Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 31 mai 2016 à 18h00
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, ministre de la justice :

Le décret relatif aux conditions d'installation des officiers publics et ministériels a été publié le 25 mai 2016. S'agissant de la carte qui définira les zones de libre installation, l'Autorité de la concurrence a seule la maîtrise de ce processus. Elle a pris un certain retard par rapport au calendrier initialement fixé. L'examen des recommandations de l'Autorité de la concurrence concernant les notaires aura lieu le 7 juin. La proposition de carte accompagnée des recommandations devrait être communiquée dans les jours qui suivront. Concernant les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, les propositions de carte ne seront communiquées que plus tard. Je ne peux pas en dire plus à ce stade. Le Gouvernement a prévu, dans le décret du 20 mai 2016, que l'ensemble des cartes devra être publié avant le 31 décembre 2016.

S'agissant de l'arrêté que le Gouvernement devra prendre une fois la carte proposée, il va évidemment falloir qu'il puisse l'analyser. Nous le ferons dans le meilleur délai possible, en tenant compte de la volonté de concertation – même si celle-ci devra être rapide – et surtout des enjeux que la loi porte.

Est-ce que je peux vous dire à quel moment on pourra « visser sa plaque » comme vous me l'avez demandé ? Malheureusement, je ne peux pas vous donner une réponse certaine. Il faut en effet noter que plusieurs inconnues – que je ne maîtrise pas – demeurent à ce jour et nous empêchent de bâtir le calendrier précis : je ne peux pas vous dire combien il y aura de zones ; je ne connais pas les recommandations ; je ne connais pas le nombre de candidats à la création d'offices. Au regard de nos estimations, les premiers arrêtés de nomination des notaires pourraient être signées environ un mois après l'ouverture des candidatures à la création d'office.

La date d'ouverture de ces candidatures dépend non seulement de la publication de la carte, mais également de la livraison finale de l'outil de gestion informatique du ministère de la justice. Les travaux de conception de cet outil ont été grandement anticipés – dès le dernier trimestre 2015 – mais ils ont dû être adaptés à la suite des arbitrages rendus et, dernièrement, de l'avis du Conseil d'État. Resteront alors les délais incompressibles de publication des arrêtés de nomination et de prestation de serment.

Les nominations de notaires sur des offices créés en application des nouvelles règles d'installation s'échelonneront ainsi jusqu'à la fin de l'année 2016, compte tenu notamment de la nécessité de procéder aux tirages au sort mis en place par le décret du 20 mai 2016.

Vous m'avez ensuite posé une question sur le nombre de nominations par zone de libre installation, en indiquant qu'à la lecture du décret, vous compreniez que les recommandations dont la carte est assortie fixent des limites du nombre d'offices à créer par zone. Vous m'avez demandé s'il était possible de confirmer cette interprétation. Je vous la confirme. Elle correspond exactement au sens de la loi. Le décret du 20 mai 2016 dispose, concernant les notaires : « Dans les zones mentionnées au I de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 susmentionnée, le garde des sceaux, ministre de la justice, nomme les demandeurs au regard des recommandations dont est assortie la carte et suivant l'ordre d'enregistrement de leur demande. »

Ces dispositions font application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 qui prévoit notamment : « Afin de garantir une augmentation progressive du nombre d'offices à créer, de manière à ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants, cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée. »

Il n'est évidemment pas question que le Gouvernement atténue, de quelque manière que ce soit, la volonté du législateur.

S'agissant des clercs habilités, vous m'avez demandé pourquoi repousser la date de fin d'habilitation de ceux-ci. Vous m'avez demandé s'il s'agissait de tenir compte de la pyramide des âges. Le maintien des clercs habilités dans leurs fonctions au-delà du 1er août 2016 et jusqu'au 31 décembre 2020 s'adresse à ceux des clercs habilités qui ne peuvent pas, dès à présent, prétendre à être nommés notaire, parce qu'ils ne sont pas détenteurs des diplômes requis : master en droit ou diplôme reconnu équivalent et diplôme supérieur du notariat, voie universitaire ou diplôme de notaire, voie professionnelle.

