Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 10 juillet 2012 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes :

Je comprends que vous souhaitez cibler la discussion sur les conclusions du Conseil européen relatives à la situation économique et financière de l'Union, tout en évoquant d'autres enjeux européens. Ce sont des sujets techniquement complexes et politiquement sensibles, qui connaissent des évolutions quotidiennes, compte tenu notamment des dernières échéances : Conseil européen des 28 et 29 juin, réunion de l'Eurogroupe hier, réunion des ministres des finances aujourd'hui.

Le Président de la République a souhaité procéder à une réorientation de la politique de l'Union européenne en adoptant, au-delà du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, des mesures en faveur de la croissance. Il s'agit de promouvoir, pour notre pays et les autres États membres, une démarche équilibrée s'appuyant sur deux piliers : la stabilité budgétaire et le rétablissement des comptes publics, d'une part, et la croissance, d'autre part.

Nous estimons qu'il n'est pas possible, pour les États membres et la France, de retrouver la croissance sans maîtrise des comptes publics, dans la mesure où les déficits publics et la dette créent des tensions sur les taux d'intérêt, qui rendent difficiles les investissements porteurs de croissance. Le Gouvernement a pris des engagements à cet égard : les dispositions de la loi de finances rectificative doivent permettre d'atteindre un objectif de déficit de 4,5 % du PIB en 2012, puis de 3 % en 2013, avec un retour à l'équilibre en 2017, conformément à la trajectoire des finances publiques que nous nous sommes fixée. Si nous n'y parvenons pas, la pression que feront peser les déficits et la dette sur les taux d'intérêt sera de nature à obérer la croissance. À l'inverse, le rétablissement des comptes publics n'est pas possible si des actions fortes en faveur de la croissance ne sont pas adoptées. La condamnation des peuples européens à une austérité durable créerait un contexte psychologique et économique défavorable à la croissance et aux rentrées fiscales.

Nous nous sommes mis au travail immédiatement : le Président de la République s'est rendu à Berlin le jour même de son investiture pour engager avec la chancelière allemande un dialogue sur la nécessité de procéder à cette réorientation ; le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'économie et des finances ont rencontré régulièrement leurs homologues allemands, respectivement M. Westerwelle et M. Schäuble ; quelques heures après ma prise de fonctions, je me suis rendu à Berlin pour évoquer avec M. Link les conditions de réussite de cette réorientation, puis j'en ai ensuite discuté avec mes autres collègues européens.

J'en viens aux résultats du Conseil – qui ne constituent qu'une étape dans un processus qu'il convient de poursuivre – et au travail qui reste à faire.

Le Conseil européen des 28 et 29 juin n'a pas été le « sommet de la dernière chance » qui a tout réglé et dont le Président de la République serait sorti vainqueur au terme d'un rapport de forces avec ses homologues. Notre objectif était, au contraire, de consolider les relations entre les membres de l'Union européenne pour franchir une étape décisive. Personne, si ce n'est l'Europe, l'Union et ses institutions, n'est sorti victorieux de ce sommet.

Nous avons obtenu, premièrement, un ensemble de mesures cohérentes en faveur de la croissance, chiffrées à 120 milliards d'euros, mais dont l'impact potentiel sur la croissance devrait être supérieur, compte tenu de leur effet de levier.

Il s'agit tout d'abord d'une augmentation du capital de la BEI de 10 milliards d'euros, qui lui permettra d'accorder des prêts pour des projets d'investissement structurants à hauteur de 60 milliards d'euros. Ces 60 milliards d'euros susciteront à leur tour 120 milliards d'investissements privés, ce qui porte le montant potentiel du plan à 240 milliards d'euros.

Ensuite, plus de 50 milliards d'euros ont été réorientés au titre des fonds structurels pour financer des projets en faveur de la croissance.

Enfin, l'émission de project bonds, obligations adossées à une garantie de l'Union européenne, permettant à partir d'un montant de 230 millions d'euros, de mobiliser, grâce à l'effet de levier, 4,5 milliards d'euros. À noter qu'il s'agit d'une phase pilote qui pourra le cas échéant, après expertise, appeler des développements ultérieurs.

