Il vous faudra excuser, monsieur le ministre, nos collègues de l'opposition, qui préfèrent être dans l'hémicycle pour tenter d'empêcher les gens de s'aimer officiellement plutôt que de protéger le système économique et les consommateurs de notre pays. À chacun ses préférences !
Dimanche 14 septembre 2008, aux environ de seize heures, toutes les personnes chargées de réguler les risques dans les banques ou dans les compagnies d'assurance sont appelées à leur desk pour répondre à la demande de la Réserve fédérale américaine au sujet de leurs « positions » sur Lehman Brothers ; à minuit, ils apprennent que la banque est laissée en faillite par la Réserve fédérale.
L'erreur commise ce jour-là a déclenché une crise financière sans précédent depuis quatre-vingts ans. Elle a fait partir en fumée 1 000 milliards de dollars et créé 13 millions de chômeurs dans les pays de l'OCDE.
Nous avons tous une part de responsabilité dans cette erreur d'analyse gigantesque sur la situation systémique et sur la folie financière où l'économie mondiale s'était plongée. Ce n'est pas tant que Lehman Brothers était une banque d'investissement et que des personnes avaient malmené les règles : c'est que l'on n'avait pas estimé les conséquences des pertes de cette société et de l'abandon de créance sur les établissements financiers tiers, et la perte de confiance que cela entraînerait.
Sur le papier, la seule mesure pour éviter a priori une telle catastrophe serait le Glass-Steagall Act. Mais alors il faudrait établir une séparation absolue entre banques d'investissement et banques de dépôt partout dans le monde, sans exception aucune. C'est impossible. Il suffirait qu'un seul lien existe entre une banque de dépôt et une banque d'investissement pour que la crise se propage comme elle l'a fait à l'automne 2008. Il est impératif d'établir une régulation après cette catastrophe, mais il faut l'inventer autrement.
En France, pendant quatre ans, le gouvernement précédent n'a pas pris une seule mesure de régulation du monde de la finance. Votre projet de loi, monsieur le ministre, est le premier texte à engager une réforme structurelle et pragmatique, si l'on excepte la mise en place des ratios prudentiels de Bâle III, qui sont des réponses concrètes à la problématique particulière née le 14 septembre 2008.
Le rapport du groupe technique européen présidé par M. Erkki Liikanen préconise un système pragmatique de cantonnement des activités visant à éviter de devoir à nouveau secourir une structure en raison de son intégration. Avec ce texte, la France sera le premier pays d'Europe à mettre en place un tel mécanisme.
Pour mener à bien une réforme bancaire structurelle, il faut éviter tout à la fois le péché d'ignorance et le péché d'arrogance, nous a dit M. Liikanen lors de son audition. C'est en ce sens que l'on peut lire le projet français : on est loin de l'ignorance, puisque l'on sait exactement ce qui a failli en 2008 ; mais on est loin de l'arrogance, puisque notre propos n'est pas de donner des leçons au reste du monde, comme peuvent le faire les Britanniques, mais de donner une réponse à une situation particulière.
Si j'ai utilisé le terme de « paire de ciseaux » pour caractériser cette réponse, c'est que ce texte crée un outil à la main des responsables politiques et des personnes qui seront chargées de réguler le système financier. Le dispositif est très souple et mobilisable presque à tout moment : le titre Ier dresse la liste des activités qui doivent être disjointes des dépôts des clients, tandis que les titres II et suivants définissent les digues qui permettront d'éviter, en cas de catastrophe, la pollution de tout le système par l'effondrement d'une de ses parties.
Il s'agit là, monsieur le ministre, de la première réforme du monde de la finance en France, sinon en Europe. Comment envisagez-vous l'utilisation de cet outil dans le temps ?
Cette question m'amène à celle de l'imbrication européenne. Nous avons l'honneur d'ouvrir la voie en matière de réformes structurelles en Europe, mais nous avons aussi la responsabilité de nous inscrire de façon naturelle dans les futurs textes communautaires. Comment ce texte s'adaptera-t-il aux évolutions européennes à venir, en particulier la directive CRD IV en préparation, une éventuelle directive de séparation bancaire inspirée par le rapport Liikanen, et enfin l'union bancaire, qui vise à créer au niveau européen une garantie complète et croisée comme nous le faisons au niveau national ?
Enfin, l'imagination du monde de la finance est sans limite. Les ingénieurs qui y travaillent ont prouvé qu'ils sont capables de contourner à peu près tout ce qu'on leur oppose en matière de régulation et de réforme. Comment arriver à ce que les innovations financières telles que le trading à haute fréquence entrent dans le champ d'application de cette loi ?