Pour commencer, je crois utile de me présenter. Je suis médecin rhumatologue, ancien interne et chef de clinique des Hôpitaux de Paris, professeur émérite à l'université de Poitiers et ancien chef du service de rhumatologie de ce centre hospitalier universitaire (CHU). J'ai présidé la société française de rhumatologie ainsi que l'Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), une association d'utilité publique dédiée aux problèmes sociaux des rhumatisants au sein de laquelle se côtoient professionnels de santé et associations de malades. J'ai également dirigé la délégation interrégionale pour l'éducation et la promotion de la santé (DIREPS) du Grand Sud-Ouest.
Je suis, depuis près de quinze ans, membre de l'Académie nationale de médecine. C'est en cette qualité que j'ai participé, il y a dix ans, à l'élaboration d'un rapport sur la fibromyalgie, commandé par M. Xavier Bertrand, qui était alors ministre de la santé.
La fibromyalgie est un syndrome. Je sais que le terme fâche un peu. Nous y reviendrons mais je pense pouvoir vous montrer qu'il n'a rien de réducteur et que les patients n'ont pas de raison de s'en inquiéter ou de s'en offusquer.
Comme tous les syndromes, la fibromyalgie est constituée de plusieurs symptômes, à ceci près qu'ils présentent la particularité d'être exclusivement fonctionnels, subjectifs.
Le principal symptôme est la douleur. Celle-ci est constante, chronique, diffuse ; ses caractéristiques et son intensité varient d'une personne à l'autre. Deux autres symptômes sont, sinon constants, du moins très fréquents : des troubles du sommeil et une grande fatigue. De nombreux autres symptômes sont moins fréquents, je vous en cite les principaux : la céphalée, la dépression, l'anxiété et les troubles cognitifs – qui concernent principalement la mémoire. Contrastant avec cette assez riche symptomatologie fonctionnelle, l'examen physique des patients se révèle absolument normal, à l'exception de certains points douloureux à la pression – ce n'est pas là non plus très objectif. De même, la radiographie, l'échographie, la biologie sont normales ; la biopsie, si on avait la mauvaise idée d'en faire une, ne montrerait aucun signe anatomopathologique.
Pourtant, malgré cette intégrité physique, les patients décrivent un réel mal-être, des difficultés dans leur vie quotidienne et dans l'exercice de leur profession. Vous vous en doutez, la reconnaissance par la communauté médicale internationale d'un mal aussi peu défini, aussi insaisissable, qui ne s'observe pas, qui peut seulement être décrit par ceux qui en souffrent, n'a pas été sans difficulté. Elle n'a été possible qu'avec l'établissement de critères dont la dernière mouture, d'origine américaine comme les autres, fait l'objet d'un très large consensus. Ces critères ne sont toutefois pas parvenus à vaincre complètement les réticences de nombreux « fibrosceptiques » qui continuent à voir dans la fibromyalgie une construction de l'esprit, un habillage de troubles somatoformes.
D'autant que ces troubles sont toujours répertoriés dans la classification internationale des maladies de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme syndromes somatoformes sous l'identifiant F45, alors même que cette classification reconnaît la fibromyalgie en tant que telle sous le code M79. Cela ne simplifie pas les choses.
Qui plus est, même pour les médecins les plus convaincus de la réalité de ce syndrome, les interrogations persistent, faute de comprendre les causes ou les mécanismes qui peuvent l'expliquer.
Il est admis, preuves à l'appui, que les personnes atteintes ont un abaissement du seuil de sensibilité à la douleur, c'est-à-dire qu'elles perçoivent comme douloureuses des stimulations qui ne sont pas perçues comme telles par d'autres. Malgré les connaissances que nous apporte en particulier l'imagerie cérébrale fonctionnelle, on ne connaît toujours pas le mécanisme de cette anomalie qui, par ailleurs, n'explique pas les autres troubles très importants du syndrome, comme les troubles du sommeil ou la fatigue.
Bref, malgré les nombreux travaux scientifiques relatifs à cette maladie, on n'est toujours pas en mesure de dire que la fibromyalgie correspond au dérèglement de telle fonction ou de tel système.
Il en résulte que le traitement de la fibromyalgie n'est pas très satisfaisant. L'effet des médicaments n'est jamais complet. Ils sont d'ailleurs utilisés le moins possible. Les meilleures ressources se trouvent dans la physiothérapie et dans l'aide que l'on peut apporter aux patients pour supporter les troubles.
Le très bon rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le syndrome fibromyalgique chez l'adulte recommande d'aviser le patient dès la première consultation qu'on ne peut pas supprimer les troubles, qu'au mieux, on peut les réduire et de l'aider à supporter la maladie.
Dans ces conditions, les expériences des patients sont assez pénibles. Je ne vous apprends rien puisque vous vous faites l'écho de leur plainte dans vos circonscriptions ; c'est la raison pour laquelle, me semble-t-il, cette commission d'enquête a été créée.
Je résume les principales demandes des patients listées dans le rapport de la Haute Autorité que j'ai mentionné : l'égalité de la prise en charge selon les régions, l'écoute des malades par les médecins, des soins appropriés, une démarche claire pour établir le diagnostic, l'identification de l'impact de ce syndrome sur la vie quotidienne, la reconnaissance du caractère invalidant du syndrome, l'accompagnement psychosocial et une meilleure formation des professionnels de santé.
Toutes ces demandes me paraissent tout à fait légitimes. Elles ont obtenu des réponses, certaines qui sont satisfaisantes, et d'autres qui pourraient être améliorées.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, dans la limite de mes compétences, car la fibromyalgie est une affaire complexe. Personne ne peut s'estimer omniscient en la matière.