Intervention de Norbert Ifrah

Réunion du 1er juin 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Norbert Ifrah :

Professeur des universités et médecin des hôpitaux en hématologie au centre hospitalier universitaire (CHU) et à l'Université d'Angers, je me suis consacré en particulier aux leucémies aiguës et aux allogreffes de cellules-souches hématopoïétiques. Je suis membre d'une équipe Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – Centre national de la recherche scientifique (CNRS), chef de service et chef de pôle dans mon établissement et responsable de la discipline en son sein. Ancien membre du comité d'éthique, j'ai également présidé la commission médicale du CHU d'Angers. J'ai par ailleurs été lauréat de l'appel à projet « Fédérations hospitalo-universitaires (FHU) 2014 » organisé par l'INSERM, les universités et les Hôpitaux universitaires du grand Ouest (HUGO). J'ai également été lauréat du premier plan d'investissement d'avenir pour le projet « FCRIN », aux côtés du Professeur Olivier Rascol. J'ai occupé les postes de président du conseil scientifique et de président des groupes nationaux traitant des leucémies aiguës et ai participé à la fondation du groupe de recherche européen sur les leucémies aiguës lymphoblastiques. président du collège des hématologistes français, j'ai également présidé la 47e section du Conseil national des universités (CNU) consacrée à l'hématologie, la cancérologie, l'immunologie et la génétique, ainsi que le Comité national de coordination de la recherche (CNR) et le pôle cancer de la Fédération hospitalière de France (FHF).

Je suis à ce titre membre du conseil d'administration de l'INCa depuis 2008 et ai achevé mon mandat de président du jury international des programmes hospitaliers de recherches cliniques et des programmes hospitaliers de recherches médico-économiques. L'essentiel de mes 200 publications internationales porte également sur le champ des leucémies et des allogreffes.

L'individu est toutefois moins important que l'adversaire. Une personne sur vingt a ou a eu un cancer en France. La maladie se concentre sur quatre localisations principales : la prostate, le sein, le côlon et le poumon. Le nombre de personnes confrontées chaque jour au diagnostic de ces maladies – 1 000, dont 7 enfants – a doublé depuis 1980, pour des raisons liées à l'accroissement de la population, à son vieillissement et à l'augmentation du risque intrinsèque. Un malade sur deux guérit toutefois de son cancer, rendant les réflexions relatives aux séquelles du traitement et au droit à l'oubli d'autant plus actuelles.

Les dépenses liées à ces affections s'élèvent à 15 milliards d'euros, soit un dixième du budget de l'assurance maladie et un poste en forte tension. Créé en 2004, l'INCa rassemble l'expertise et scientifique de l'État, sous la tutelle conjointe des ministères des affaires sociales et de la santé et de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il a pour mission d'élaborer une vision intégrée de l'ensemble des champs du cancer. Le Plan cancer, constitue son principal outil, décliné en 4 axes, 17 objectifs et 208 actions dont 72 % sont pilotées ou coordonnées par l'INCa. Son statut de GIP l'amène à interagir avec les organismes payeurs, les établissements de soins, les organismes de recherche et les associations et fondations qui siègent à son conseil d'administration. Ce dernier s'appuie sur un conseil scientifique international et sur un comité des usagers et des professionnels qui participent à la démarche de démocratie sanitaire. La cohérence des fonds dédiés au Plan cancer est favorisée par le cumul par une même personne des fonctions de directeur du pôle « recherche et innovation » de l'INCa et de l'institut thématique de l'alliance pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN).

L'INCa produit, analyse et évalue des données de santé. Il contribue à l'établissement de référentiels et à l'attribution d'autorisations. Il accorde une indépendance particulière à l'indépendance, à la transparence et à la pertinence de l'expertise. Il favorise la diffusion et l'appropriation des connaissances et des bonnes pratiques. Il porte également la connaissance française à l'international, en coopération avec les sociétés savantes et les autres agences de l'État partageant ce domaine d'expertise L'INCa effectue son travail, par ailleurs, dans un souci de concertation citoyenne, grâce à l'engagement sans faille des acteurs de l'agence dont le nombre a diminué de 187 à 149 équivalents temps plein (ETP) en dix ans.

Ayant atteint l'équilibre en 2015 par un prélèvement sur son fonds de roulement comblant 11 % de ses besoins, l'INCa doit aujourd'hui hiérarchiser ses objectifs. L'INCa intervient simultanément dans les aspects sanitaires de la lutte contre le cancer, la formation, la recherche et l'innovation scientifiques. Le soin est confronté au bouleversement des pratiques historiques, avec un diagnostic moléculaire, une radiologie précise voire interventionnelle, une chirurgie et une chimiothérapie ambulatoires, de nouveaux appareils de radiothérapie et la réduction du nombre de séances nécessaires, dans un temps où le poste financier du médicament explose.

Je rappelle que 40 % des cancers sont liés à des comportements sur lesquels il est possible d'agir tels que le tabac, l'alcool ou l'exposition aux ultra-violets. Le dépistage organisé de certains cancers constitue donc une arme majeure lorsque l'on pense à la guérison mais aussi aux séquelles que conservera le malade tout au long de sa nouvelle vie. L'INCa a donc le devoir d'apporter son expertise en matière de prévention.

