Intervention de Pierre-Yves Le Borgn'

Réunion du 11 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Le Borgn', rapporteur :

L'accord de Paris, adopté le 12 décembre dernier lors de la conférence Paris Climat 2015, la COP 21, est une étape marquante pour les relations internationales.

D'abord, il ouvre la perspective d'un pacte avec le futur, selon l'expression du secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, car il donne au monde les bases d'une maîtrise des émissions de gaz à effet de serre qui sont à l'origine directe des dérèglements climatiques que nous constatons tous et que nous vivons dans le monde.

Ensuite, le consensus inédit de décembre 2015, avec 195 pays qui sont d'accord pour agir face à cette menace pour l'avenir de l'humanité, vient d'être confirmé par les conditions dans lesquelles l'accord a été ouvert à la signature, à New York, le 22 avril dernier. 175 pays étaient représentés à cette cérémonie solennelle. 55 chefs d'États et de Gouvernement étaient présents. 15 pays dont les règles constitutionnelles le permettent ont déposé en même temps leur instrument de ratification. A titre de comparaison, c'est très au-delà de la signature de la convention de 1982 sur le droit de la mer, qui n'avait reçu « que » 119 signatures le premier jour. La prise de conscience est bien là au niveau mondial quant à la nécessité et à l'urgence à agir.

Les indicateurs climatiques nous le rappellent. Il s'agit d'abord de la concentration des gaz à effet de serre, qui est de l'ordre de 400 parties par million (ppm) pour le CO2, alors que qu'il faut la contenir à 450 ppm pour limiter à hausse des températures à 2° Celsius. Il s'agit aussi des températures moyennes, qui s'élèvent. Les années chaudes sont bien plus fréquentes dans les périodes les plus récentes. Interviennent également des événements préoccupants. Il est maintenant avéré que le rôle de l'Antarctique n'est pas neutre, que ses glaces fondent et qu'il faut par conséquent réévaluer l'ampleur de l'élévation du niveau des océans.

Les comportements changent. Les appels de la finance en faveur de l'action pour le climat reposent sur une analyse économique de fond. La transition énergétique et l'économie verte offrent des perspectives de croissance et d'emploi, et le très faible niveau des taux d'intérêts incite aux investissements massifs dans les énergies renouvelables. Les travaux du secteur de la finance conduisent à l'évaluation des risques climat et des contenus en carbone des produits financiers et des produits d'assurance, évaluation qui n'existait pas ou que peu auparavant.

De même, des Etats producteurs d'hydrocarbures tels que le Canada et même l'Arabie saoudite envisagent des mutations profondes de leur économie. La Chine réduit de manière significative son recours au charbon.

Dans le secteur commercial, une entreprise phare comme Total lance une OPA amicale sur SAFT, entreprise pionnière dans le domaine des batteries et présente dans le stockage de l'électricité, qui est la solution à terme au problème de l'intermittence de la production des éoliennes et des panneaux solaires.

Nous sommes donc bien, comme le remarque M. Hubert Védrine dans son dernier ouvrage, dans une transition vers une géo-écologie mondiale qui structure sur des bases différentes et plus collectives la société internationale, que ne le font la géopolitique et la géo-économie.

C'est donc par un succès de la diplomatie française unanimement salué dans le monde, un succès de M. Laurent Fabius et aussi de Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations et maintenant championne pour le climat, auquel il faut associer M. Ban Ki-moon, que s'achève une mutation commencée avec le sommet de la Terre à Rio en 1992, et la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la CNUCC.

Ce succès est aussi un succès de méthode, avec une préparation très en amont des conditions de l'accord et l'association fondée, efficace et pertinente, de la société civile, des entreprises, des collectivités territoriales et des villes, sur qui repose la réalisation concrète dans le cadre de l'Agenda de l'action, de l'Agenda des solutions, de la transition énergétique qui s'impose à nous sur les quelques décennies à venir.

L'accord de Paris représente donc la base nécessaire pour agir au niveau international, le seul niveau efficace, pour le climat et pour protéger la vie sur la planète.