Ce maintien a pour objet d'assurer une continuité entre la période d'habilitation et l'entrée dans le notariat permise par les passerelles prévues par le décret du 20 mai 2016. Dans un objectif d'ouverture d'accès à la profession et d'alternative sociale, un système de passerelles a été inséré dans le décret du 25 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels. Ce dispositif permet aux clercs habilités de devenir notaires sans remplir les exigences de diplômes, sous certaines conditions.

Le texte prévoit la mise en place d'un système de passerelles vers le notariat applicables automatiquement aux clercs habilités justifiant avoir exercé cette fonction pendant quinze ans au moins entre le 1er janvier 1996 et le 1er août 2016. Ce dispositif est applicable, sous réserve de réussir un examen des connaissances techniques, aux clercs habilités justifiant avoir exercé cette fonction pendant cinq ans au moins entre le 1er janvier 2006 et le 1er août 2016, durée réduite à quatre ans au moins entre le 1er janvier 2009 et le 1er août 2016 pour ceux justifiant du diplôme de premier clerc ou du diplôme de l'Institut des métiers du notariat, durée encore réduite à trois ans pour ceux qui sont, en outre, titulaires d'un master ou d'un diplôme reconnu équivalent.

L'existence de cette passerelle est limitée au 31 décembre 2020. Un premier projet d'article avait été soumis pour avis au Conseil supérieur du notariat. Il prévoyait des durées d'expérience plus élevées – dix, six et quatre ans – et soumettait à examen des connaissances l'ensemble des candidats. Selon le Conseil supérieur du notariat ce projet devait permettre à 60 % des clercs habilités non-diplômés notaires d'accéder au notariat, soit environ 2 400 sur les près de 4 000 clercs concernés.

Si l'on ajoute les 5 566 clercs habilités remplissant d'ores et déjà les conditions pour être nommés notaires, ce sont environ 83 % des anciens clercs habilités qui pourraient prétendre à l'entrée dans la profession. L'assouplissement des conditions permettant de bénéficier de la passerelle dans le dispositif permettra d'élargir encore son bénéfice, dans un objectif d'ouverture de l'accès à la profession et d'alternative sociale.

C'est pour assurer une continuité entre la période d'habilitation et l'entrée dans le notariat permise par ces passerelles nouvelles, et ainsi permettre une pleine efficacité du dispositif, que le Gouvernement entend maintenir les clercs habilités dans leurs fonctions au-delà du 1er août 2016, jusqu'au 31 décembre 2020. Un amendement gouvernemental a été adopté en ce sens, vous l'avez rappelé monsieur le président, dans le projet de loi sur la « Justice du XXIème siècle ». Comme je l'ai dit, un autre véhicule permettra peut-être l'adoption de cette proposition de disposition législative avant le 31 juillet prochain si le projet de loi n'aboutissait pas à temps.

Vous m'avez ensuite demandé, monsieur le président, si cette disposition ne risque pas d'avoir l'effet pervers de retarder la nomination des clercs habilités répondant déjà aux conditions pour être notaires. Évidemment, je ne peux pas dire qu'il n'y a pas de risque. Toute mesure comporte par essence un risque. Cependant, la volonté de prendre en considération la situation des clercs habilités non diplômés demande que nous prenions ce risque. Au demeurant, je n'ai pas le sentiment que l'effet pervers dont vous parlez se concrétisera. En effet, le nombre de nominations en qualité de notaire salarié a fortement augmenté depuis le début de l'année (plus de 200 professionnels ont été nommés). Tous ceux qui ont la volonté de devenir notaire candidateront dès lors qu'ils peuvent y prétendre, j'en suis convaincu.

