Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 31 mai 2016 à 18h00
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard :

Je veux commencer par une remarque incidente sur cette loi. Elle porte des réformes importantes. Je le vis moi-même de l'intérieur, dans ma profession. Elle rénove en profondeur des professions qui avaient un exercice extrêmement balisé. Je comprends l'inquiétude que ces réformes peuvent susciter. Mais on ne peut pas lire ces réformes à la lumière du passé. Le législateur a souhaité une véritable ouverture de ces professions. Je le dis avec d'autant plus de tranquillité que je ne suis pratiquement pas intervenu sur la question des professions réglementées. Les rapporteurs thématiques s'étaient en effet concertés pour ne pas se gêner les uns les autres.

Je reviens sur le sujet que j'ai rapporté dans le cadre de la discussion de la loi, qui est celui de la réforme prud'homale, d'abord pour faire part d'un satisfecit, ensuite pour émettre une petite alerte et enfin pour poser une question d'interprétation.

Pour ce qui est du satisfecit, je suis heureux que le décret du 20 mai portant réforme de la procédure prud'homale, publié au Journal officiel du 25 mai, soit sorti. La réforme des prud'hommes supposait, en effet, que ce décret advienne, tant les questions procédurales sont majeures pour accélérer les choses. Comme l'un des principaux objectifs de la réforme était d'accélérer le cours des procédures, il était essentiel que ce décret sorte pour que les deux pans de la réforme – son pan législatif et son pan réglementaire – puissent entrer en vigueur. De ce point de vue, je suis satisfait.

En outre, je trouve que le dispositif d'accompagnement est important. Cette réforme ne se résume pas à des textes. Si l'on ne sait pas présenter une réforme, si l'on ne sait pas la mettre en oeuvre et si l'on ne lui donne pas des moyens également matériels – et pas simplement juridiques –, nous n'y arriverons pas. De ce point de vue, je me réjouis que Mme Rostand se soit vue confier une mission de promotion, d'explication, d'accompagnement de cette réforme et qu'un observatoire soit institué à partir de la situation de quatre juridictions différentes par leur taille.

Je me félicite également qu'un plan de soutien ait été élaboré pour les juridictions dans lesquelles les stocks sont les plus importants. Si je n'aime pas ce terme, il est convenu de l'utiliser en matière judiciaire. Quand il y a plus d'un an de stock, je trouve particulièrement opportun que l'on renforce les juridictions et qu'on leur donne les moyens de le résorber à brefs délais. Cela me paraît très important. Derrière les raisonnements en moyenne nationale se cachent des situations qui peuvent être très différentes. Certains conseils des prud'hommes fonctionnent dans des délais très satisfaisants, c'est-à-dire moins de huit mois, tandis que d'autres fonctionnent dans des délais très insatisfaisants, c'est-à-dire plusieurs années. Cela peut être trois ou quatre ans, sans parler des délais en appel. De ce point de vue, je me réjouis que la communication institutionnelle du Gouvernement, à la suite de la publication du décret, ait évoqué la situation des cours d'appel. Indépendamment du contenu du décret, le dispositif d'accompagnement et la préoccupation de la mise en oeuvre de la réforme me paraissent importantes.

Je ne reviendrai pas sur les questions que j'avais posées à votre prédécesseure, monsieur le ministre. J'étais notamment revenu sur la question de l'indemnisation des conseillers prud'hommes dans le bureau de conciliation, lorsqu'il ne le préside pas. Actuellement, il n'y a pas d'indemnisation du conseiller salarié pour la prise de connaissance du dossier avant la conciliation, lorsqu'il ne préside pas. Il me paraît important que ce soit prévu. Je sais bien que cela relève du domaine réglementaire. Je sais également que cela a un coût, mais je crois que c'est une dépense utile pour favoriser la conciliation. C'est congruent avec la réforme de la saisine, dont s'est félicité à juste titre – mais peut-être un peu rapidement – le président-rapporteur. Je vais y revenir.

