Évidemment. C'est un vrai sujet. Il convient de revoir toute notre stratégie d'influence. Nous avons, il est vrai, remporté de vrais succès, comme sur les normes internationales ISO. Les grands groupes, qui ont de l'expérience, devraient jouer un rôle plus important en la matière. Le tout est d'être là au bon moment ! Il en est de même des domaines bancaires et financiers, dans lesquels la France se laisse imposer des normes par les Anglo-saxons qui les définissent mais ne se les appliquent pas !
Monsieur Verdier, madame Grommerch, je ne mets pas en doute la bonne volonté de mes prédécesseurs, qui ont fait de bonnes choses, et de moins bonnes, mais ils ont péché par manque de vision stratégique globale – le déficit historique de 2011, qui s'est élevé en réalité non pas à 73 milliards mais à quelque 90 milliards, a servi d'électrochoc. C'est pourquoi je suis ministre de plein exercice. Il est vrai que, le marché s'étant développé en raison de l'arrivée des pays émergents, en volume, la part du commerce extérieur dans le déficit demeure la même. Il n'en reste pas moins que nous reculons.
Dans les années 1960, l'État a eu la volonté politique d'aider financièrement la transformation de PME en champions mondiaux : ce fut une réussite puisque les groupes du CAC 40 sont tous devenus des groupes internationaux, ce qui les a, du reste, éloignés du territoire national. Nous devrions tous avoir aujourd'hui pour ambition de permettre à des entreprises de taille intermédiaire de plus en plus nombreuses de percer le plafond de verre, afin qu'elles deviennent de grands groupes internationaux. C'est la volonté du Gouvernement : dans dix ou vingt ans, de grands groupes nouveaux devront prendre la relève de ceux que nous avons su créer dans les années 1960 et 1970. Tous les grands groupes internationalisés doivent rendre ce qu'ils ont reçu de la puissance publique en aidant à leur tour des entreprises plus modestes de leur filière à grandir pour accéder à l'international.
Jamais je n'oppose les grands aux petits parce que j'ai besoin à la fois des navires amiraux et de la flotte. Mes prédécesseurs ont signé trop de chartes inefficaces : c'est pourquoi je veux faire un bilan des bonnes pratiques en vue de les consolider. Je cite un exemple. J'ai accompagné il y a quelques semaines le Premier ministre à Singapour où nous avons visité le chantier d'un des plus grands complexes sportifs au monde. C'est parce que Bouygues, qui en est le maître d'oeuvre, a emmené avec lui Delta Dore, une ETI, que cette entreprise a pu remporter le marché dans sa spécialité (le chaud et le froid) et pourra ensuite se développer sur d'autres marchés internationaux.
Voici d'autres exemples. J'ai rencontré récemment en Bretagne une ETI qui s'apprête à construire la plus grosse unité de production de yaourts du monde aux États-Unis, après y avoir été introduite par Danone. En Chine, la semaine dernière, sur le site de l'EPR de Taishan, j'ai réuni les grands du nucléaire (Areva, Alstom, EDF) avec les représentants d'un groupement de quatre-vingt-cinq PME, dotées d'un savoir-faire exceptionnel en robinetterie ou mécanique et mobilisées sur ce chantier immense. Portées sur ce chantier par Areva et EDF, elles peuvent désormais développer leur activité dans d'autres secteurs que le nucléaire. Hier, j'ai rencontré Eurocopter qui porte au Mexique deux entreprises qui y feront à leur tour des affaires. Voilà quelques exemples de bonnes pratiques ; il y en a aussi dans la filière pétrolière. Il faut éviter les querelles qui nuisent à la fédération des entreprises françaises et inciter les grands groupes à adopter de bonnes pratiques. Je rencontre actuellement la grande distribution alimentaire présente dans le monde entier (Auchan, Casino ou Carrefour) pour connaître leur action en la matière. J'ai également rencontré le président du Cercle de l'industrie, qui fédère toutes les industries françaises. Je diffuserai le bilan des bonnes pratiques.
