au golfe de Syrte et à la Cyrénaïque. Mais, même dans cette dernière zone, il y a relativement peu de phénomènes migratoires. Aussi, nous ne croyons donc pas beaucoup à l'idée que notre opération alimente Daech, même si vous avez raison de dire que les passeurs paient probablement leur dîme à Daech dans les zones qu'ils contrôlent. En tout état de cause, je ne pense pas que l'on puisse parler d'un « deal » avec Daech…