… et moi le premier avec mon chat ! L'anthropomorphisme est certainement l'attitude la plus répandue, comme le bon sens de Descartes.
Quelqu'un a parlé de nos cultes. Je ne représente aucun culte : en tant qu'historien de l'islam, je m'intéresse à toutes les religions en enseignant la section des sciences religieuses, soit une vingtaine de religions. Je parle donc en mon nom propre, en tant que spécialiste.
En tant que savant, donc, je me méfie de l'anthropomorphisme : je ne cherche pas à attribuer aux animaux ce que je ressens. Cela étant dit, je conçois parfaitement que l'on puisse penser que les animaux savent qu'ils vont mourir ou même qu'ils ont une pensée. Mais il ne faut pas tourner autour du pot : pour manger de la viande, il faut tuer les animaux. Qu'on les tue brutalement, ou qu'on les tue en les insensibilisant, nous avons bel et bien affaire à un meurtre… C'est un problème que l'Humanité se pose depuis qu'elle mange de la viande et qu'elle essaie de résoudre en s'ingéniant à le transformer, par une série de fictions, en acte acceptable. Anne-Marie Brisbarre a fait référence au sacrifice grec dit « bouffonie », dans lequel on juge le boeuf avant de le tuer : on l'accuse d'avoir commis un acte délictueux afin de justifier sa mise à mort… Les musulmans, eux, invoquent Dieu qui les a autorisés à commettre ce meurtre. D'autres invoquent toutes sortes d'arguments. Bref, tout le monde invoque un système.
Dans le monde industriel, et dans le monde sécularisé, on a perdu cette possibilité d'invoquer une transcendance quelconque qui permette de justifier la possibilité de tuer des êtres vivants, et qui plus est tout à fait pacifiques. C'est là qu'intervient le sentiment selon lequel les animaux sont nos frères et qu'on ne peut donc pas les tuer – sentiment qui existe depuis très longtemps : déjà Pythagore refusait de manger de la viande. Alors comment faire pour surmonter ce sentiment tout en mangeant de la viande ? La difficulté est là. Moi-même, je suis pris dans cette difficulté comme beaucoup de gens : je mange de la viande.
Un jour, au supermarché où j'avais l'habitude d'acheter du veau, je suis tombé sur un vendeur qui justement faisait la promotion du veau. Et il me parlait du petit veau, que l'on prend alors qu'il tète encore sa mère… Décidément, cet homme n'avait aucun sens du commerce : il m'a totalement dissuadé d'acheter du veau… Je me suis immédiatement représenté en train d'arracher un enfant du sein de sa mère pour l'égorger et le manger avec plaisir ! Ce sentiment est très difficile à admettre pour nous tous, et la loi peut difficilement résoudre ce problème. Du reste, ce n'est pas à la loi de le résoudre ; c'est à d'autres instances de le faire. C'est ailleurs ainsi que cela se passe. La loi dit qu'on peut faire ceci et pas cela, mais elle ne pourra pas nous enlever ce sentiment de culpabilité que l'on ressent en mangeant de la viande ! Dieu, lui, dit que vous pouvez faire ce que vous voulez…