L'articulation entre la ville et l'hôpital demeure perfectible et se heurte parfois à la frilosité de la coopération. Des professionnels isolés et surchargés ont besoin d'une information rapide auxquels ne répondent que partiellement les comptes rendus d'hospitalisation. L'évolution vertigineuse des savoirs, des pratiques et des besoins peut être déstabilisatrice. Les travaux engagés sur le parcours du patient, sur le patient expert ou sur l'hospitalisation à domicile constituent pourtant de vraies pistes. La réflexion actuelle sur la tarification des parcours de soins et le partage de l'information avec les équipes de premier recours seront facilités par la généralisation du dossier communicant de cancérologie. Des stages pourraient, en outre, être réservés aux internes de médecine générale qui le souhaitent dans les services de cancérologie.

Vaincre les inégalités dans la lutte contre le cancer relève davantage de l'addition de petits pas que d'une action spectaculaire.

Le renouvellement des autorisations et des labels, contemporains de la réforme des diplômes d'études spécialisés, et les formations spécialisées transversales sont l'occasion de structurer plus simplement l'action contre le cancer dans un paysage caractérisé par un certain empilement. Il faudrait en effet tirer parti de cette étape pour s'orienter vers une exigence plus qualitative destinée à enrichir la simple définition des seuils.

Enfin, j'aimerais terminer ma présentation par ce qui me tient le plus à coeur. La recherche, pilotée par l'INCa avec AVIESAN, constitue un ferment du progrès.

La recherche fondamentale, tout d'abord, donne du sens. Elle permet le transfert et l'utilisation des savoirs. Elle permet, par exemple, de mieux repérer les mutations à l'origine d'un cancer, d'expliquer leur signification et de suivre son évolution à chaque phase de la maladie. La génomique a ainsi montré que les mutations en cause lors de la résurgence d'une maladie peuvent être bien différentes de la situation initiale et que l'utilisation du terme de rechute est bien souvent impropre. Grâce à la recherche fondamentale, nous avons appris que si chaque tumeur est unique, certaines voies de signalisation sont affectées de manière répétitive. Le contexte immunologique est lui aussi perturbé ; il est possible d'agir sur celui-ci.

Tout ceci a ouvert la voie à de nouvelles approches et a permis le développement d'une médecine plus précise. Ces connaissances fondamentales récentes doivent par ailleurs s'ouvrir aux sciences dures – mathématiques, physiques, chimie – pour exploiter au mieux les perspectives qu'elles ouvrent.

La recherche clinique n'est pas en reste. Elle est source d'accès à l'innovation ainsi qu'au développement de nouvelles stratégies plus efficaces tout en s'appuyant sur les grands groupes coopérateurs labellisés par l'INCa et reconnus au niveau international. À mon sens, la recherche clinique doit davantage être développée dans les disciplines telles que la chirurgie, la radiothérapie, la pédiatrie et l'oncogériâtrie.

Enfin, la recherche doit aussi couvrir le champ médico-économique et épidémiologique car elle contribue à des choix indispensables. Il ne faut pas non plus mésestimer la recherche intervenant dans le champ des sciences humaines et sociales, ne serait-ce que pour s'interroger sur l'inégalité, les inquiétudes, le déni, la qualité de vie, le retour au travail et le droit à l'oubli.

L'animation de l'INCa s'exerce sur tous ces fronts. Citons quelques-unes de ses créations : les équipes mobiles de recherche clinique (EMRC), les cancéropôles, les sites de recherche intégrée sur le cancer (SIRIC), les centres labellisés INCa de phase précoce (CLIP) dont 6 sont aujourd'hui dédiés aux enfants, le programme d'accès aux molécules innovantes (AcSé) – qui permet d'accroître l'efficacité du traitement pour un cancer donné dès lors qu'un autre cancer présente la même anomalie, le soutien au programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie (PHRC-K) ou au programme hospitalier de recherche médico-économique en cancérologie (PRME-K) pour lesquels l'INCa apporte son expertise quant au choix des programmes de recherche.

En matière de recherche, je rappelle que les préconisations du Plan cancer 2014-2019 visent notamment à inclure 50 000 patients par an dans les essais thérapeutiques en 2019. Si l'objectif n'est pas encore atteint, notons qu'à ce jour 43 000 malades sont inclus dans des essais cliniques en 2014, contre 12 000 en 2008.

L'INCa incarne une agence unique dédiée à l'intégration de toutes les facettes d'une seule famille de maladies. Il constitue en ce sens un hapax qui bénéficie aujourd'hui d'une renommée incontestée et d'une reconnaissance par les malades et leurs familles en raison de ses succès probants et surtout exportables. La recherche sur le cancer ne constitue pas une niche mais plutôt un modèle. Cette maladie conserve sa spécificité mais les découvertes permettent d'influencer la prise en charge d'autres maladies graves etou chroniques. Citons ainsi les nouvelles approches dans le domaine du démembrement des voies de signalisation et de communication cellulaire, de l'immunothérapie, le dispositif d'annonce ou le plan personnalisé de santé.

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