L'alerte que je souhaite faire porte sur les défenseurs syndicaux. Le décret, dans sa partie relative aux cours d'appel, entrent en vigueur le 1er août. Or, sauf erreur de ma part, les textes relatifs aux défenseurs syndicaux n'ont pas été publiés. Ils ne dépendent pas de votre ministère, mais de la rue de Grenelle, si ma mémoire est bonne. Il y a urgence, car il s'agit d'une réforme très importante pour les futurs défenseurs syndicaux, qui seront, sans doute, pour bon nombre d'entre eux, les actuels délégués syndicaux. Elle n'est d'ailleurs pas importante seulement pour les défenseurs syndicaux, puisque la représentation devient maintenant obligatoire, alors qu'actuellement elle ne l'est pas. Il y a des délais impératifs qui ont des conséquences lourdes, puisque les conclusions qui n'ont pas été déposées dans les délais sont irrecevables. Cela pose la question de la formation des défenseurs syndicaux, mais également des avocats, qui peuvent être très spécialisés en droit du travail sans avoir pour autant une très bonne connaissance de la procédure d'appel avec représentation obligatoire. Nous sommes quasiment le 1er juin et la réforme entre en vigueur le 1er août. Ces délais sont extrêmement brefs, particulièrement pour les défenseurs syndicaux, mais pas seulement pour eux.

Ma troisième question porte sur l'article 8 du décret. J'ai entendu le président-rapporteur s'en féliciter, puisqu'effectivement, les conditions de la saisine sont assorties d'une nullité. Sans vouloir remonter à Hans Kelsen, il me semble que lorsqu'il n'y a pas de sanction à une règle, cette règle devient fragile. Toutefois, les termes dans lesquels cette nullité est instaurée sont ambigus. Mon interrogation porte donc sur la portée de la nullité.

Selon l'article R. 1452-2, « À peine de nullité, la requête comporte les mentions prescrites à l'article 58 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. » Ma question est la suivante : la nullité porte-t-elle sur les seules mentions prescrites à l'article 58 – dans ce cas, si l'article 58 du code de procédure civile n'est pas respecté, la nullité peut être demandée – ou porte-t-elle également sur ce qu'il est requis « en outre » ? Dans le premier cas, il s'agirait d'une victoire à la Pyrrhus dans l'objectif que nous poursuivions qu'il y ait davantage de formalisation de la saisine.

Pourquoi cette formalisation de la saisine est-elle importante ? Parce que c'est la condition pour améliorer les chances de la conciliation. C'est également la condition pour que le bureau de conciliation et d'orientation, dans le cas où le défendeur ne se présente pas, puisse, sur la base d'une demande dont l'objet a été suffisamment développé, statuer en l'absence du défendeur, dans le respect du contradictoire. Les textes réglementaires et les textes législatifs doivent répondre à la même logique.

Puisque j'ai l'occasion de vous interroger sur l'interprétation de l'article 58, une de ses dispositions pose des questions particulières en matière prud'homale. Je le cite : « Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. » La question est de savoir, cette fois-ci, sur l'application combinée du nouveau texte réglementaire en matière prud'homale et de l'article 58 du code de procédure civile, s'il faudra, dans la saisine du conseil des prud'hommes, justifier des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. Cela risquerait de poser un problème puisqu'on saisit précisément le conseil des prud'hommes en sachant que l'on va devant le bureau de conciliation et qu'il y aura donc un formulaire préalable pour tenter de résoudre le litige à l'amiable. Peut-on donc considérer qu'on échappe à cette obligation dès lors que l'on est dans une matière qui l'exclut, ce que permet l'article 58 du code de procédure civile puisqu'il exclut, sans les définir, certaines matières, de l'obligation de justifier des diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable ?

Je suis désolé pour le caractère très technique de ces questions, mais je sens qu'elles vont immédiatement se poser dans les saisines. Je serais très satisfait qu'il puisse y avoir une interprétation assez rapide du texte, puisque le décideur, en la matière, c'est vous.

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