C'est un texte de compromis assez long, à raison de 29 articles, et, en outre, il est accompagné, notamment sur la question du financement, des dispositions de la décision 1CP.21, qui sont essentielles à la compréhension de son détail.

C'est un texte ambitieux, car il réaffirme bien que l'objectif est de contenir l'élévation des températures terrestres nettement en dessous de 2°Celsius par rapport à l'ère préindustrielle, et si possible de le faire à 1,5°. Il préconise également le franchissement au niveau mondial du pic des émissions de gaz à effet de serre le plus tôt possible, « dans les meilleurs délais », et la neutralité des émissions au cours de la seconde moitié de notre siècle.

Des transferts solidaires au profit des pays du Sud sont prévus. La décision qui accompagne l'accord réaffirme bien l'objectif des 100 milliards de dollars par an jusqu'en 2025, avec, avant cette même année, la fixation d'un objectif plus ambitieux tenant compte des besoins et des priorités des pays en développement. De même, selon un mécanisme solidaire et non de responsabilité juridique, le rôle du mécanisme de Varsovie dit de pertes et dommages est renforcé.

L'accord de Paris est par ailleurs un accord universel et il prévoit, selon le principe de responsabilités communes mais différenciées, une reconnaissance des besoins et des spécificités de pays en développement. Plusieurs articles prévoient ainsi des modulations ou des dispositions spécifiques.

Les outils sont aussi bien là avec, d'abord, la prise en compte des puits de carbone, dans le cadre de l'article 5, qui incite à leur préservation et le cas échéant à leur renforcement.

Est également prévu à l'article 6 un mécanisme de transfert international de quotas de carbone, lequel tend au développement et à l'interconnexion des marchés carbone.

L'article 7 donne une approche précise de l'adaptation aux impacts du changement climatique. L'article 10 concerne les technologies, l'article 11 les besoins en capacités des pays et l'article 12 décline une dimension citoyenne bienvenue avec l'éducation, la formation, et la participation du public notamment.

Enfin, l'accord prévoit des règles institutionnelles et de procédure précises.

Parmi elles, il faut mentionner surtout la clause d'entrée en vigueur avec deux fois 55 : 55 États ou 54 États et l'Union européenne, doivent avoir ratifié et ces États doivent représenter 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces ratifications doivent être transmises au secrétaire général des Nations unies, dépositaire de l'accord.

Les dispositions les plus importantes, celles qui sont au coeur de l'accord, méritent davantage de développement, car elles portent sur les contributions climat, les contributions déterminées au niveau national (CDN).

L'accord est universel, car chaque pays doit en déposer une, et il doit accomplir cette obligation avant 2020, comme l'indique la décision qui accompagne l'accord. Un cadre de transparence et de contrôle destiné à assurer la confiance mutuelle est également prévu, avec notamment la publicité de ces contributions.

L'accord est aussi dynamique, car ces contributions font l'objet d'une clause de révision obligatoire tous les cinq ans et cette révision ne peut se faire que dans un seul sens, avec un mécanisme de cliquet, vers davantage d'ambition.

En outre, l'accord prévoit également, tous les cinq ans, un bilan mondial organisé deux ans avant la remise des contributions du cycle suivant. Le premier est prévu en 2023.

Sont ainsi mis en place tous les éléments d'un mécanisme de revue par les pairs, dont on a pu constater l'efficacité dans d'autres domaines au niveau international. Il est toujours difficile pour un pays de prendre le risque de s'isoler face à la communauté internationale. C'est pour cela que l'absence de sanction ne signifie pas l'absence d'efficacité. Le name and shame des anglo-saxons est efficace.

Ce mécanisme de revue par les pairs est même prévu pour commencer avant 2020.

Un premier exercice est prescrit pour 2018, sur la base des 190 contributions nationales déposées pour la conférence de Paris.

La décision qui accompagne l'accord prévoit, en effet, deux développements importants :

– il s'agit, d'une part, d'un « dialogue de facilitation pour faire le point (…) des efforts collectifs déployés par les Parties en vue d'atteindre l'objectif à long terme (…) et d'éclairer l'établissement des contributions déterminées au niveau national » pour 2020 ;

– il s'agit, d'autre part, d'un rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) « sur les conséquences d'un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d'évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre ».

