Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 24 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Cette audition est bienvenue, car le Gouvernement a décidé d'aller encore plus loin que ce qui avait été annoncé précédemment. Par ailleurs, les actions que nous menons sont très mal connues, j'en veux pour preuve le nombre de courriers que je reçois de la part d'élus locaux et de parlementaires. Leurs préoccupations relatives aux difficultés rencontrées dans leurs communes et circonscriptions sont certes légitimes, mais elles ignorent les progrès rendus inéluctables par les politiques que conduit le Gouvernement.

J'avoue éprouver une certaine frustration, due à la difficulté rencontrée pour nous faire comprendre sur certaines questions très techniques, alors même que les demandes de nos concitoyens sont très pressantes. Ainsi, il y a quelques semaines, j'ai participé à l'émission télévisée Envoyé spécial : après deux heures d'échange, ce qui serait la politique du Gouvernement dans ce domaine a été résumé en quelques secondes, et la conclusion a été que l'État serait impuissant à agir !

Ce n'est absolument pas la réalité, et l'une des raisons de ma présence aujourd'hui procède de la volonté de sortir d'une certaine démagogie consistant à prétendre soit que l'État, les collectivités locales et les pouvoirs publics en général ne font rien, soit qu'il suffirait d'implanter un pylône dans chaque territoire. Or le jeu de la concurrence et les partenariats entre acteurs publics et privés font que la réalité territoriale et géographique est tout autre, ce qu'il convient d'expliquer.

Un certain nombre de documents vous ont été distribués (Ces documents sont publiés en annexe au présent compte rendu). Dès demain, ils seront consultables sur le site internet du secrétariat d'État, car nous tenons à ce que nos concitoyens et les élus puissent être informés. Par ailleurs, à l'issue de cette audition, j'animerai avec le Président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, le « mardigital » consacré au civic tech, à la « démocratech » et aux startups très innovantes qui utilisent des outils numériques afin de réinventer le dialogue démocratique.

La méthode à laquelle recourt le Gouvernement pour l'aménagement numérique du territoire est fondée sur un double postulat : l'ensemble du territoire doit être couvert pour des raisons d'équité et d'égalité ; le numérique constitue une chance pour les zones rurales. C'est pourquoi il ne s'agit pas d'une simple phase de « rattrapage » des campagnes par rapport aux villes. De fait, l'e-administration, la télémédecine, l'utilisation du big data, les réseaux d'objets connectés développés par les entreprises innovantes, y compris par les PME, impliquent une bonne connexion. Aujourd'hui, l'innovation peut pénétrer partout dès lors que l'on dispose de deux choses : une bonne idée et une bonne connexion.

Ce pari de l'avenir pour les zones rurales est celui que fait le Gouvernement. Ce n'est pas le cas de tous nos partenaires européens : au Royaume-Uni ou en Allemagne, même si l'état de la couverture mobile ou du réseau cuivre est meilleur dans certains centres urbains démographiquement très denses, il n'est pas prévu de mailler l'ensemble du territoire pour satisfaire les besoins de l'ensemble de la population.

Notre approche est par ailleurs pragmatique, car la transparence est le meilleur moyen de sortir des caricatures et de la démagogie.

J'aborderai les thèmes suivants : l'importance de la couverture numérique des territoires ; la stratégie adoptée autour de principes clés ; les avancées résultant du projet de loi pour une République numérique, adopté à l'unanimité moins une voix à l'Assemblée nationale, à l'unanimité tout court au Sénat, et qui fera l'objet d'une commission mixte paritaire (CMP) le 29 juin prochain, et le plan « France très haut débit », qui concerne les réseaux fixes comme la couverture mobile.

Nous fondons notre action sur le principe que les services numériques innovants doivent se développer, mais que c'est impossible en l'absence du socle que constituent les infrastructures et le réseau. C'est pourquoi l'universalité de l'accès doit être garantie. Pour obtenir ce résultat, il convient de traiter tous les aspects, qu'il s'agisse du téléphone fixe ou de son extension à la couverture mobile, en jouant sur la convergence des technologies. Il est en effet établi que, lorsque la fibre permet l'accès à internet en très haut débit, elle permet aussi la couverture mobile ; des technologies récentes rendent possible le déploiement de la téléphonie fixe à partir d'antennes mobiles.