Il reste sur ce « paquet croissance » beaucoup de travail à faire. Si nous voulons que ces mesures aient une portée rapide et effective, nous devons mobiliser l'ensemble des acteurs susceptibles de les mettre en oeuvre. Il convient également que les institutions sollicitées prennent les décisions adéquates, par exemple que le Conseil des gouverneurs de la BEI, qui se réunira le 24 juillet, fasse en sorte que l'augmentation du capital de la Banque intervienne rapidement. De notre côté, nous devons prendre des dispositions avec les collectivités territoriales, le Commissariat général à l'investissement et la DATAR, pour que ces mesures soient effectives au second semestre 2012 et puissent avoir un effet sur la croissance.

La deuxième décision importante du Conseil européen concerne la taxe sur les transactions financières. Nous souhaitons la mettre en place au moyen d'une coopération renforcée ; nous ne pouvons d'ailleurs le faire autrement dans la mesure où il n'y a pas eu unanimité sur la question. Cependant, cette mise en oeuvre à plusieurs au moyen d'une coopération renforcée constitue un progrès par rapport à la situation antérieure. Peu de pays pensaient possible d'atteindre cet objectif, à tel point que la France était prête à mettre en place, seule, une taxe – en réalité, un impôt de bourse – de manière précipitée à la fin de la précédente législature. Si nous avions pu avoir une assiette plus large et un taux plus significatif, et engager une concertation avec d'autres pays de l'Union, nous aurions peut-être adopté une autre stratégie.

Nous souhaitons que la coopération renforcée soit mise en place le plus rapidement possible. Les pays concernés doivent désormais saisir la Commission pour enclencher le processus. Il serait d'ailleurs envisageable que le produit de cette taxe puisse remplacer une partie des dotations allouées par les États membres au budget de l'Union européenne, à enveloppe constante dans un premier temps. Nous substituerions ainsi une ressource dynamique à une ressource fortement contrainte qui ne l'est pas et ouvririons des perspectives budgétaires positives pour l'Union européenne.

S'agissant, troisièmement, du volet économique, monétaire et financier, notre volonté était de défaire le lien entre dette souveraine et situation bancaire, qui entraîne l'Europe dans une spirale de déclin. À cet égard, nous avons considéré avec beaucoup d'intérêt les propositions contenues dans le rapport Van Rompuy : mise en place d'une Union bancaire, d'une part, et feuille de route de l'Union européenne vers une véritable Union économique et monétaire, d'autre part, consistant à conforter et mutualiser les outils existants, en procédant en parallèle à une intégration politique renforcée.

L'Union bancaire telle qu'envisagée dans le rapport Van Rompuy renvoyait à des éléments précis auxquels nous tenions : d'une part, une supervision des banques par des dispositifs institutionnels intégrés au sein de l'Union européenne, pour réguler et contrôler un système bancaire qui avait commis des imprudences, sources de difficultés sur les marchés financiers et pour l'économie réelle ; d'autre part, un dispositif de garantie des dépôts et de résolution des crises bancaires, articulé à cette supervision.

Par-delà l'union bancaire, nous voulions que le MES puisse intervenir directement dans la recapitalisation des banques sans passer par les États, de manière à engager l'Europe sur la voie de l'Union monétaire et pour couper le lien entre dette souveraine et instabilité bancaire.

Enfin, nous souhaitions engager la réflexion sur les eurobonds, les eurobills et la mutualisation des emprunts de demain.

Quels sont les résultats obtenus au regard de ces objectifs ?

Le dispositif de supervision bancaire intégrée est mis en place. La Commission européenne doit formuler des propositions à caractère législatif à ce sujet à compter de septembre prochain. Le commissaire au marché intérieur et aux services, M. Barnier, y travaille d'ores et déjà. Lorsque le dispositif de supervision bancaire sera effectif – notre objectif est qu'il le soit le plus rapidement possible –, le MES aura la possibilité d'intervenir directement pour la recapitalisation des banques et, par ailleurs, le MES pourra intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines, pour faire en sorte que les spreads de taux d'intérêt soient maintenus dans un corridor et n'obèrent pas la croissance.

Le président du Conseil européen, M. Van Rompuy, continue à travailler avec les présidents de l'Eurogroupe, de la BCE et de la Commission européenne à la feuille de route sur le renforcement de l'Union économique et monétaire, y compris à l'effort d'intégration politique qu'il appellera. Cette feuille de route pourrait faire l'objet d'autres débats au sein du Conseil à la fin de l'année 2012.

Tel est l'état des travaux actuellement en cours, dont une grande partie est encore devant nous.

