Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous le savons bien, la commune est l’échelon institutionnel préféré des Français, et elle est aussi le lieu privilégié d’expression de la démocratie de proximité : je le dis d’autant plus solennellement, à cette tribune, que les maires de France sont en ce moment même réunis en congrès à Paris, et que le Président de la République viendra demain conclure leurs travaux, signe de la reconnaissance de la République pour les territoires et ceux qui les servent.
Pour autant, la France compte 36 000 communes, dont plus de la moitié comptent moins de 500 habitants, et 86 %, moins de 2 000 habitants ; et c’est justement dans un certain nombre de ces communes que, lors des dernières élections municipales, il n’a pas été possible d’organiser un premier tour de scrutin, faute de candidats. Pas moins de soixante-quatre communes se sont retrouvées dans cette situation, ce qui est une première.
La loi de mars 2015 a réformé le régime de la commune nouvelle, le rendant plus attractif sur le plan institutionnel et financier tout en préservant l’identité des communes fusionnées. C’est donc tout naturellement que le Gouvernement avait soutenu cette initiative des députés Christine Pires Beaune et Jacques Pélissard.
Cette loi encourage et facilite les regroupements volontaires autour des communes nouvelles qui, là où elles existent, ont déjà permis d’améliorer la vie et l’action municipales. Depuis son entrée en vigueur, une véritable dynamique s’est enclenchée. Sur le fondement de la loi de décembre 2010, qui instaurait ce régime des communes nouvelles, seules 25 entités rassemblant 70 anciennes communes ont été créées entre 2011 et 2015. Or, entre la publication de la loi de mars 2015 et le 1er janvier dernier, 1 092 communes ont fusionné pour former 317 communes nouvelles. La France passe ainsi pour la première fois sous le seuil symbolique des 36 000 communes.
Au total, ces communes nouvelles regroupent plus de 1 million d’habitants, et 80 % d’entre elles sont issues de la fusion de quatre communes ou moins. Le Gouvernement, déterminé à accompagner ce mouvement de renforcement du maillage communal, a décidé de prolonger les dispositifs d’incitation financière jusqu’au 30 juin 2016, ce qui devrait permettre d’accroître encore la dynamique engagée ; c’est aussi la raison pour laquelle il a souhaité inscrire le présent texte, après que celui-ci eut été adopté au Sénat, sur son ordre du jour réservé.
Dans le même esprit, certaines mesures d’amélioration du dispositif peuvent et doivent encore être examinées : c’est ce qui nous réunit ce soir. Comme vous le savez, le régime de la commune nouvelle reprend, rénove et modernise le celui de la loi Marcellin, en le rendant plus attractif et plus démocratique. La loi Marcellin prévoyait en effet des fusions autoritaires, alors que la loi de 2015 relative aux communes nouvelles se fonde, au contraire, sur l’initiative locale et sur la liberté des communes de se regrouper si elles le souhaitent.
Au total, 943 communes ont ainsi été créées, pour l’essentiel dans les quelques années qui ont suivi la publication de la loi Marcellin en juillet 1971. Celle-ci prévoyait, en outre, la possibilité de créer une commune associée, reprenant le périmètre et le nom des anciennes communes qui n’accueillaient pas le chef-lieu de l’entité fusionnée.
Dans les années soixante-dix, le nombre de communes associées avait d’ailleurs dépassé le millier ; ce chiffre est aujourd’hui redescendu à 651, du fait de certaines « défusions » – donc de mariages malheureux – et de transformations en fusion simple – lorsque le mariage fut heureux. On retrouve ces communes associées sur tout le territoire national, avec une concentration plus forte dans l’Est de la France, notamment dans la Meuse, la Haute-Marne, la Moselle et le Bas-Rhin.
Or, si la loi de mars 2015 prévoit effectivement la création de communes déléguées au sein de communes nouvelles, elle ne prévoit pas, en revanche, le maintien des communes associées sous le régime de la loi Marcellin. La création d’une commune nouvelle entraîne par conséquent la disparition automatique et de plein droit des communes associées.
Ce point a, je le sais, fait l’objet de divergences d’interprétation, en particulier avec l’Association des maires de France, l’AMF. Cependant, mesdames et messieurs les députés, mes services sont clairs : il n’est pas possible, dans le cadre de la législation actuelle, de maintenir des communes associées lors de la création d’une commune nouvelle. La proposition de loi que vous examinez ce soir vise précisément à modifier ce point de droit. Lors de son examen par le Sénat, des articles additionnels sont venus la compléter, recueillant l’aval du Gouvernement.
Saisie à son tour, votre commission des lois a adopté seize amendements, à l’initiative de votre rapporteure, Mme la députée Christine Pires Beaune, dont je salue le travail. Douze de ces amendements, rédactionnels, apportent des clarifications bienvenues ; quatre autres portent sur le fond.