Il convient donc de combiner toutes les technologies, sachant que ce n'est réalisable qu'avec l'accord des collectivités locales, qui sont nos partenaires et connaissent la réalité des besoins locaux, et des opérateurs privés, qui déploient pylônes et réseaux fixes et investissent massivement pour cela.

Nous connaissons actuellement une phase de transition au regard du programme très ambitieux lancé en 2012, qui commence à peine à porter ses fruits, alors même que les attentes de nos concitoyens sont plus pressantes que jamais. Or le seul raccordement FTTH – acronyme de Fiber to the Home – prend douze à dix-huit mois. Je rappelle par ailleurs qu'aujourd'hui nos entreprises sont en sous-capacité de production de fibre optique par rapport à la demande, au point qu'il est envisagé d'en importer. Je pourrais encore évoquer la formation des ouvriers, jusque-là habitués à l'entretien des réseaux de l'ADSL (haut débit) et qui doivent se familiariser avec la fibre. Les dossiers de financement sont parfois très difficiles à monter, car il faut s'entendre avec les partenaires locaux afin d'établir des plans portant sur cinq, dix ou quinze années.

Il n'est donc pas étonnant qu'un programme lancé en 2012 ne fasse sortir de terre les premières prises qu'aujourd'hui, et aucune baguette magique n'existe qui permettrait de supprimer une « zone blanche » en trois mois. La seule implantation d'une antenne demande six à douze mois, avec des injonctions contradictoires, entre lesquelles nous devons trancher : faut-il garantir des prix très bas – les prix du mobile en France comptent parmi les plus bas d'Europe – ou un investissement structurel à long terme de la part des opérateurs ? Faut-il prôner la rapidité d'implantation des antennes, ou la concertation avec l'ensemble des acteurs locaux, notamment les associations qui militent contre ces implantations afin de protéger les personnes électrosensibles ?

La stratégie globale s'articule autour des trois axes que constituent les infrastructures, les nouveaux usages et les nouveaux services ; elle fait l'objet de l'article 35 du projet de loi pour une République numérique, qui, pour la première fois, consacre la notion de stratégie numérique pour les collectivités, désormais à même de décliner des stratégies en fonction des usages et pas uniquement en fonction des réseaux.

La méthode de co-construction avec les collectivités territoriales et les opérateurs est nouvelle : elle procède de l'identification des besoins du terrain, de la confiance dans les acteurs locaux ainsi que de la responsabilisation de tous. L'État est en position de stratège, il est accompagnateur et financeur, mais il n'impose pas d'orientation. J'en veux pour preuve le fait que chacun des quatre-vingt-dix-neuf dossiers reçus de la part des départements a été examiné et construit avec les acteurs locaux concernés. Dans tous les cas, nous avons attendu que la démarche procède des départements et régions qui auront à exécuter les programmes qu'ils décident, mais aussi à les cofinancer.

Dans un souci de transparence, l'article 37 du projet de loi pour une République numérique fait le pari de l'open data, notamment pour la couverture mobile, ce qui signifie que les consommateurs pourront disposer d'un accès direct, en temps réel, aux données relatives à la qualité de la couverture mobile fournie par les opérateurs. À partir de cela, des services innovants seront accessibles, comme une nouvelle application mobile avec laquelle il sera possible de fournir son code postal, l'adresse de son lieu de travail, la localisation de l'établissement scolaire de ses enfants, son lieu de vacances favori, pour savoir quel est l'opérateur dont les prestations correspondent le mieux à ses besoins individuels.

Afin que ce projet soit crédible, il est essentiel d'en garantir la transparence, ce qui justifie le suivi de tous les projets de déploiement du très haut débit dans les territoires, d'ores et déjà consultables sur le site internet de la mission « très haut débit » de l'Agence du numérique ; le même outil sera mis en oeuvre pour la couverture mobile des territoires.

L'objectif est d'inclure l'ensemble des territoires, et l'article 45 du projet de loi pour une République numérique prévoit, à cet effet, le maintien de la connexion numérique pour les foyers les plus fragiles. Aussi, dans le cadre du Conseil européen des communications, dont la prochaine réunion se tiendra cette semaine, le Gouvernement a-t-il entamé des négociations afin de défendre l'inclusion des technologies mobiles ainsi que le haut débit des services de base dans la définition du service universel.

