C'est avec plaisir que je vous présente ce matin une proposition de loi instituant une carte de famille de blessé de guerre.
Comme vous le savez, j'ai eu l'honneur, avec notre collègue Émilienne Poumirol, d'être chargé par la commission en 2014 d'un rapport sur la prise en charge des blessés qui se trouvait être, nous l'avons découvert ensemble, le premier jamais rédigé sur ce thème. Au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites et des visites sur le terrain que nous avons faites, j'ai eu le privilège de pouvoir recueillir de nombreux témoignages. Ils étaient tous bouleversants parce qu'ils ne cessaient de rappeler, à l'homme et à l'élu que je suis, que notre armée est avant tout faite de la chair et du sang de ses hommes. L'extrême sophistication des matériels ne doit en effet pas faire oublier que la guerre était et est toujours l'affaire d'hommes mis en présence ; et lorsque les choses se passent mal, des hommes perdent la vie ou une partie de leur intégrité physique. C'est cette réalité brutale dans sa simplicité et cruelle dans son évidence à laquelle je me suis trouvé confronté encore et encore. Et c'est pour cette raison, pour cette hypothèque sur leur vie librement consentie, que la Nation tout entière doit aux soldats qui ont souffert pour elle une reconnaissance dont la manifestation ressort autant du symbole que d'actions concrètes.
Et ce que la Nation doit aux blessés, elle le doit également à leur famille qui souffre en quelque sorte du second impact de la blessure. Comment oublier le récit de cet ancien militaire souffrant de syndrome post-traumatique racontant comment son petit garçon venait presque chaque nuit le rechercher dans la cuisine alors qu'il se terrait, recroquevillé sur le sol dans le noir à côté du réfrigérateur ? Ou celui de cet autre, sujet à des crises de panique telles qu'il ne pouvait sortir de chez lui qu'accompagné par son épouse contrainte de trouver quelqu'un pour la remplacer quand elle avait des obligations auxquelles elle ne pouvait se soustraire ? Je suis en mesure de vous dire que l'on ne sort pas indemne de ces auditions qui étaient toutes plus bouleversantes les unes que les autres.
Des parents, des conjoints, des enfants ne reconnaissent plus l'homme ou la femme qui leur est rendu. Rendu, ce verbe peut surprendre mais il reflète bien la réalité du retour du blessé dans son environnement familial. La famille retrouve un être différent de celui qui est parti et s'adapte avec plus ou moins de difficulté à cette situation nouvelle. Le blessé s'adapte aussi et un nouveau lien se fait autour de la blessure entre le blessé et sa famille. Il arrive que cela ne fonctionne pas de part et d'autre et que la famille se désintègre. Or la famille, les médecins le disent, joue un rôle central dans la guérison du blessé.
Il serait néanmoins tout à fait erroné de penser que les familles sont totalement oubliées aujourd'hui dans le dispositif de soutien mis en place par le ministère pour les soldats en général et les blessés en particulier. Certains volets s'adressent aux familles préalablement au départ en opérations extérieures : il s'agit notamment d'un guide en ligne très complet disponible sur le site de la Caisse nationale militaire d'assurance maladie et de réunions d'information collectives organisées par la sous-direction de l'action sociale avant le départ en OPEX. En cas de blessure, la famille peut compter sur le soutien immédiat des cellules d'aide aux blessés de chaque armée, qui sont une source d'information précieuse et un guide dans le « tsunami administratif » qui s'abat sur le blessé et sa famille.
Une maison du blessé de l'hôpital Percy a été inaugurée en avril 2015 – nous étions très nombreux autour de Jean-Yves Le Drian - et propose aux blessés en suite de soins et aux familles six studios, cinq appartements et des lieux de vie communs. En dehors de cette maison, l'action sociale finance pendant 21 jours un hébergement hôtelier pour permettre à deux membres de la famille de rester auprès du blessé hospitalisé. Une fois ces 21 jours écoulés, des associations peuvent prendre le relais en cas de nécessité. L'IGeSA offre également un séjour d'une semaine de vacances au blessé et à sa famille. Différentes aides de garde d'enfant et ménagères sont disponibles ainsi que le recours à des aides sociales personnalisées gérées par l'action sociale ou l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG) en fonction de la situation de chaque famille.
Ce soutien matériel est un socle essentiel qui assure une sécurité mais il est loin d'être suffisant. Le besoin de parler, d'être entendu, de trouver des réponses à des questions parfois lancinantes est énorme et va de pair avec celui d'être reconnu. Au besoin de parole répond le dispositif Écoute défense, un numéro vert accessible sept jours sur sept et 24 heures sur 24 mettant en relation avec des psychologues du service de santé des armées qui peuvent, en cas de besoin, orienter vers les soins de proximité adéquats.
