Je suis toujours heureux, monsieur le président, de venir présenter les travaux de l'AMF et échanger avec votre commission.
Notre rapport annuel comporte beaucoup de chiffres sur la gestion et les opérations financières ; je n'y insisterai guère. J'essaierai de caractériser l'année 2015, un peu paradoxale ; puis j'évoquerai les enjeux du moment ; enfin, j'aborderai un certain nombre de textes actuellement examinés par le Parlement – nous avons eu beaucoup d'échanges, notamment avec les rapporteurs, dans des conditions dont je me félicite.
Pourquoi l'année 2015 est-elle paradoxale ? L'AMF se situe au carrefour de la finance et de l'économie – n'abusons pas de l'opposition entre finance et économie réelle ; elles ont beaucoup de rapports. Or, si 2015 a été plutôt favorable, sur le plan financier, aux entreprises qui cherchent à lever des fonds comme aux épargnants, ce fut une année en demi-teinte sur plan économique : la croissance a été un peu lente à vraiment démarrer, malgré une conjonction de facteurs favorables. L'année 2016 semble avoir commencé dans des conditions strictement inverses : les perspectives et les fondamentaux économiques sont plutôt meilleurs, sous l'effet des facteurs favorables, tels la parité eurodollar et le prix de l'énergie. Cependant, les marchés et les régulateurs restent inquiets, et les cours sont très volatils.
En 2015, plus de trente sociétés nouvelles ont été introduites en bourse. Elles ont levé plus de 5 milliards d'euros, ce qui ne s'était pas vu depuis longtemps. Le CAC 40 dividendes réinvestis a gagné 12 %. Compte tenu du niveau des taux d'intérêt, la performance est plus qu'appréciable pour qui aurait placé son épargne en actions. Quoiqu'un peu ralenti par rapport à l'année précédente, très généreuse de ce point de vue, le financement obligataire est resté considérable, en particulier pour les financements dits « corporate », c'est-à-dire ceux des entreprises non financières. Les marchés ont donc apporté des fonds, et, en Europe continentale, la France est celle dont, au cours des dernières années, le modèle a le plus évolué dans le sens d'un rééquilibrage en faveur des financements des marchés – aujourd'hui, un peu moins des deux tiers des fonds des entreprises sont levés auprès des banques, un peu plus du tiers auprès des apporteurs de fonds en obligations ou en actions. C'est plutôt satisfaisant.
Cependant, le prix des actifs a subi plusieurs chocs, et la volatilité moyenne fut assez élevée, particulièrement forte au mois d'août et à la fin de l'année, sans parler du trou d'air connu au début de l'année 2016, qui a provoqué un arrêt des introductions en bourse pendant plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, avec un fort repli du CAC40.
Je fréquente beaucoup les réunions internationales des régulateurs – au niveau européen, à l'European Securities and Markets Authority (ESMA) ou à l'European Systemic Risk Board (ESRB), et au niveau mondial, à l'International Organization of Securities Commissions (IOSCO) ou dans le cadre du Financial Stability Board (FSB, ou CSF pour Conseil de stabilité financière). Un consensus s'est formé entre les régulateurs – de marché ou prudentiels –, qui considèrent qu'il y a eu une certaine réduction des risques, mais que le système reste encore extrêmement incertain et peu stable. Autrement dit, nous traitons les sujets, nous réformons un certain nombre de dispositifs, en Europe, dans le cadre de l'agenda Barnier ou de l'Union des marchés de capitaux, mais nous nous inquiétons des modalités de sortie de ce régime de taux bas. Personne n'avait prévu des taux aussi bas, c'est un défi pour l'ensemble du système économique comme pour les assureurs et les épargnants. On ne peut pas considérer que ce régime est stable. Tant que la croissance et un peu d'inflation n'auront pas permis de sortir de cette situation, nous serons confrontés à des incertitudes macroéconomiques.
Pour notre part, nous travaillons beaucoup sur ce qu'on appelait le shadow banking, qu'on appelle maintenant market based finance, autrement dit la finance de marché – par opposition à la finance bancaire –, pour déterminer les risques. Quoi qu'il en soit, tant que les taux restent aux niveaux actuels, nul ne saurait porter un regard serein sur le moyen terme ; nous travaillons régulièrement avec les grands gérants d'actifs pour voir comment ils se préparent à des chocs sur les taux ou sur les obligations.
L'année 2015 fut donc plutôt favorable, mais une aversion au risque assez générale a détourné les épargnants, en particulier les épargnants français, des actions. C'est dommage, car l'épargnant qui, depuis trois ans, a fait confiance aux actions a profité de rendements sans commune mesure avec ceux des produits classiques. Évidemment, il y a eu des risques de volatilité, mais les sociétés non financières ont versé des dividendes très importants, de l'ordre de 3 %, et les cours se sont bien tenus ; les épargnants ayant placé leur argent en actions ont donc été récompensés du risque pris. Malheureusement, un historique des marchés très stressant et la prudence des réseaux de distribution, qui craignent que leur responsabilité ne soit engagée s'ils conseillent des produits jugés risqués, ont été défavorables à cette prise de risques.