J'ai dit très tôt, monsieur Verdier, que les régions devaient être les pilotes de l'export. Elles ont des fonds, et souvent des agences régionales de développement et d'innovation ; elles connaissent le tissu productif. Je leur ai demandé d'élaborer des schémas régionaux de développement économique et d'innovation, qui peuvent être complétés par un volet export, ce qui est souvent le cas. Elles ont pris l'engagement de s'intégrer dans une stratégie nationale le 12 septembre, à l'Élysée. À elles de s'organiser comme elles le souhaitent : l'essentiel est que cela fonctionne. Les pratiques varient d'ailleurs selon les régions. La Bretagne a choisi de fusionner en une seule association, Bretagne commerce international, l'association Bretagne international, pilotée par la région, et le service international des chambres de commerce et d'industrie (CCI) bretonnes. Dans le Nord-Pas-de-Calais, les services d'Ubifrance, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) et de la CCI ont été regroupés dans les mêmes locaux. La région Pays de la Loire a confié le pilotage dans ce domaine aux chambres de commerce. En Provence Alpes Côte d'Azur, où je me suis rendue hier, c'est encore une autre solution qui a pour l'instant été choisie. La régionalisation des CCI n'a en effet pas été aussi aisée partout. Quoi qu'il en soit, ce sont les régions qui fédèrent l'effort. La complémentarité des acteurs doit prendre le pas sur la concurrence, éprouvante sur le territoire, mais surtout catastrophique à l'étranger…
Vous avez évoqué le projet Terra Lorraine, madame Grommerch. Si nous n'avons pas pu nous rencontrer, je tiens à préciser que je n'ai jamais été sollicitée par les élus. Je ne vois d'ailleurs pas en quoi l'État pourrait soutenir ce projet qui est une démarche portée par le département. J'ai eu l'occasion d'échanger avec M. Passerieux, le président de Terra Lorraine, à l'ambassade de France en Chine. Je lui ai tenu le même langage que celui que je vous tiens aujourd'hui : ce qui m'intéresse, c'est de savoir qui sont les investisseurs, ce que j'ignore, et quel est leur projet, ce que j'ignore également. Pierre Moscovici s'est rendu en Chine quinze jours avant moi. J'y suis allée la semaine dernière pour défendre l'attractivité de notre pays. Un très grand groupe chinois, Synutra, a décidé d'investir cent millions d'euros et de créer cent soixante emplois dans une usine de production de lait en poudre en Bretagne. Je suis preneuse de ce projet : je sais que le groupe s'implante là parce que notre pays jouit d'une réputation en termes de références sanitaires, et parce qu'un problème sur le lait en poudre a défrayé la chronique en Chine, jusqu'à faire des émeutes dans les campagnes. Je sais que ce groupe a un projet industriel, et je sais ce qu'il apporte. J'en parle d'autant plus à mon aise que je ne suis pas décisionnaire dans cette affaire. Mon rôle est d'encourager nos partenaires chinois à venir en France. J'ai ainsi rencontré lors de mon voyage le plus grand groupe agroalimentaire chinois, Cofco, dont l'activité va du champ à l'assiette. Les entreprises de l'agroalimentaire qui m'accompagnaient – grandes et petites, allant du secteur de la génétique à celui de la charcuterie – ont pu présenter leurs offres. Je sais que cela débouchera sur des investissements croisés. Ce sont ces partenariats industriels et commerciaux qui m'intéressent, étant entendu qu'il existe des domaines stratégiques, dont je parlerai tout à l'heure à propos du nucléaire.
Vous avez évoqué le problème de la réciprocité, monsieur Chassaigne. Vous savez que, depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen doit donner son avis sur les politiques commerciales de l'Union, ce qui représente une grande avancée. Deux outils sont aujourd'hui à notre disposition. Le premier est le règlement sur la réciprocité dans l'accès aux marchés publics des pays tiers. La Commission a proposé un projet de règlement. Des rapporteurs ont été désignés et le Parlement européen a donné son avis, mais nous nous heurtons aujourd'hui à un blocage des États, en particulier de l'Allemagne. Avec le ministre des affaires européennes, je m'efforce cependant de convaincre nos partenaires de donner suite à deux déclarations du Conseil européen invitant les États à examiner au plus vite ce projet de règlement. Hélas, nous n'avançons guère : seule une petite dizaine d'États y sont aujourd'hui favorables. L'Allemagne continue de faire barrage, par peur de représailles. L'Union européenne est pourtant la principale force de marché. Il faut se servir de cette force commerciale pour aller de l'avant. Il ne s'agit pas de faire valoir des intérêts défensifs : le règlement pose le principe de l'ouverture, mais il prévoit aussi des mécanismes de sauvegarde.