Le Gouvernement est favorable à l’esprit général du texte issu de vos travaux en commission. Néanmoins, certaines précisions rédactionnelles seraient opportunes afin de rendre le dispositif pleinement opérationnel ; c’est, je crois, le sens de plusieurs amendements qui vous seront proposés par la rapporteure et que le Gouvernement juge utiles. C’est également le sens d’un amendement qui, présenté par le Gouvernement, a créé un article additionnel après l’article 1er, afin de corriger une scorie législative.
Par ailleurs, deux modifications adoptées en commission prévoient la représentation de la commune nouvelle au sein du conseil communautaire et du comité syndical par un nombre de sièges correspondant à la somme des sièges détenus précédemment par chacune des communes historiques.
S’agissant des syndicats, le législateur peut mettre en place les règles qu’il souhaite dans la mesure où aucune jurisprudence constitutionnelle ne s’y oppose. Le Gouvernement n’est donc pas opposé à cette mesure.
Il en va différemment, en revanche, de la disposition relative à l’intercommunalité à fiscalité propre. L’amendement adopté par votre commission vise à ce que, en cas de fusion ou d’extension d’un établissement public de coopération intercommunale – EPCI – à fiscalité propre, le nombre de sièges dont disposait une commune nouvelle dans son conseil communautaire soit maintenu au sein de la nouvelle entité.
Or, ce qui est possible lorsque le périmètre reste identique ne l’est pas en cas de fusion ou d’extension. En effet, comme vous le savez, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a strictement encadré les règles de répartition des sièges au sein des intercommunalités par sa décision du 20 juin 2014, dite « commune de Salbris ».
Certes, la loi prévoit que, si une commune nouvelle est créée entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux, il n’est pas procédé à une nouvelle répartition des sièges jusqu’aux prochaines élections. Ainsi, durant cette phase transitoire, la commune nouvelle dispose du même nombre de sièges que les anciennes communes. Cette disposition présente, par rapport à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un caractère dérogatoire évident. Pour autant, elle se justifie pour trois raisons : premièrement, la situation relative des différentes communes au sein de l’EPCI n’est pas modifiée ; deuxièmement, le nombre de sièges de l’EPCI demeure le même ; troisièmement, enfin, le nombre de sièges alloués aux autres communes est inchangé. Les équilibres internes à l’EPCI sont ainsi préservés.
Il en va tout autrement en cas de fusion ou d’extension d’EPCI. D’une part, dans ce cas, le nombre des sièges n’est pas constant : il est calculé en fonction de la population du nouvel EPCI – par exemple, en cas de fusion, il n’est pas forcément égal à la somme des sièges des anciennes communautés.
D’autre part, les sièges sont répartis entre les communes sur de nouvelles bases, ce qui est inévitable dès lors que cette répartition s’inscrit dans le contexte d’un nouveau périmètre, donc d’équilibres démographiques nouveaux. Par conséquent, garantir un nombre de sièges à la commune nouvelle se ferait au détriment des autres communes et créerait une distorsion dans la répartition. Pour ces raisons, une telle disposition n’est pas conforme à la Constitution : il est de mon rôle de le signaler à la représentation nationale. De plus, si la proposition de loi qui vous est soumise ne fait pas l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel avant sa promulgation, ce point risque d’être soulevé dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Dans un tel cas, vous le savez, les délais et les circonstances de la saisine du Conseil constitutionnel sont impossibles à prévoir ; or de nombreuses situations acquises se seront établies entre-temps. Une censure, dans ces conditions, aurait des conséquences très difficiles à gérer, puisqu’il faudrait remettre en cause des répartitions déjà entrées en vigueur. Une telle insécurité juridique ne paraît pas souhaitable, et je suis sûr que vous partagez, sur ce sujet, le point de vue du Gouvernement, qui vous proposera donc la suppression de la disposition concernée.
Néanmoins, je sais que Mme la rapporteure a pleinement conscience des limites juridiques de cette rédaction. Elle proposera donc plusieurs précisions que nous évoquerons plus en détail lors de l’examen des amendements.
Mesdames et messieurs les députés, encore une fois, la commune est un échelon pertinent, un point de repère ; c’est celui auquel l’ensemble de nos concitoyens s’identifient, et c’est à son niveau que sont résolus les problèmes du quotidien. Ce sont autant de raisons qui nous conduisent à vouloir préserver les communes, cette spécificité bien française. Pour ce faire, il nous faut également répondre à certaines difficultés liées en grande partie à leur émiettement. En effet, leur dispersion ne permet pas à toutes les communes de faire face aux obligations qui sont les leurs, ni de développer les projets et les services publics nécessaires à la population locale.
De plus, les mutations de nos territoires appellent une action publique repensée, et pour les communes, sans aucun doute, des rapprochements. Si la procédure de fusion n’offre pas encore toutes les facilités ou tous les leviers qui permettraient aux élus locaux de s’en saisir pleinement – malgré les avancées considérables de la loi de 2015 –, il peut être opportun d’apporter, ici ou là, les aménagements nécessaires, tout en respectant évidemment le cadre général fixé par les textes récemment votés.