Vous parliez, monsieur le président, des produits toxiques ou exotiques. De notre point de vue de régulateur, la situation est paradoxale : les actions, produits certes volatils, mais très bien connus, depuis des décennies, qui ont fait leurs preuves, suscitent la crainte, tandis qu'une partie des épargnants, démarchés par de quasi-escrocs, essuient des pertes. Benoît de Juvigny a tenu une conférence de presse à l'AMF à laquelle ont participé le procureur de Paris et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Nous nous sommes exprimés d'une même voix pour essayer d'alerter sur les risques de ces placements. Le procureur de Paris a évoqué des pertes d'un montant de 4 milliards d'euros ! En toute honnêteté, cette estimation me paraît un peu élevée, mais, même s'il se trompe d'un tiers ou de la moitié, les montants perdus – pas pour tout le monde ! – sont tout à fait considérables. C'est pourquoi j'apprécie énormément que M. Michel Sapin puis les parlementaires aient approuvé l'idée de confier à l'AMF de nouveaux pouvoirs de nature à lui permettre de réagir face à une commercialisation vraiment agressive, parfois proche de l'escroquerie, ou pénalement répréhensible.
J'en viens aux enjeux. Il s'agit tout d'abord de prévenir au maximum les risques liés aux taux d'intérêt et à la gestion d'actifs dans un environnement difficile, et de travailler sur la convergence de la supervision en Europe. Nous sommes ainsi très engagés au sein de l'ESMA. Ces travaux sont assez austères, mais c'est ainsi que se construira une Europe de la finance plus solide et plus sûre, inspirant davantage confiance.
Parmi les questions européennes figure l'entreprise de marché. L'une de nos grandes satisfactions est de voir Euronext retrouver son autonomie, avec un noyau dur de 30 % d'actionnaires, au sein duquel les financiers français occupent une place importante. Cette entreprise doit relever de nouveaux défis : si la fusion des entreprises de marché britannique et allemande est menée à son terme, elle donnera naissance à un mastodonte représentant dix fois la capitalisation actuelle d'Euronext, qui se trouvera donc dans une position peu favorable ; nous n'en sommes pas là, mais nous restons vigilants.
De même, des travaux, en particulier avec les professionnels de la gestion, portent sur la compétitivité de notre place financière. Nous avons des compétences et de nombreux fonds sont gérés à Paris, mais nous pourrions mieux commercialiser ces talents, ce qui n'aurait que des avantages, en termes de sécurité, d'efficacité de la gestion et d'emploi.
Sur l'application du principe non bis in idem, vous avez dit l'essentiel, monsieur le président. Je remercie les députés et les sénateurs qui se sont penchés sur ces sujets austères. Je crois que nous avons trouvé une solution respectueuse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Pour chaque dossier, il faudra choisir entre la voie pénale et l'AMF, mais il n'y avait pas de meilleure solution que celle qui est sur le point d'être adoptée par le Parlement. Le travail mené en commun par les équipes d'enquête et de contrôle de l'AMF, placées sous l'autorité de Benoît de Juvigny, et le parquet national financier se passe bien. Mme Houlette dit manquer de moyens, ce qui est compréhensible, étant donné l'étendue des compétences du parquet national financier, mais ils ont tout de même été renforcés, avec une quinzaine de personnes travaillant uniquement sur ces sujets. Nous avons là une bonne solution – nous verrons ensuite si le parquet national financier parvient à obtenir des jugements du tribunal correctionnel dans des délais plus brefs que jusqu'à présent.
Le projet de loi dit « Sapin 2 » permet de très importantes améliorations sur le plan pratique. Au début, les différents services de Bercy nous trouvaient trop audacieux, mais, finalement, nous avons convaincu. Le dispositif auquel nous sommes parvenus devrait nous permettre de marquer des points face aux commercialisateurs en question.
Enfin, une proposition de loi vise actuellement à instaurer un statut général des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API), et j'ai déjà été auditionné par les rapporteurs. Si l'approche générale est intellectuellement séduisante, en réalité, la démarche est assez dangereuse pour une maison comme l'AMF. Les grands principes envisagés initialement comme devant fonder la gouvernance des AAI auraient diminué l'efficacité du collège de l'AMF et la qualité de ses délibérations. Ce raisonnement a été entendu, et la proposition de loi telle qu'elle a été votée ne me pose pas problème, mais la navette parlementaire n'est pas terminée. Je conçois que les parlementaires veuillent un cadre à peu près cohérent pour les AAI, mais voyez comme les matières, et les compétences requises pour les traiter, sont diverses ! Je plaide pour une certaine prudence.