Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 30 janvier 2013 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Permettez-moi pour commencer de vous présenter mes voeux républicains pour 2013, année pendant laquelle je souhaite que nous puissions continuer à décliner le mandat pour lequel les Français nous ont élus, dans la coopération pour ce qui concerne la majorité, dans le débat pour ce qui concerne l'opposition, mais en gardant toujours en tête que ce que nous faisons, nous le faisons pour notre pays, pour son redressement, pour l'avenir de sa jeunesse.

Si je ne craignais d'être mal interprété, monsieur le président, je dirais qu'il existe une « troisième voie » entre les deux positions que vous avez résumées. En tout cas, je pense qu'il y a un chemin.

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires est un projet ambitieux et maîtrisé, conçu pour réformer durablement le secteur. Je suis fier de le porter. Certains font de la complexité – parfois de l'opacité – de la finance mondiale un prétexte au renoncement. Peut-être est-ce le cas du deuxième groupe que vous citiez. Mais ce n'est pas la démarche du social-démocrate réformiste que je suis. Je vous présenterai donc les objectifs économiques, politiques – je dirais presque démocratiques – de ce texte et répondrai aux questions que vous voudrez bien me poser.

Avant d'entrer dans le détail des dispositions, mais sans m'égarer et vous égarer dans des débats dont la technicité nous ferait collectivement perdre de vue l'essentiel, je souhaite revenir en quelques mots sur le contexte et les grands objectifs du projet de loi.

Le contexte, vous le connaissez, c'est celui de la crise financière : crise de l'endettement, bien sûr, mais dont l'embrasement est largement dû au manque de régulation de la finance et, en son sein, des activités du secteur bancaire. Ne serait-ce que pour cette raison, monsieur le président, il faut légiférer, réguler et séparer.

Qu'a donc montré la crise ? Trois choses.

D'abord une mauvaise compréhension et une mauvaise gestion des risques, liées à la complexité et au manque de transparence du secteur.

Ensuite de mauvaises incitations pour les acteurs de la finance, largement liées à ce qu'on appelle « l'aléa moral », qui voit les États garantir in fine les risques pris par les banques ; c'est ce qui s'est passé en France, où nous n'avons pas connu la même crise qu'aux États-Unis mais où l'État a apporté sa garantie sans que rien soit demandé au secteur financier.

Enfin une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels et qui ne prenait pas en compte les déséquilibres globaux du système.

Il faut donc empêcher autant que possible que les mêmes causes produisent les mêmes effets, en l'occurrence les mêmes erreurs. Pour cela, le projet de loi poursuit trois objectifs.

Premièrement, s'attaquer aux activités spéculatives des banques. C'est la déclinaison littérale de l'engagement n° 7 du programme de campagne de François Hollande : « séparer les activités des banques qui sont utiles à l'investissement et à l'emploi, de leurs opérations spéculatives ».

Deuxièmement, protéger les dépôts des épargnants mais aussi l'argent des contribuables, qui ne doit plus servir à sauver un établissement en faillite.

Troisièmement, instaurer un contrôle efficace et préventif des risques au sein des banques mais aussi pour ce qui concerne le système financier dans son ensemble.

J'y ajoute une quatrième partie à laquelle, comme beaucoup d'entre vous, je suis particulièrement attaché, et qui doit permettre de renforcer la protection des clients les plus fragiles. Il s'agit de mesures qui ne sont certes pas de même registre – elles ne sont pas structurelles –, mais qui auront des conséquences concrètes sur la vie de beaucoup de nos concitoyens. Elles répondent à une attente forte de ceux qui ont eu le sentiment que l'État se préoccupait jusqu'alors davantage des banques que de leur propre sort.

Tels sont les principes clés qui m'ont guidé dans l'élaboration du texte. Ces combats doivent bien sûr être portés également aux niveaux européen et international – j'y reviendrai car c'est aussi une bataille à mener – mais je crois pouvoir dire qu'ils relèvent de la responsabilité politique, pour que le « mystère des opérations financières », comme l'appelle déjà Émile Zola en 1891, ne soit plus la cause de la ruine de nos sociétés. Il est temps que le politique reprenne la main et il est important que ce projet de loi lui donne la possibilité de le faire.

