Intervention de Mohammed Hocine Benhkeira

Réunion du 1er juin 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Mohammed Hocine Benhkeira, directeur d'études à l'école pratique des hautes études, section des sciences religieuses, titulaire de la chaire d'histoire des sciences légales en islam :

La question du bien-être animal a été constamment débattue dans la loi islamique.

Premièrement, pour avoir un abattage licite, c'est-à-dire offrant une viande instituée, la bête doit être vivante : on ne peut pas rendre licite ce qui est déjà mort, disent les docteurs de la loi. Tout le noeud du problème est là : insensibiliser la bête ne revient-il pas à la tuer un peu ? En principe, les progrès de la connaissance scientifique devraient être pris en compte, puisque les textes fondateurs de l'islam font référence à la médecine. Il n'y a donc pas de raison que cela s'arrête de nos jours…

Mais il y a un deuxième aspect. Le verset 5 de la sourate 5 du Coran, très connu des musulmans qui ont un peu de culture religieuse, dit ceci : « La nourriture des gens du Livre vous est permise » – les gens du Livre étant les chrétiens et les juifs, Samaritains compris. Autrement dit, une victime abattue par un chrétien ou un juif, ou supposé tel, devrait être licite pour un musulman. Les muftis, y compris les plus radicaux, comme Yûsuf al-Qaradhâwî, télé-prédicateur vedette d'Al-Jazira, défendent cette position : les bêtes abattues dans les abattoirs français, britanniques ou allemands sont parfaitement licites !

Le problème est que ce principe, s'il est accepté par la grande majorité des autorités religieuses de l'islam, puisque le Coran, qui est la parole de Dieu, le formule explicitement, n'est pas admis par les musulmans ordinaires. C'est cela que j'ai découvert en 1995, et qui m'a amené à écrire un article sur les boucheries musulmanes en France. Les boucheries musulmanes n'existent pas en terre musulmane : c'est une invention des musulmans vivant en Europe de l'Ouest ! Selon les textes de la loi, donc, faire abattre un animal par un chrétien ou par un juif, y compris dans le cadre sacrificiel, est tout à fait admis.

Ainsi, le problème pourrait être résolu d'une façon détournée. Malheureusement, dans le contexte actuel, il est très difficile de faire accepter à la population musulmane qu'elle peut consommer la même viande que tous les Français – du moins une grande partie d'entre elle, car bon nombre de musulmans achètent leur viande en supermarché, dont je doute qu'elle puisse avoir le label musulman… En fait, la difficulté ne tient pas à la loi, mais à la compréhension qu'en ont les adeptes.

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