La fibromyalgie est-elle un syndrome ou une maladie ? Si la question se pose à chaque fois, c'est parce que nous n'avons pas encore de réponse. En tant que médecin, je suis frappé de voir arriver des patients qui ne se connaissent pas les uns les autres et qui décrivent des symptômes comparables. Ils se plaignent d'abord d'avoir mal partout puis, quand on les interroge plus précisément, ils mentionnent des troubles du sommeil et les autres symptômes que vous connaissez. Ces symptômes sont-ils liés à une ou plusieurs maladies ? On ne sait pas.
J'aime à rappeler l'histoire de l'ulcère à l'estomac que l'on a très longtemps expliqué par des raisons psychosomatiques – plus psycho que somatiques d'ailleurs – avant de découvrir qu'une bactérie, l'helicobacter pylori, était en cause dans un très grand nombre de cas. On a donné des antibiotiques aux patients qui avaient cette bactérie et, comme par miracle, on a vu s'effondrer le nombre d'ulcères.
C'est mon avis personnel de médecin que je donne ici, et je rappelle qu'Yves Lévy, le président-directeur-général de l'INSERM, viendra s'exprimer au nom de l'Institut. Pour ma part, je constate que les médecins ont tendance à dire que la clé du mystère se trouve dans la tête du patient quand ils ne comprennent pas quelque chose. Ils invoquent ensuite des causes psychosomatiques, c'est-à-dire qu'ils font intervenir un peu le corps, au fur et à mesure que des éléments nouveaux apparaissent. Une fois qu'on a trouvé des causes, on les traite, et le côté « psycho » perd de son importance pour devenir plutôt une conséquence.
Ce scénario va-t-il se produire pour la fibromyalgie ? Quoi qu'il en soit, depuis une vingtaine d'années, un nombre croissant de travaux relève davantage du domaine somatique, ce qui n'empêche pas d'essayer de comprendre l'impact psychologique de la fibromyalgie. Est-ce une maladie, un syndrome, des symptômes dus à un stress psychologique ? Je ne le sais pas mais je constate que des patients décrivent des éléments tout à fait homogènes.
Pourquoi la recherche est-elle plus avancée dans d'autres pays dans ce domaine ? Le problème est peut-être plus prégnant aux États-Unis parce que c'est une source de consommation importante d'opioïdes forts. Les maladies liées à la douleur constituent un vrai problème de santé publique en Amérique du Nord, ce qui est moins le cas en Europe. Quant aux Pays-Bas, ils ont décidé d'investir dans la recherche sur les maladies ostéo-articulaires et musculo-squelettiques depuis une quinzaine d'années, et développent des projets nationaux et européens.
Le sport sur ordonnance, j'y suis assez favorable. Le but n'est évidemment pas de se faire payer sa licence sportive par la Sécurité sociale dès l'âge de vingt ans. On est en train d'imaginer un cadre pour les patients qui en ont vraiment besoin, ceux, par exemple, dont la fibromyalgie est suffisamment handicapante pour entraîner des conséquences professionnelles. Dans ce cas, l'activité physique doit être graduée et individualisée. La pratique artistique peut aussi aider le patient dans la mesure où l'aspect psychologique – facteur initiateur ou aggravant – n'est pas à écarter. Les activités manuelles ou artistiques, qui peuvent modifier le ressenti de la douleur, sont à encourager. Comme on le constate pour les cancers, les activités du patient influent sur l'intensité de douleurs qui sont pourtant organiques.
En ce qui concerne l'âge des patients, le pic de fréquence se situe entre trente et cinquante ans, c'est-à-dire en plein milieu de la vie active. En fait, quand on interroge bien les patients, on découvre que des signaux d'alarme ont pu apparaître au cours de l'adolescence, voire de l'enfance, concernant cette sensibilité particulière à la douleur. On retrouve parfois des lumbagos, des lombalgies, des douleurs cervicales, etc. Fort heureusement, tous les enfants ou adolescents qui ont mal au dos ne vont pas avoir une fibromyalgie, mais on retrouve parfois ce genre de problèmes dans l'histoire des patients qui souffrent de cette maladie. C'est assez classique.
Quant aux sels d'alumine et aux vaccins, c'est une affaire très compliquée. Actuellement, je pense que l'on peut dire avec assez de certitude que l'on n'a pas de preuve de l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations avec sel d'alumine et la fibromyalgie. On en revient toujours à la grande difficulté de faire la différence entre association et causalité. On peut faire les plus belles études d'association sans apporter jamais la preuve formelle du lien de causalité. Il y a quelques mois, j'ai participé à un groupe d'experts de l'INSERM qui s'était intéressé au lien qui existe entre les sels d'alumine et ces douleurs musculaires un peu diffuses, ces sortes de myosites qui ne s'accompagnent pas toujours d'inflammation dans les muscles. Une étude est prévue mais elle n'a pas encore démarré faute de soutiens financiers. Cet aspect est peut-être plus lié à des douleurs musculaires qu'à la fibromyalgie, même si des ponts sont parfois établis entre myosite et fibromyalgie.
Monsieur Bapt, vous m'avez interrogé sur l'intérêt de faire des études de cohortes. Quand il s'agit répondre à des questions médicales avec précision, ce type d'études peut être d'une grande utilité, à partir du moment où des prélèvements biologiques sont effectués au début sur les cohortes. Nous n'avons actuellement aucun marqueur de la fibromyalgie, de patients souffrant de cette façon diffuse, ce qui nous complique bien la vie. Ce genre d'études pourrait notamment permettre de suivre l'évolution des patients atteints de fibromyalgie et d'effectuer des comparaisons avec un groupe de contrôle constitué de malades souffrant d'arthrose ou d'autres pathologies ostéo-articulaires. Les prélèvements biologiques – de sang, par exemple – effectués en début d'étude fourniraient une masse d'informations précieuses quelques années plus tard, peut-être sur les aspects génétiques actuellement étudiés par certaines équipes dans le monde. Je suis tout à fait favorable à ce genre d'approche par cohortes surtout si les études s'accompagnent de prélèvements biologiques.