Tout d'abord, le texte soumis à votre examen s'attaque aux activités spéculatives des banques en changeant à la fois les structures et les comportements. Pour combattre les dérives, le politique a la responsabilité de recourir à la réglementation. Le texte introduit une isolation stricte – je parlerais plus volontiers de « cantonnement », voire de « mise en quarantaine », que de « ségrégation » – des activités spéculatives que la banque mène pour compte propre, c'est-à-dire, jusqu'à présent, au risque des dépôts de ses clients.

Conformément aux conclusions du rapport Liikanen, les banques devront à l'avenir créer une filiale ad hoc, soumise à une réglementation prudentielle stricte, et isoler ces activités dans ladite filiale. Celle-ci devra être capitalisée et financée de manière autonome, ce qui veut dire que la banque ne pourra pas utiliser les dépôts des épargnants pour financer les activités spéculatives de la filiale ou pour la sauver si elle venait à rencontrer des difficultés. Ce dernier point est essentiel : même en cas de difficultés ou de faillite, la maison mère ne pourra pas financer davantage sa fille, quitte à la condamner.

Si le texte choisit d'isoler spécifiquement ces activités, c'est parce que ce sont elles qui ont concentré le gros des pertes que les banques françaises ont essuyées sur les marchés pendant la crise. Le cantonnement protégera à la fois la maison mère et ses clients. Il empêchera que les activités pour compte propre ne retrouvent leur niveau d'avant la crise, lorsqu'elles menaçaient la stabilité financière. J'y insiste encore une fois : si la filiale est en difficulté, la loi prévoit que la maison mère ne pourra se mettre en danger pour la sauver. Elle prévoit pour cela des règles dites « d'exposition » très strictes. Les activités qui ne seront pas cantonnées dans la filiale feront l'objet d'un encadrement rigoureux et d'une surveillance étroite de la part de 1'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l'ACPR. Je pense notamment aux activités de tenue de marché, sur lesquelles nous aurons certainement l'occasion de débattre. La Banque centrale européenne elle-même indique que leur maintien dans la maison mère doit être examiné, sous réserve du respect de certaines limites.

Sur la séparation, je veux être très clair. Si j'avais estimé qu'aller au-delà, par un Glass-Steagall Act à la française, en scindant les banques en deux parties – activités de marché d'une part, activités de banque de détail d'autre part –, était une solution efficace pour éviter les crises, c'est cette solution que nous aurions retenue. Il se trouve que ce n'est pas le cas. Permettez-moi de l'expliquer en quelques mots, puisqu'il y a là un noeud du débat.

D'abord, la crise a montré que, même pure et parfaitement séparée, une banque d'investissement n'en représentait pas moins un risque systémique pouvant nécessiter une intervention publique. De manière symétrique, la crise a montré, en Espagne et en Irlande par exemple, que des banques commerciales pouvaient, elles aussi, accumuler des risques liés à des bulles spéculatives, par exemple dans l'immobilier. Une séparation coupant les banques en deux ne répond donc pas aux objectifs essentiels qui sont de réduire les risques, de briser l'aléa moral et d'éviter qu'une banque ne prospère avec la certitude que les pouvoirs publics viendront à sa rescousse. J'y reviendrai en abordant le volet « séparation » du projet de loi.

Ensuite, scinder les banques impliquerait de créer des banques d'investissement indépendantes à côté des banques commerciales. Or la crise a montré la grande fragilité des premières, qui ont presque toutes disparu depuis lors. Plaider aujourd'hui pour recréer des acteurs qui ont été parmi les premiers à faillir pendant la crise – rappelons-nous Lehman Brothers – ne me semble pas une bonne idée. Seuls deux acteurs de taille significative ont aujourd'hui conservé leur indépendance : Goldman Sachs, qui s'est exprimé fortement sur la France ce matin en demandant une coupe de 30 % sur les salaires, et Morgan Stanley. Ce ne sont pas les modèles que j'inciterai les banques françaises à suivre, si tant est qu'elles le puissent, ce qui est peu probable. Face aux mastodontes que j'ai cités, nous aurions, en plus, des banques d'affaires fragiles !

