Je vais, par la présente intervention, vous expliquer les conditions de vie de l'animal et du salarié dans les abattoirs que je connais en France.
Je suis salarié dans l'agroalimentaire depuis 1981 et j'ai commencé à travailler dans le groupe Bigard en 1988. Je suis délégué syndical central CGT du groupe, pour les entités Bigard, Charal et Socopa. Mon statut dans le groupe m'a permis de visiter une dizaine d'abattoirs sur les dix-sept que possède Jean-Paul Bigard.
Cela fait vingt-cinq ans que je suis à la chaîne, sur les lieux de production et d'exploitation : je connais donc bien le métier. Le bien-être animal est expressément lié au bien-être du salarié dans son entreprise, sur son lieu de travail. Si les moyens de production, c'est-à-dire le matériel et la sécurité du salarié sont respectés, alors les conditions peuvent être réunies pour permettre un abattage dans le respect de l'animal.
L'abattage d'un animal est en lui-même un acte violent. Ne pas le faire souffrir doit être le but ultime. Des règles élémentaires doivent prévaloir avant l'abattage d'une bête, quelle qu'elle soit. Il faut un milieu propre en bouverie, en porcherie ou en lieu d'attente. Les couloirs d'amenée doivent être sécurisés avec des rails qui empêchent l'animal de sauter ou de s'échapper, en optimisant l'avancée par des cases amovibles qui suppriment le recours à la matraque électrique. Un box d'assommage avec blocage de tête permet une maîtrise de l'emploi du matador pour les bovins ou autres outils adaptés à chaque espèce. L'étourdissement est effectué par un opérateur habilité d'un certificat de compétence. La saignée se fait dans la continuité le plus rapidement possible, mais dans un temps bien défini avant le travail sur l'animal. Malheureusement, souvent dans les abattoirs, les cadences sont infernales. Les salariés travaillent dans l'humidité et la chaleur – ils peuvent travailler à plus de 40 °C l'été, et autour de zéro l'hiver – avec une hiérarchie oppressante qui ne cesse de relancer l'opérateur au moindre arrêt de la chaîne. À l'abattoir de Guingamp par exemple, des salariés se sont vus infliger un avertissement parce qu'ils laissaient trop de trous dans la chaîne. Ils sont allés aux prud'hommes ; le tribunal a levé la sanction en condamnant la Socopa, mais la direction a fait appel. Cet exemple montre jusqu'où peut aller l'entreprise pour mettre la pression sur les salariés. Le salarié, dans la crainte ou la peur de se faire sanctionner, voire licencier, peut arriver à une dérive quand certaines situations deviennent intenables et se retrouver à faire ce que l'on a vu dans les vidéos. Mais il faut se rendre compte de toute la pression subie par le salarié pour en arriver là. Ce n'est pas de gaieté de coeur que l'on voit un salarié taper sur une bête ou la malmener ; mais il peut être dans une situation tellement extrême, au point de ne même plus se rendre compte de ses gestes.
Dans les élevages intensifs, l'animal est très peu au contact de l'homme. Quand la bête arrive à l'abattoir, elle est effrayée et peu conciliante, particulièrement les jeunes bovins. Les cadences élevées qui sont imposées, les amplitudes de travail de plus en plus fortes – les journées de neuf heures trente ou dix heures sont monnaie courante –, les contraintes sanitaires, d'hygiène, de qualité en constante évolution, la pression de l'agent de maîtrise qui ne cesse d'interpeller l'opérateur quand la chaîne est arrêtée, poussent le salarié à flirter avec les limites. Un temps de saignée parfois écourté ou un assommage précipité font que l'incident peut se produire à tout moment.
Les salariés ont une haute conscience de leurs responsabilités. En favorisant des formations professionnelles qualifiantes et rémunérées en conséquence, il est possible d'organiser des rotations sur les postes de saignée et d'assommage. Il est inconcevable que les salariés puissent se retrouver toute la journée à l'assommage ou à la saignée, car ce sont des métiers très éprouvants sur le plan psychologique. Les rotations sur les postes permettent aux salariés de souffler. Aussi pensons-nous que la rotation devrait être obligatoire pour éviter le traumatisme psychologique de la tuerie qui s'additionne à la pénibilité du métier en abattoir.
Des garde-fous sont nécessaires. Un ou des référents responsables de la protection animale indépendants doivent être présents dans tous les abattoirs, petits ou grands.
Certes, des contrôles existent déjà, mais de moins en moins nombreux en raison des politiques de réduction d'emplois dans les services publics. Les autocontrôles réalisés par les directions d'entreprise ne permettent pas une impartialité de jugement des situations à risque, du fait du lien de subordination entre le salarié et l'employeur. Abattre en toute transparence pour éviter les dérives est une exigence fondamentale. L'installation de caméras de vidéosurveillance n'apportera pas grand-chose, sinon du stress supplémentaire pour le salarié.
On parle également de cloisonner les postes d'assommage et de saignée et d'en limiter l'accès pour éviter des vidéos sauvages. Nous y sommes défavorables, car cela pourrait attiser les soupçons du consommateur. La filière viande est régulièrement attaquée, de l'agriculteur aux salariés de l'industrie agroalimentaire. Des milliers d'emplois sont concernés. Garantir notre souveraineté alimentaire assurera le maintien de l'activité sur notre territoire. Baser notre alimentation sur une nourriture saine, de qualité et en quantité suffisante, accessible pour tous, voilà les enjeux à venir. Une politique ambitieuse devra nationaliser les grands groupes de l'industrie agroalimentaire, permettant le développement de notre économie industrielle.