Le deuxième outil est une directive, qui doit revenir devant le Parlement européen en avril. Le Conseil compétitivité, où siège Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, a le pouvoir de faire revenir par la fenêtre de cette directive ce qui n'a pu entrer par la porte du projet de règlement. Si nous ne parvenons pas à avancer sur ces deux outils démocratiques, le sujet devra être abordé lors du prochain Conseil européen, qui débattra des perspectives financières, surtout, mais aussi de la politique commerciale, fin février. Il devra de toute façon faire l'objet d'un débat lors de la campagne pour les élections européennes de 2014.
Vous avez évoqué l'éparpillement des acteurs du commerce extérieur. Je souhaite les fédérer, à la fois sur notre territoire et à l'étranger. Peut-être faut-il encourager la stimulation, mais certainement pas la concurrence. J'observe en effet que nos partenaires savent très bien se fédérer. Bien sûr, les Français ne seront jamais des Allemands. J'estime d'ailleurs que le modèle allemand, tant vanté de ce côté-ci du Rhin, doit être pris « en pièces détachées ». La principale vertu de l'Allemagne tient selon moi à sa capacité à établir un dialogue social qui permet à tous d'aller de l'avant.
Vous avez longuement parlé de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), madame Bonneton. C'est une préoccupation qui me tient à coeur. En matière de réciprocité et d'accords de libre-échange, la France a fixé des critères lors du conseil des ministres du 12 septembre dernier. Parmi ceux-ci figure la haute qualité environnementale (HQE). Il importe d'être très exigeant en ce domaine dans les accords de libre-échange. Le haut niveau de qualité environnementale de l'Europe est parfois vécu comme une entrave, mais c'est en réalité un moteur. La Banque mondiale est d'ailleurs en train d'introduire ce type de critères dans les marchés publics qu'elle passe. C'est donc un mouvement général qu'il nous faut suivre, y compris dans les accords de libre-échange que nous signons et les mandats de négociation que nous donnons à la Commission européenne. Selon les lettres de cadrage pour la transition écologique que le Premier ministre a adressées à tous les ministres, le volet RSE doit être développé dans toutes les politiques, donc dans la politique commerciale pour ce qui me concerne. Nous devrons lui faire des propositions en ce sens.
J'ai parlé de l'efficacité énergétique, notamment au travers du concept de « ville durable » et de la famille « mieux vivre en ville ». Ces atouts nous permettraient de contrer habilement, dans certains pays, des offres moins-disantes, qui plus est présentées par des entreprises qui ne sont pas soumises à la réglementation européenne sur les aides d'État. Autant éviter que notre aide au développement serve à financer des marchés au profit d'autres entreprises que les nôtres !
Vous avez également évoqué la taxe aux frontières. Celle-ci ne peut s'envisager qu'aux frontières de l'Union européenne. Comme en matière de réciprocité, il est donc nécessaire de trouver des alliés. C'est une démarche qui me paraît préférable à l'art déclamatoire que nous autres Français privilégions trop souvent…
La Commission nous a par ailleurs informés le 29 novembre, lors du dernier conseil des ministres du commerce extérieur, que la signature de l'accord de libre-échange avec le Canada était repoussée. Des réunions importantes ont lieu cette semaine. Deux points litigieux subsistent : l'exception culturelle et les contingents agricoles pour le boeuf et le porc. Or cet accord aura valeur de précédent dans la négociation qui va s'ouvrir avec les États-Unis. À ce sujet, je vous informe que je lance la consultation des entreprises et du monde économique sur internet – comme je l'avais fait pour l'accord avec le Japon – cette semaine. Vous l'aurez compris : il est important que la Commission européenne négocie au mieux cet accord avec le Canada.