Car, et c'est mon troisième point, une telle réforme conduirait à faire disparaître un service que les banques françaises peuvent aujourd'hui offrir aux entreprises pour leur fournir un accès aux marchés financiers, dont celles-ci ont besoin et qu'elles devront, à défaut, aller chercher ailleurs. Il est d'autant plus nécessaire de préserver la capacité des banques françaises à être une interface pour nos entreprises – car c'est bien l'emploi qui est en bout de chaîne – que, depuis la crise, les précautions accrues des investisseurs et les contraintes réglementaires nouvelles – l'accord Bâle III – conduisent à limiter la capacité des banques à financer les entreprises par le crédit. C'est donc par le financement direct sur les marchés que beaucoup d'entreprises françaises, et pas seulement les plus grandes, pourront se développer dans les années qui viennent. Le phénomène est déjà perceptible, il le sera encore plus lorsque la reprise de l'investissement se fera sentir. Nous avons donc besoin, plus que jamais, de banques françaises capables d'offrir ces services, sauf à se résoudre à laisser le champ libre aux banques internationales. C'est une question de financement de l'économie et même, d'une certaine façon, de souveraineté.

Dernier argument que certains me reprochent – mais ce n'est pas parce que les banquiers l'utilisent qu'il est faux ! –, le modèle français de banque universelle a plutôt fait preuve de sa résilience pendant la crise, et la banque est aussi une industrie, qui emploie 400 000 personnes en France. Dans les consultations larges que j'ai menées pour préparer ce texte, j'ai rencontré non seulement la Fédération bancaire française, qui souhaite voir le projet reporté – ce qui ne sera pas le cas –, mais aussi les représentants des usagers et les organisations syndicales. Ces dernières, sans exception, ont insisté avec force sur leur attachement à la banque universelle. C'est pourquoi, tout en souhaitant une vraie séparation des activités, une réforme profonde, je n'ai pas voulu casser notre système bancaire au risque de l'affaiblir face à nos concurrents et de priver nos entreprises de différents accès au financement.

Fort de ces constats, j'ai proposé que le projet de loi prenne des mesures structurelles fortes. De ce point de vue, les dispositions relatives à la « résolution » des banques en difficulté sont un complément indispensable du volet « séparation », comme Mme Karine Berger le souligne à juste titre.

Le projet de loi s'attaque directement à « l'aléa moral » qui existe aujourd'hui dans les banques et qui est une des causes essentielles de la crise. L'aléa moral est un comportement qui apparaît quand celui qui prend un risque n'a pas à en subir les conséquences si les choses tournent mal. C'est ce qu'on a vu avec la crise de 2008 : des États ont été contraints d'intervenir avec l'argent des contribuables pour empêcher des faillites de banques qui auraient eu des conséquences désastreuses pour l'économie alors même que l'État n'était nullement impliqué dans les risques pris. Ces banques s'étaient en effet exposées à des risques excessifs, anticipant qu'en cas de banqueroute, l'État viendrait à la rescousse. Il est essentiel de désamorcer ce mécanisme qui est non seulement amoral, mais qui conduit aussi à maximiser la prise de risque : sachant qu'ils ne seront pas les payeurs, les spéculateurs ne se privent pas !

Je résumerai sommairement le volet « résolution » du projet de loi par la formule « qui faute, paie », en m'empressant d'ajouter que, contrairement à l'habitude, qui paie, en l'occurrence, ne doit plus pouvoir décider. Là aussi, l'objectif est de protéger les déposants et les contribuables et de renforcer la capacité d'intervention des autorités publiques, qui doivent pouvoir « prendre la main » lorsque c'est nécessaire.

Le projet de loi prévoit tout d'abord de doter le superviseur bancaire, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR –, de pouvoirs accrus lui permettant d'intervenir pour empêcher qu'une banque en difficulté ne fasse faillite – par exemple en transférant ou en cédant d'office tout ou partie de ses actifs ou de son activité, en nommant un administrateur provisoire ou en créant une banque relais en vue d'une cession.