Nous avons mis en place des outils opérationnels, telle l'Agence du numérique, dont les moyens ont été accrus, ce qui, au regard des contraintes budgétaires pesant sur les ministères et les administrations centrales, prouve qu'il s'agit d'un objectif prioritaire du Gouvernement. Il convenait à tout prix de faire de l'agence une administration de mission, afin d'éviter la bureaucratie et la technocratie qui l'auraient emporté sur la capacité d'être en phase avec les besoins réels exprimés par les territoires. L'agence réunit en un lieu unique trois missions : le très haut débit, la French tech, c'est-à-dire les écosystèmes d'innovation, et la société numérique, dotée d'un agenda d'inclusion et d'accompagnement de la dématérialisation, notamment des services publics, par la médiation numérique dans les territoires.

Cette action publique s'articule avec le jeu de la concurrence. Trop longtemps, les opérateurs privés nous ont opposé le fait qu'ils étaient en concurrence et devaient donc être totalement libres de leurs choix d'investissement, ce qui justifiait leur absence dans les zones rurales les moins rentables. On ignore trop souvent ce que les investissements coûtent aux opérateurs, et cette contrainte n'est pas prise en compte lorsque des arbitrages peu rationnels sont rendus. Ainsi, un raccordement en fibre optique pour un habitant dans un hameau peut coûter l'équivalent de vingt ans d'abonnement ; pour un domicile isolé à la campagne, ce coût peut s'élever à 4 000 ou 5 000 euros, contre un montant moyen de 300 à 400 euros en ville.

Aujourd'hui, les tarifs, régulés par l'ARCEP, font l'objet d'une péréquation, et les clients des grandes villes paient en quelque sorte pour ceux des campagnes. Nous pratiquons par ailleurs des prix très bas, précisément rendus possibles par le jeu de la concurrence. Il faut toutefois manier la contrainte de la loi dans une logique d'incitation, afin que les investisseurs privés soient conduits à investir plus encore ; c'est ce que nous faisons depuis 2012. Chaque fois que des engagements ont été négociés avec les opérateurs, ils ont été inscrits dans la loi, rendus opposables aux intéressés, contrôlés et régulés par l'ARCEP ; faire défaut à ces engagements est donc susceptible d'être sanctionné.

Le projet de loi pour une République numérique se donne pour impératif l'accélération du déploiement – ce que nous avons fait pour la fibre optique comme pour la couverture mobile.

Avec le plan « France très haut débit », c'est tout un pays qui s'est mis en mouvement, c'est une dynamique nationale qui s'est créée. Ce phénomène exceptionnel rappelle le déploiement historique des réseaux de téléphonie fixe, de chemin de fer ou d'électricité. Je rappelle que la réalisation du maillage territorial par la téléphonie fixe avait nécessité vingt ans, alors que le plan « France très haut débit » a été lancé en 2012 et que, d'ici 2020 ou 2021, l'ensemble du territoire sera couvert par le très haut débit.

Sur 99 départements concernés, 67 projets ont déjà reçu un accord de principe de la part du Gouvernement pour un financement pas l'État et 18 ont reçu un accord définitif, étant entendu qu'il n'est pas nécessaire d'avoir reçu ce dernier accord pour lancer les travaux. Le site internet de l'Agence du numérique propose une carte permettant de faire le bilan de l'état d'avancement des dossiers étudiés par l'État, selon qu'un dossier initial a été déposé, qu'un préaccord de financement a été obtenu, ou que le dossier consolidé a fait l'objet d'une décision finale de financement par l'État.

Le plan s'est donc concrétisé, et les prises commencent à sortir de terre : 50 000 dans l'Oise en 2015, 100 000 attendues en 2016, 140 000 fin 2017 ; pour les trois mêmes années, ces chiffres s'élèvent respectivement à 10 000, 70 000, et 150 000 en Alsace ; en Bretagne, 40 000 prises seront installées au cours de l'année 2016 et 170 000 en 2017. Ce chantier industriel a déjà créé 3 000 emplois, et 20 000 emplois sont attendus à terme.

Je suis maintenant disponible pour répondre à vos questions.

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