Vous avez évoqué les cas de la Colombie et du Pérou. La France a demandé que des garanties sérieuses soient apportées en matière de droits de l'homme. Une clause permet donc de suspendre l'accord en cas de violation grave de ces derniers. La Commission européenne a suivi le mandat que nous lui avions donné ; le Parlement européen a demandé et obtenu une feuille de route, et il a donné son accord. Je me suis rendue en Colombie en décembre. Grâce au renforcement de nos relations commerciales et aux évolutions positives de la feuille de route, nous avons là un nouveau marché potentiel. La Colombie fait d'ailleurs partie des quarante-sept pays prioritaires que nous avons identifiés. Elle s'ouvre, souhaite intégrer les standards européens et entrer dans l'OCDE, et se dote aujourd'hui d'un système fiscal avec l'appui technique de la France. Il ne faut certes pas se dissimuler ses difficultés, mais la volonté de les surmonter est là. Mieux vaut donc encourager ces pays que leur refuser un accord de libre-échange.
J'en viens à l'EPR en Chine et aux transferts de technologie. Nous n'avons pas construit de réacteur en France depuis une quinzaine d'années. Perdre le savoir-faire, c'est aussi perdre des compétences, puisque la génération qui part ne les transmet pas. Or la Chine – qui a aussi, soit dit en passant, de grandes ambitions dans le domaine des énergies renouvelables – souhaite se doter d'un réacteur EPR de grande puissance, qui correspond particulièrement bien à ses besoins. Le fait que les Chinois, formés par les Français, aient gardé la compétence fait que ce chantier pourra être mené à bien en temps utile. Ce sera donc la première vitrine de l'EPR, avant le chantier français – et ce dans les enveloppes financières prévues. Cela témoigne, indépendamment du débat sur l'énergie nucléaire et du nouveau mix énergétique défini par le Président de la République, de l'excellence française en la matière.
S'agissant des transferts de technologie, le conseil de politique nucléaire réuni par le Président de la République a décidé d'en dresser un bilan sur les dix dernières années. Celui-ci a été confié à l'Inspection générale des finances (IGF) par le Premier ministre. Il existe bien sûr des transferts de technologie. Mais dans un secteur aussi stratégique que le nucléaire, ils doivent être encadrés par la puissance publique. C'est le cas : l'État a par exemple été informé de l'accord conclu en octobre entre Areva, EDF et CGNPC. Il s'agit maintenant de savoir quel partenariat industriel nous allons développer avec la Chine. C'est la question que j'ai posée aux autorités chinoises. Pour l'instant, je n'ai pas la réponse. J'espère qu'elle sera apportée au Président de la République lors de son voyage en Chine au printemps. Nous fêtons cette année le trentième anniversaire de la coopération nucléaire entre la France et la Chine. Ce qui nous importe, c'est de savoir ce qui se passera après l'EPR, et ce qu'il adviendra de cet accord entre entreprises.
J'en viens à la monnaie, sur laquelle m'interrogeait encore hier une PME innovante dans le domaine de la sécurité numérique. Je commence toujours, en pareil cas, par m'enquérir des concurrents de l'entreprise. S'il s'agit des Allemands, la monnaie n'est pas en cause : ils ont la même que nous ! Et nous réalisons 60 % de nos exportations à l'intérieur de l'Union européenne, dont 50 % vers la zone euro.
Certes, le taux de change entre l'euro et le dollar, qui s'établit aujourd'hui à 1,35, ne nous est pas favorable, mais il a baissé par rapport à 2008 – il était alors à 1,50. Cela ne suffit bien sûr pas à régler le problème. La meilleure réponse que les entreprises peuvent apporter à cette situation est la montée en gamme, l'amélioration de la qualité et le service après-vente. Ce sont les trois points sur lesquels nous avons des marges de progrès, pour des raisons bien connues : les entreprises n'ont pas de marges pour investir. Les 20 milliards du CICE constitueront à cet égard une bouffée d'oxygène, puisqu'elles pourront inscrire le crédit d'impôt dans leurs comptes dès 2013. À elles ensuite de jouer le jeu, car le ressort de la croissance est bien l'investissement. C'est tout le sens du Pacte de compétitivité.
Dans le cas d'une entreprise comme Airbus, la parité entre l'euro et le dollar est un réel problème. L'entreprise a donc implanté une chaîne de production aux États-Unis. C'est une réponse que peut se permettre une grande entreprise. Mais si les équipementiers de rang 1 suivront, sera-ce le cas des équipementiers de rang 2 ? C'est une question qui mérite d'être posée, et que l'État ne doit pas hésiter à aborder dans les entreprises où il est actionnaire.