Sur le même sujet, vous m'avez demandé s'il n'était pas possible d'avancer la date du 31 décembre 2020 au 1er janvier 2020. La prolongation des effets de l'habilitation est liée à l'existence de la passerelle, pour lui permettre de produire pleinement ses effets. La prolongation permet notamment de passer les examens que j'évoquais tout à l'heure. Si l'on avançait la date, nous pensons que cela pourrait nuire aux candidats. Nous avons pensé que le 31 décembre était la date la plus adaptée.

S'agissant des greffiers des tribunaux de commerce, un recours a été formé contre les mesures d'application de la loi prévoyant la transmission sans frais des données du registre du commerce et des sociétés (RCS). Depuis le 1er mai, je constate que les données ne sont plus envoyées par les greffiers des tribunaux de commerce. Je pense qu'il y a là un effet de suspension qui ne s'explique que par la volonté des greffiers d'attendre le résultat de leur recours. Il va de soi qu'il ne peut s'agir que d'une situation momentanée. Personne ne se satisferait qu'elle reste en l'état.

Sur la gestion des RCS en outre-mer, la situation est compliquée. J'avais été interrogé aux questions d'actualité sur ce sujet. Est-ce que la convention est signée ? La réponse est non. Elle n'est pas encore signée. Elle est en discussion. Elle rencontre des difficultés à la fois juridiques et techniques qui, à ce stade, ne sont pas totalement résolues. Quelles sont ces difficultés ?

Il y a d'abord le rôle du greffier. Aux termes de la loi, il est seul compétent pour s'assurer du contrôle et de la régularité des actes et pour délivrer des copies et extraits. Ce constat soulève la question du positionnement du greffier, dès lors que les agents des chambres de commerce et d'industrie (CCI) ne peuvent, à eux seuls, délivrer des actes authentiques. Il est, en outre, impossible, pour le greffe, de déléguer ses pouvoirs propres de contrôle et d'authentification aux agents de la CCI qui ne sont ni des agents publics, ni des officiers publics.

Le greffier ne peut, en outre, se déporter au sein de la CCI, ce qui serait en contradiction avec l'article 5 du décret du 13 octobre 2015 qui porte statut particulier des greffiers des services judiciaires.

Deuxièmement, le logiciel de traitement des affaires ALINEA utilisé par les tribunaux de commerce outre-mer est propriété d'un groupement d'intérêt économique (GIE) dénommé AGORA. Il a été consulté par le ministère de la justice qui ne dispose que d'un droit d'usage sur ce logiciel. Le GIE a fait part de son opposition à une utilisation de son logiciel par les CCI sous quelque forme que ce soit, y compris dans l'hypothèse d'un transfert du greffier dans la CCI, ce pour des raisons de sécurité des données et de garantie des accès à la base. Par ailleurs, l'application ALINEA est une base locale qui ne permet pas un accès à distance depuis un autre site.

La troisième difficulté a trait au versement à la CCI d'une partie des émoluments perçus à l'occasion de la gestion du RCS. Les chambres ne sont pas des opérateurs de l'État et ne peuvent donc pas percevoir pour son compte de l'argent public. L'Association des chambres de commerce et d'industrie outre-mer (ACCIOM) ne souhaite pas la mise en place d'un système de rétribution par l'État, qui pourrait être envisagé dans le cadre de la convention de délégation, mais un partage des émoluments dès réception par le RCS. Le respect de la règle de non-contraction des recettes et des dépenses de l'Etat est incompatible avec un dispositif de prélèvement par les CCI de leur rémunération, selon l'analyse produite par la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Maintenant que le diagnostic est établi, quels sont les remèdes envisagés ?

Il faut contourner ces difficultés. À cette fin, le ministère de la justice a proposé de déléguer aux CCI la compétence de réception unique de l'ensemble des demandes pour un prétraitement des dossiers avant envoi au RCS : pré-enregistrement, envoi des données sous format EDI et numérisation de l'ensemble des pièces à destination des RCS.