Cette dynamique doit permettre de déboucher sur la transition énergétique nécessaire pour décarboner substantiellement notre économie au niveau mondial.

L'accord de Paris ne règle cependant pas tout, et il reste beaucoup à faire d'ici 2020.

Il y a notamment trois grands enjeux d'ordre institutionnels.

D'abord, il faut que la ratification intervienne le plus vite possible.

En plus des 15 ratifications déjà intervenues, les États-Unis et la Chine ont indiqué y procéder dès cette année, avant le G20 de septembre pour la seconde.

Cette annonce des deux principaux émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre met clairement en évidence le risque que l'Union européenne, qui a fait bien davantage en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, ne perde le leadership au niveau mondial si les vingt-sept ne suivent pas l'exemple de la France, d'une ratification rapide.

En l'état, il faut rester prudent sur le calendrier de nos partenaires, même si, compte tenu des émissions de chacun, une ratification par la Chine, le États-Unis et les Vingt-huit, qui représentent environ la moitié des émissions mondiales, et de quelques autres pays, ferait que la clause des deux fois 55 serait rapidement acquise.

Il serait dommageable que l'Europe ratifie après l'entrée en vigueur de l'accord car, sur tous les continents, la dynamique est déjà là et dans un nombre non négligeable de pays, y compris en Inde, des ratifications à assez brève échéance sont envisagées.

Le deuxième enjeu est de maintenir la dynamique de l'accord de Paris. Plusieurs rendez-vous internationaux importants sont prévus cette année, notamment ceux destinés à la société civile, aux entreprises et aux collectivités locales. Ce sont eux les acteurs qui mettent en oeuvre de manière concrète, dans le cadre de l'Agenda des solutions, les éléments de l'atténuation et de l'adaptation. Les entreprises, notamment, peuvent jouer un rôle décisif pour la mise en oeuvre de l'accord de Paris.

Le troisième enjeu est financier. Il est essentiel, car au coeur de la relation de confiance avec les pays du Sud, notamment les pays africains. Il faut clarifier le niveau, la composition et l'affectation de ces financements. Doté d'un peu moins de 10 milliards de dollars, le Fonds vert n'est qu'une partie de l'enveloppe de 100 milliards par an qui doit intervenir vers 2020 et doit ensuite encore s'accroître. Il y a encore un important travail à faire sur la répartition entre financements publics et privés, entre dons et prêts, entre atténuation et adaptation, et aussi sur la teneur de ce qui relève de l'adaptation dans le cadre de projets concrets. Se trouvent de même, en arrière-plan, les transferts de technologie.

La COP 22 se tiendra à Marrakech en novembre prochain. Elle est activement préparée par la présidence française, désormais exercée par Mme Ségolène Royal, et la future présidence marocaine. Son ordre du jour est chargé, mais tel sera aussi le cas pour les autres réunions qui suivront.

En effet, la période de l'avant 2020 est critique, car nous devons faire sur le plan énergétique des efforts rapides et importants pour franchir le pic des émissions mondiales le plus rapidement possible.

La logique de l'approche par le budget carbone, qui mesure les quantités de gaz à effet de serre que l'on peut encore rejeter dans l'atmosphère tout en restant dans la limite des 2° Celsius, est implacable. Le seul maintien au niveau actuel des émissions nous conduit à épuiser ce budget avant 2040.

Les 190 contributions nationales sur le climat déposées pour la COP nous conduisent à une élévation des températures aux alentours de 3°. C'est mieux que les 4° antérieurement prévu, mais c'est insuffisant.

C'est pourquoi il faut de nouveau insister sur l'importance d'une révision en 2018 de ces contributions pour que celles déposées en 2020 pour l'application de l'accord climat soient plus ambitieuses. En parallèle, il faut que les mesures prises au niveau national en matière de transition énergétique soient crédibles.