Surtout, il prévoit que cette nouvelle Autorité pourra d'abord faire peser les pertes d'une banque sur ses actionnaires et sur certains créanciers plutôt que sur les épargnants ou sur les contribuables. Ce principe de réalignement des responsabilités et des pertes est pour moi un des piliers du texte : il met un terme à la socialisation des pertes des banques en faillite en imputant les risques excessifs d'abord à ceux qui les ont pris, au lieu de les faire porter par la collectivité. Et comme l'aléa moral, c'est aussi celui des dirigeants, la loi prévoit qu'ils peuvent être révoqués par l'ACPR lorsque l'établissement connaît des difficultés. On ne peut donc affirmer que ce texte serait « amical » envers les banques !

Il y a un troisième « rempart » entre la faillite d'une banque et les dépôts des épargnants ou l'argent du contribuable : le Fonds de garantie des dépôts et de résolution – FGDR –. Comme pour les deux autres volets du texte, cela correspond à un axe de la réflexion sur l'union bancaire européenne. Le projet prévoit que le secteur bancaire lui-même sera sollicité en cas de défaillance d'une banque après que les actionnaires et les créanciers auront été appelés. Le Fonds de garantie des dépôts qui existe aujourd'hui, et dont je rappelle qu'il est abondé par les établissements financiers, verra ainsi ses missions élargies. Surtout, sa capacité d'intervention financière passera de 2 à 10 milliards d'euros d'ici à 2020. C'est une garantie supplémentaire aux clients de la banque et aux contribuables qu'ils ne seront appelés qu'en tout dernier ressort.

Avec ces deux armes – la séparation et la résolution –, nous nous donnons les moyens de lutter contre la spéculation, de réduire l'aléa moral et de protéger les déposants et les contribuables. Il s'agit d'une solution pragmatique et efficace qui a été réfléchie et pesée. Soyons conscients qu'en agissant ainsi, nous sommes précurseurs, et que cette réforme sans précédent est un levier de changement très puissant.

Le deuxième axe fort de ce projet de loi est le contrôle efficace et préventif des risques. Si le texte met l'accent sur le contrôle, c'est pour les raisons que j'ai déjà énoncées : parmi les causes de la crise de 2008, il y a le manque de supervision des risques du système pris dans son ensemble, ce qu'on appelle le risque systémique. Il fallait donc renforcer la prévention et le contrôle en ce domaine. Le texte propose un ensemble très complet de mesures pour répondre point par point aux défaillances que je viens d'évoquer. J'en mettrai quelques-unes en exergue.

Tout d'abord, l'ACPR voit ses structures et ses compétences en matière de contrôle renforcées. Le texte prévoit par exemple que chaque établissement bancaire prépare un « plan préventif de résolution », c'est-à-dire un « testament » bancaire, pour faciliter l'intervention du superviseur en cas de risque de défaut. L'ACPR validera ce testament. Elle pourra aussi exiger « à froid » d'une banque dont l'organisation serait trop complexe toutes les modifications de structure permettant de faciliter son intervention en cas de problème, par exemple en l'obligeant à filialiser certaines activités. On voit combien séparation des activités et efficacité de la supervision sont liées, et comment elles se renforcent l'une l'autre. Le projet met donc entre les mains du politique, en l'occurrence du ministre de l'économie et des finances, un outil nouveau que d'aucuns, à commencer par votre rapporteure Karine Berger, ont appelé des ciseaux.

Ensuite, le projet de loi crée une nouvelle autorité, le Conseil de stabilité financière – CSF –, chargé d'une double mission : la prévention et la surveillance des risques systémiques. Le CSF aura de réels pouvoirs d'intervention, juridiquement contraignants, ce qui n'est pas le cas de l'instance actuelle que je préside et qu'il remplacera, le Conseil de régulation financière et du risque systémique. Il pourra par exemple imposer aux établissements de crédit des exigences de fonds propres supplémentaires.

Autre mesure importante du projet de loi : l'ACPR pourra purement et simplement interdire à un établissement des activités présentant des risques excessifs, soit pour lui-même, soit pour le reste du système bancaire et financier.

Ces pouvoirs renforcés vont accroître considérablement la régulation du système financier. Depuis que j'exerce mes fonctions, j'ai souvent regretté que les autorités publiques ne puissent pas en disposer, en particulier quand il m'a fallu traiter de sinistres financiers comme ceux de DEXIA ou du Crédit immobilier de France.

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