Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.
Les politiques migratoires n'avaient pas du tout prévu le vieillissement des immigrés. La plupart des immigrés âgés, qui ne représentent dans notre pays qu'environ 10 % des plus de soixante-cinq ans, sont en effet arrivés très jeunes. C'était durant les Trente Glorieuses, au cours des années soixante et soixante-dix, avant la suspension de l'immigration de travail, intervenue en 1974. Il s'agit d'hommes venus le plus souvent seuls et dont le logement était généralement lié à leur emploi : les fameux foyers de la Sonacotra pour les travailleurs sédentaires, les logements de type « Algeco » pour ceux qui devaient se déplacer au gré des chantiers. Travaillant dans les mines, dans l'industrie, dans l'agriculture ou dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, ils ont souvent été imprégnés de l'identité ouvrière – ainsi une enquête que j'ai menée en 1984-1985 chez Renault, à Billancourt, montrait-elle un nombre important de Maghrébins parmi les travailleurs à la chaîne, notamment sur l'île Seguin. Depuis l'âge de vingt ans environ, toute leur vie s'est construite autour du monde du travail : à l'usine, au café – tenu par des compatriotes –, en foyer, dans le cadre du syndicat, de l'association du pays d'origine, de l'amicale…
Certains sont repartis ; d'autres, à partir de 1974, ont fait venir leur famille, la fermeture de l'immigration ayant eu pour effet pervers l'accélération du regroupement familial. D'autres enfin sont demeurés célibataires de fait, parce qu'ils n'ont jamais fait venir leur femme de sorte que les liens se sont distendus, ou le sont redevenus en se séparant d'elle. Ils ont vieilli et sont restés là, entre eux, dans le foyer où ils ont fait leur vie, parfois isolés du reste de la société. Ces foyers ont dû s'adapter à leur âge, par exemple en organisant des animations pour eux – jeux de cartes, projections de films. D'autres structures leur offrent une assistance sociale, tel ce café municipal situé au métro Château-Rouge, dans le quartier de la Goutte d'Or, à Paris, et qui sert à la fois de lieu de sociabilité et de guichet d'aide sociale où on les aide à remplir les papiers qui leur permettent de bénéficier de la sécurité sociale ou de percevoir leur pension de retraite, puisque certains d'entre eux sont quasiment illettrés.
Mais ces immigrés-là ne représentent pas la majorité des cas. La plupart, parmi les Maghrébins tout au moins, passe une partie de l'année dans son pays d'origine et l'autre partie en France pour rendre visite aux enfants et consulter le médecin. Les immigrés ayant acquis la nationalité française ou disposant d'un titre de long séjour ont pu faire bâtir une maison, souvent dans leur région natale. Les immigrés âgés isolés, arrivés très jeunes dans un monde du travail qu'ils n'ont plus jamais quitté, restent donc minoritaires. Leur nombre est toutefois appelé à augmenter au cours des années à venir, pour des raisons démographiques puisqu'il s'agit de personnes qui avaient une vingtaine d'années en 1960. Il paraît donc bienvenu de les prendre en compte dans la réflexion globale sur le vieillissement.
J'ajoute qu'il y a maintenant une nouvelle raison d'associer les deux phénomènes : le vieillissement de la population française entraîne de nouvelles migrations liées aux métiers du care et qui concernent surtout les femmes. Il en va de même aux États-Unis, au Canada, au Japon et dans l'ensemble des pays d'Europe – en particulier en Espagne, au Portugal et, surtout, en Italie. Dans ce dernier pays où la prise en charge de l'âge et du grand âge est réduite malgré une longévité record en Europe – l'âge médian y atteint quarante-trois ans et demi, contre trente-neuf à quarante ans en moyenne chez ses voisins européens –, Silvio Berlusconi, répondant, semble-t-il, à une demande électorale, a ainsi régularisé la plupart des badanti, ces auxiliaires de vie qui s'occupent des personnes âgées. Les pays du sud de l'Europe – l'Espagne, le Portugal, la Grèce, la Bulgarie – et le Maroc tirent d'ailleurs profit de l'attractivité que ce phénomène leur confère et qui nourrit les migrations du Nord vers le Sud, en proposant aux seniors européens des formules d'installation qui peuvent inclure les soins. Quoi qu'il en soit, en Europe, cette prise en charge nourrit de nouveaux flux migratoires, provenant essentiellement des pays de l'Est mais aussi de pays plus lointains, comme les Philippines.