Le ministère de la justice a entamé des négociations avec le GIE AGORA et un autre GIE que vous connaissez, INFOGREFFE, afin d'obtenir l'activation des fonctionnalités de dématérialisation dont bénéficient les greffes privés membres du GIE. L'objectif est de bénéficier pour les RCS ultra-marins, à l'instar des greffes privés, de l'ensemble des services électroniques d'accès à l'information légale et de dématérialisation des formalités et des procédures développés par le GIE INFOGREFFE existant aujourd'hui sur tout le reste du territoire national.

Cela permettrait d'articuler le fonctionnement du Centre de formalité des entreprises (CFE) au sein de la CCI avec le RCS ultra-marin dans les mêmes conditions qu'en métropole entre les CFE et les greffes privés. Le CFE est alors un point d'entrée pour l'entrepreneur pour immatriculer son entreprise.

Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et INFOGREFFE n'ont pas montré d'hostilité à la mise en oeuvre de ces fonctionnalités lors des échanges que nous avons eus avec eux. Des travaux ont ainsi été engagés entre le secrétariat général du ministère de la justice et la direction des services judiciaires avec l'appui de la DGFiP, afin de déterminer dans quelles conditions cette réforme peut être mise en oeuvre au regard notamment des règles comptables, puisqu'INFOGREFFE ne peut percevoir les sommes versées par les entreprises au greffe public, pour le compte de l'État.

Une expertise est en cours afin de déterminer les conditions dans lesquels un agent habilité à encaisser des recettes de l'État pourrait être désigné dans ce cadre. Il y aura là deux hypothèses. Soit on crée une régie particulière, ce qui suppose que le système d'information de facturation et de paiement en ligne d'INFOGREFFE doit permettre d'identifier les factures afférentes à des prestations de l'État et de renvoyer la recette afférente sur le compte du régisseur. Soit on habilite une personne privée à détenir et à manipuler des fonds de l'État, solution dérogatoire au droit commun et qui supposerait donc de revenir devant le Parlement pour que soit adoptée une disposition législative spécifique.

Bref, la mise en oeuvre de cette disposition est en voie d'achèvement, même si, vous l'avez compris, nous n'y sommes pas encore tout à fait.

Pour être complet, je veux maintenant aborder la question de la reprise des stocks. Les dossiers restant en attente de traitement au moment du transfert doivent entrer dans le périmètre de la délégation aux CCI. Cette reprise est par ailleurs imposée en ce que le logiciel ALINEA ne comporte qu'une base unique par RCS qui ne peut être scindée pour des raisons de sécurité des données enregistrées. Le ministère, et notamment la direction des services judiciaires, a mis en place un plan d'action, qui a produit de bons résultats puisque l'évolution des stocks est très positive pour l'ensemble des RCS à l'exception de Cayenne.

Ainsi, la situation très dégradée des RCS outre-mer qui avait en partie justifiée la disposition de l'article 60 visant à déléguer leur gestion aux chambres de commerce et d'industrie, est aujourd'hui bien plus satisfaisante qu'à l'époque, en particulier pour les délivrances de Kbis mais aussi pour les délais d'immatriculation, dont les moins favorables n'excèdent pas deux mois et sont souvent réduits à quelques jours.

Dès lors, le temps nécessaire à la résolution des difficultés rencontrées pour mettre en oeuvre la loi n'a pas d'effet négatif sur l'économie locale et sur la vie des entreprises.

Enfin, une action spécifique a été mise en place pour la Guyane compte tenu des difficultés rencontrées par ce RCS. Une convention signée avec le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a institué une mission de soutien et de formation par deux greffiers privés. Cette mission doit se dérouler sur site à compter du 20 juin prochain.

Pour répondre à la question de M. Patrick Hetzel sur le droit local et sur la postulation, le sénateur Bigot et mon cabinet rencontrent le 8 juin prochain le bâtonnier de Strasbourg pour discuter de cette question. De mon point de vue, il n'y a aucune raison pour que la situation actuelle évolue.

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