Intervention de Gérard Rameix

Réunion du 31 mai 2016 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers :

Vous abordez des sujets difficiles, madame la rapporteure générale.

En ce qui concerne les propositions de règlement, nous avons tout simplement été battus. Nous sommes présents dans soixante-dix groupes de travail européens ou internationaux. C'est vous dire si nous nous battons pour faire valoir nos conceptions, issues d'une tradition de régulation ancienne et plutôt raisonnable. En toute immodestie, je pense que nous sommes nettement plus entendus que nous ne pesons dans la finance mondiale… mais nous ne gagnons pas chaque fois. Ce fut le cas sur les questions que vous évoquez.

Les Britanniques, absolument opposés à l'idée d'un label garanti par un régulateur ou par une entité telle qu'un prestataire d'investissement directement régi par un régulateur, sont partisans d'un système plus souple. C'est leur point de vue qui a été retenu. Est-ce grave ? Je n'en sais rien. À vrai dire, la titrisation est, en ce moment, très modeste. Les documents de la Commission européenne indiquent une volonté de la relancer, mais il nous semble que ce n'est pas avec les outils proposés que l'on y parviendra vraiment. Les titrisations soumises à l'AMF ne suscitent cependant pas notre inquiétude. De temps en temps, je vise des procédures de titrisation de crédit aux particuliers, notamment des crédits automobiles, ou des titrisations de créances assez classiques des banques. Cela se fait, mais à petit volume, et c'est assez sûr ; nous les enregistrons. Je pense que le dispositif proposé va être adopté, notre voix étant minoritaire. Il sera, à mon avis, assez peu efficace, mais je peux me tromper. Tout cela dépend beaucoup des conditions de marché, et, aujourd'hui, l'action de la BCE est telle que les banques ne sont pas en mal de fonds. Il n'y a donc pas de problème.

L'AMF s'est également beaucoup battue, avant même mon retour, pour faire admettre que les fonds à valeur constante sont encore plus dangereux que les fonds monétaires classiques. Cela a été assez compliqué, mais ce point de vue a finalement été adopté par le régulateur américain. La solution trouvée aux États-Unis est un peu complexe et imparfaite, mais un message très net n'en a pas moins été envoyé aux opérateurs : les fonds à valeur constante doivent être réservés à certains publics et à certains types de créances. En revanche, en Europe, des pays permettent peu à peu la commercialisation, notamment auprès d'entreprises américaines, de produits que le régulateur permet moins aux États-Unis. Pourtant, l'Europe avait été traumatisée lorsqu'en 2008 il avait fallu voler au secours des fonds, tant aux États-Unis qu'en Europe, pour éviter que tout le système ne s'écroule. Les petites sécurités, les petits verrous qui peuvent être mis en place ne nous satisfont pas complètement. Ce n'est pas un sujet que nous traitons directement, mais les avis de l'AMF sont très souvent sollicités par la direction générale du Trésor et le ministre des finances, car c'est au niveau de celui-ci que les décisions seront prises. Pour ma part, j'aide les experts de la direction générale du Trésor qui préparent notes et prises de position pour le ministre ou j'interviens, ensuite, pour les détails, au niveau de l'ESMA s'il y a lieu – en l'occurrence, nous n'en sommes pas à ce stade, mais je ne suis pas très optimiste. J'étais à l'ESRB, à la fin de l'année 2012, lorsqu'une majorité a voté pour proscrire les fonds à valeur constante. Je pensais que cette position, qui était celle de la BCE et des principaux pays, allait prévaloir, mais le temps a passé et la mode est à une régulation plus souple.

Ce n'est malgré tout pas ma principale inquiétude. Nous avons quand même mis beaucoup de verrous dans les fonds monétaires, et les fonds à valeur variable ne sont pas non plus exempts de risques. La menace n'est pas immédiate, mais il est un peu dommage que notre point de vue ne prévale pas.

L'expression « bifurcation de la liquidité » me paraît relever du jargon d'économiste, et, moi-même, je ne l'utilise pas vraiment. En outre, la cellule économique de l'AMF a montré dans une étude que la liquidité n'est pas si mauvaise. Ce sont surtout les réseaux bancaires qui se plaignent des contraintes de bilan, qui réduiraient leur présence sur les marchés et donc la liquidité de ceux-ci. N'achetons pas forcément cette idée d'une liquidité moindre ! Deuxièmement, la question est un peu brouillée par le trading haute fréquence, qui donne une liquidité artificielle, une apparence de liquidité – en fait, une liquidité qui peut disparaître.

Des trois sujets que vous avez évoqués, madame la rapporteure générale, celui-ci est le plus important sur le fond. C'est l'un des risques que j'avais à l'esprit lorsque j'évoquais les taux. Le jour où ils remonteront, la valeur des obligations à taux fixe sur plusieurs années diminuera mathématiquement. Plus le gérant est compétent, plus il cherchera à profiter d'une valeur liquidative élevée avant que les cours ne s'écroulent. Nous essayons de traiter cette question par toute une série de méthodes, mais, en cas de brutale remontée des taux et de brutal affaissement des valeurs obligataires, la question relève des banques centrales. Nous pouvons simplement veiller à ce que l'action des gérants ne joue pas le rôle de détonateur ou n'aggrave pas la situation, mais il n'est pas dans nos moyens d'empêcher un phénomène économique majeur.

Les entreprises d'une certaine taille recourent aujourd'hui beaucoup au financement obligataire. Il est certain que leurs titres sont moins liquides, par exemple, que les obligations assimilables du Trésor classiques. Il faut donc prendre un certain nombre de précautions, mais le risque majeur est celui d'une remontée mal maîtrisée des taux. La présidente de la Réserve fédérale, Mme Yellen, semble extrêmement prudente, mais les réactions de marché peuvent être assez rapides. Nous invitons les grands gérants français à faire des stress tests, à parler avec les plus importants détenteurs de parts de leurs fonds obligataires. Nous travaillons sur les mécanismes dits de « gates », c'est-à-dire de restriction des ventes, de gel partiel du passif dans des conditions de stress, pour essayer d'éviter des phénomènes d'accélération. C'est la question la plus délicate.

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