Mais le besoin de reconnaissance, dont la vocation thérapeutique n'est contestée par personne, est bien celui qui m'est apparu le plus souvent évoqué au cours des travaux préparatoires à notre rapport sur les blessés. Il semble aussi le moins bien satisfait. Les blessés victimes d'une blessure de guerre homologuée peuvent recevoir l'insigne des blessés que les armées ont fini par décerner aujourd'hui sans état d'âme à leurs blessés, tant physiques que psychiques, après des atermoiements et des années de pratiques divergentes. L'article 6.1 du rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 entend d'ailleurs bien clarifier cette situation par la détermination des modalités du port de cet insigne grâce à un décret pris après avis du Conseil d'État. Selon la procédure habituelle un avis consultatif a donc été pris par le ministre de la Défense auprès du Grand chancelier de la Légion d'honneur qui, au bout d'une année de réflexion, a apporté une réponse arrivée en début de semaine. D'après les informations qui me sont parvenues, cet avis ne serait pas totalement positif. Je ne doute pas que le décret que proposera le ministre de la Défense mettra un terme positif et définitif à ce débat.
Puisqu'il est, au regard des vicissitudes de l'insigne des blessés, déjà complexe d'honorer les blessés de guerre, il n'est guère étonnant que les familles ne l'aient pas encore été alors que cette demande est exprimée avec force, notamment par les conjoints. C'est pourquoi, ma proposition de loi est de nature à combler cette lacune et à matérialiser la reconnaissance de la Nation pour les souffrances induites et les sacrifices consentis par la famille.
La carte de famille de blessé de guerre se place délibérément dans le registre du symbole, dont une des vertus est d'ordre thérapeutique.
Par ailleurs, il se peut qu'ici ou là des collectivités ou des associations de commerçants, comme cela se pratique parfois déjà pour les militaires dans certaines communes, et c'est le cas à Draguignan, décident de consentir des avantages économiques aux porteurs de cette carte. Mais il s'agira d'initiatives privées qui, si elles ne sont pas le but initial de cette proposition, contribueront bien évidemment au lien armée-Nation.
C'est à dessein que ma proposition n'entre pas dans le détail des modalités d'application afin que le ministère ait toute latitude pour mettre en place le dispositif le plus léger possible. Mais je tiens toutefois à formuler quelques recommandations.
Il me semble que les cartes devraient être délivrées par la direction des ressources humaines de chaque armée, chargée de l'homologation de la blessure de guerre, afin que le lien soit établi de façon indubitable entre la blessure de guerre et la carte de famille de blessé de guerre.
L'enfer est, comme on le sait, pavé de bonnes intentions. Ainsi mon attention a-t-elle été attirée par le service de santé des armées sur la nécessité de considérer chaque cas isolément et de ne pas remettre la carte de façon systématique une fois la blessure de guerre homologuée. C'est pourquoi j'ai précisé dans le texte de la proposition de loi que cette carte sera attribuée seulement sur demande. Mais au-delà, la demande devrait être formulée par le blessé lui-même qui souhaite en disposer pour sa famille et non directement par la famille. En effet, certains blessés, physiques dont le handicap appareillé ne se voit pas ou psychiques dont le mal est par nature invisible, peuvent ne pas souhaiter se définir en tant que blessés et s'afficher en tant que tels. La délivrance d'une carte non souhaitée irait alors à l'encontre du but recherché.
La carte pourrait être remise à la famille en même temps que l'insigne des blessés. Cette recommandation, soutenue par la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre (CABAT), permettrait d'associer pleinement la famille en lui témoignant avec solennité la considération qu'elle mérite. La valeur de reconnaissance portée par la carte s'en trouverait accrue.
Enfin, les consultations que j'ai menées dans le cadre de cette proposition de loi, le service de santé des armées, l'ONAC-VG et la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre notamment, me conduisent à penser qu'elle est accueillie favorablement par les personnes en charge des blessés et qu'elle correspond à une véritable demande.
Il me semble également que son objet est consensuel - je ne crois pas trop m'avancer en pensant que ma co-rapporteure Émilienne Poumirol l'aurait très certainement approuvé, tellement elle a, comme moi, été touchée par ce que nous avons vu et les auditions que nous avons menées – aussi je vous remercie mes chers collègues de l'accueil favorable que vous voudrez bien réserver à ce texte.
Je terminerai en citant une phrase de George Clemenceau que nous avons utilisée dans notre rapport sur les blessés et qui a une résonance particulière en cette commémoration du premier conflit mondial : « Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous. » J'ajouterai très modestement et à la place qui est la mienne : leur famille aussi.