Ce rendez-vous de 2018 sera d'autant plus stratégique que c'est cette même année que seront définies les mesures de contrôle des émissions dite de MRV (mesure, reporting et vérification). Certes les progrès de la technique satellitaire permettraient de faire des contrôles du respect de leurs engagements par les États, mais il est préférable que chacun d'entre eux dispose de ses propres instruments.

Pour la transition énergétique mondiale, les grandes initiatives comme l'Alliance solaire internationale, dans laquelle l'Inde notamment est impliquée, la Mission innovation et surtout, l'initiative « Energies pour l'Afrique », portée par M. Jean-Louis Borloo, pour électrifier le continent comme l'exigent son développement et la stabilité des populations, sont essentielles.

Mais le principal enjeu est de déboucher rapidement sur la question du prix du carbone. C'est, en effet, l'élément moteur et la clef de la transition énergétique. Actuellement, seules 12 % des émissions mondiales sont couvertes par un mécanisme de prix du carbone, taxation ou mécanisme de marché avec échange de quotas comme le système européen d'échange des quotas d'émission (SEQE).

D'abord, il faut redonner l'avantage au gaz naturel, qui émet deux fois moins de CO2 que le charbon. Le simple remplacement du charbon par du gaz naturel permettrait en soit de réduire de 20 % les émissions mondiales de CO2.

Ensuite, c'est la clef de la rentabilité sans subvention des équipements de production d'énergie renouvelable.

Les circonstances s'y prêtent paradoxalement, car les cours des sources d'énergie fossiles sont bas. Cela permet de légitimer la mise en place d'un mécanisme de taxation, comme l'a fait d'ailleurs la France, ou un mécanisme de marché avec un prix plancher comme le propose le Président de la République, suivant ainsi l'exemple du Royaume-Uni, pour pallier les déficiences du SEQE, avec un cours très faible de l'ordre de 5 à 6 euros la tonne de CO2.

En outre, la baisse des cours des hydrocarbures depuis deux ans masque la baisse spectaculaire des coûts de fabrication que l'on constate sur les panneaux photovoltaïques.

Naturellement, cela ne signifie pas un prix unique pour l'ensemble des pays, mais la généralisation d'un signal prix qui soit incitatif pour le changement du mode de production d'énergie.

Enfin, il faut faire un effort massif de recherche dans deux domaines majeurs dont les résultats peuvent accélérer de manière très significative la transition vers une économie bas carbone.

Le premier concerne le stockage de l'électricité, dont l'accord entre Total et SAFT rappelle l'importance. C'est la solution à l'intermittence de la production des énergies renouvelables. Nous n'avons pas encore les batteries abordables et sans métaux rares qui permettront de passer à la production de masse d'équipement de stockage, et il nous les faut.

Le second concerne le captage et la séquestration du CO2, seule solution pour que l'abondance des ressources en charbon de certains pays ne soit plus une nuisance, mais devienne au contraire potentiellement un atout.

En conclusion, l'accord de Paris est un progrès fondateur, mais il reste beaucoup à faire pour sa mise en application et, surtout, pour que soit maintenue la dynamique de Paris, si nécessaire à l'accomplissement par l'homme, en quelques décennies, c'est-à-dire très peu de temps, d'une nécessaire transition énergétique pour laquelle l'histoire ne fournit aucun élément de comparaison.

C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre la volonté du Gouvernement, notamment de Mme Ségolène Royal, de procéder à une ratification rapide.

C'est dans cette même perspective que je vous propose d'adopter d'une manière aussi claire que massive ce texte si nécessaire à la sérénité de notre futur, à l'avenir de notre planète et à la vie des générations de demain.

Avant le débat, je souhaite vous présenter un graphique animé établi par le Dr Ed Hawkins, climatogue à l'Université de Reading, au Royaume-Uni, et qui montre de manière très éclairante l'évolution des températures à partir des moyennes mensuelles depuis 1850. Il m'a été transmis par mon dernier interlocuteur, ce matin, M. Jean-Pascal Van Ypersele, ancien vice-président du GIEC, professeur à l'Université de Louvain (UCL).

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