J'en viens à l'association du Parlement aux enjeux qui se présentent. Le Parlement est soucieux – nous le sommes également – du contrôle démocratique qu'il exerce sur les budgets qu'il vote. Il ne faudrait pas qu'il fût privé de la possibilité d'exercer sa souveraineté en raison de l'intégration européenne. C'est une question de fond qui concerne l'ensemble des parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique, et à laquelle nous devons apporter des réponses.

Examinons la situation actuelle, ainsi que les textes et leurs conséquences. Avant même que le traité soit ratifié par les Parlements nationaux, le Parlement européen a adopté des dispositions qui sont déjà entrées en vigueur, notamment le Six Pack qui renforce le « semestre européen », à savoir une coordination des politiques budgétaires dans le semestre qui précède l'élaboration des budgets nationaux. Ce dispositif conduit la Commission à formuler des avis et le Conseil à prendre des positions, qui constituent des recommandations pour les gouvernements qui élaborent leur budget et visent à rendre la coordination effective. Les gouvernements présentent des trajectoires budgétaires à la Commission, les institutions européennes contrôlant le décalage qui peut exister entre les trajectoires et la réalité, tant en loi de finances initiale qu'en exécution.

Ce dispositif sera complété par les dispositions du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui inscrira dans le droit français le principe de l'équilibre budgétaire. Nous verrons également ce qu'il adviendra du Two Pack proposé par le Parlement européen.

Notre objectif est de faire en sorte que, dans les années qui viennent, le Parlement français puisse exercer la plénitude de ses pouvoirs souverains en matière budgétaire dans le cadre de ce processus de coordination budgétaire au sein de l'Union européenne et qu'il puisse faire lui-même usage de ses prérogatives de contrôle dans le cadre du dialogue qui se noue entre les gouvernements, la Commission et les institutions européennes.

S'agissant des perspectives financières 2014-2020, nous sommes confrontés à un cruel dilemme, qui résulte de la situation contradictoire dans laquelle se trouve la Commission européenne à l'égard des États membres. D'un côté, la Commission les enjoint de se conformer aux objectifs de rééquilibrage de leurs budgets, sur lesquels elle formule des recommandations et peut exercer des missions de contrôle ; nous devons, dès lors, examiner avec attention chacun de nos postes budgétaires, y compris la contribution française au budget communautaire, qui s'élève à près de 19 milliards d'euros, ce qui est loin d'être dérisoire. De l'autre, la Commission fait part de ses besoins, de ses ambitions, et demande aux États membres d'augmenter assez considérablement leur contribution au budget de l'Union.

Si nous acceptions les propositions actuelles de la Commission pour les perspectives financières 2014-2020, la contribution de la France passerait à environ 25 milliards d'euros. Pour la seule année 2013, si nous suivions la Commission, les contributions des États augmenteraient de 6,85 %, soit environ 1,4 milliard d'euros pour la France, montant ramené à 800 millions après révision à la baisse – de l'ordre de deux points – de ses demandes par la Commission.

Face à ces demandes contradictoires, nous devons adopter une démarche pragmatique. Nous avons engagé un processus interministériel pour définir très finement notre position sur les perspectives financières. Il est donc un peu tôt pour entrer dans le détail. Nous souhaitons une contribution à la fois raisonnable, pour nous permettre d'atteindre les objectifs budgétaires que nous nous sommes assignés, et suffisamment ambitieuse, pour permettre à l'Union de réaliser les politiques qui peuvent contribuer à la croissance.

Vous avez formulé, madame la présidente de la Commission des affaires européennes, des interrogations sur certains piliers du budget. Si nous maintenons notre position dure sur le plan budgétaire, tout en demandant de ne toucher ni à la PAC, ni à la politique de cohésion, qui permet aux pays qui en bénéficie d'obtenir de la croissance, et tout en insistant pour consacrer le solde à la croissance de demain – ce qui constitue notre principal objectif –, la marge de manoeuvre sera très étroite et l'équation impossible.

Le processus interministériel que nous avons engagé doit nous permettre de définir le niveau de notre contribution d'ici à la fin de l'année et de déterminer notre position sur la réforme de la PAC. Nous avons été très fermes aux dernières réunions du Conseil affaires générales pour refuser les amendements proposés au paragraphe 43 de la « boîte de négociation » présentée par la présidence danoise, qui visaient à diminuer très sensiblement le niveau des aides directes dans le cadre de la PAC. De plus, nous avons indiqué notre souhait que le Fonds d'adaptation à la mondialisation soit maintenu pour que les industries les plus en difficulté soient accompagnés, dans une période de crise très grave où les restructurations sont nombreuses.

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