Intervention de Gérard Leclercq

Réunion du 30 janvier 2013 à 16h15
Commission des affaires économiques

Gérard Leclercq, directeur des opérations France de Renault :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre invitation qui témoigne de l'intérêt que vous portez à l'industrie automobile en général, et au groupe Renault en particulier. Nous y sommes très sensibles.

Je suis venu vous parler d'un sujet d'actualité, celui de la négociation que le groupe Renault mène en ce moment même et pour laquelle j'ai été mandaté à la fois par le président Carlos Ghosn et par Carlos Tavarès. Je vous confirme qu'une fois passée cette échéance capitale, ils seront à votre disposition pour échanger avec vous sur la stratégie globale du groupe.

Je sais avec quelle attention chacun et chacune d'entre vous suivent cette négociation avec nos organisations syndicales : comme législateurs, comme membres de la Commission des affaires économiques qui s'intéresse tout particulièrement aux questions industrielles, voire comme élus d'une circonscription accueillant l'un de nos sites. Je suis donc particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée d'échanger directement avec vous.

Avant de répondre à vos questions, j'ai souhaité revenir sur le contexte et les raisons de cette négociation.

En premier lieu, cette négociation s'inscrit dans la poursuite de la stratégie industrielle que j'ai moi-même annoncée le 11 février 2011, alors que j'étais en charge de l'ensemble du système industriel de Renault Monde. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai été mandaté par notre président.

Le plan d'activité que j'avais alors dévoilé concernait chacun de nos sites industriels français qui se voyaient attribuer, sur la période 2011-2013, 40 % des investissements du groupe, soit près de 2 milliards d'euros : 420 millions d'euros dans notre site de Douai, 230 dans celui de Sandouville et 300 dans notre site de mécanique de Cléon. Ainsi, dès 2011, le futur du groupe en France avait déjà été engagé, en attribuant à chacun de nos sites des projets spécifiques. Notre stratégie s'appuie sur un second pilier, très solide : celui du développement international dont l'objectif a toujours été, au-delà du profit qu'apportent certains marchés encore en pleine croissance, d'assurer le maintien de notre empreinte française.

Depuis 2011, le contexte « marché » s'est fortement dégradé, notamment en Europe, et je crois que personne n'est insensible à la situation du secteur automobile, illustrée par les deux graphiques que je vous ai fait distribuer. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Depuis 2007, la plupart des territoires du monde ont vu leur marché automobile se redresser, une fois la crise passée, pour atteindre ou dépasser – de 10 %, 30 %, voire plus de 100 % – son niveau précédent. Une seule région, l'Europe, connaît une récession continue de son marché automobile – 21 % entre 2007 et 2011. Le début de l'année 2013 ne s'annonce pas sous de meilleurs auspices, puisque la décroissance s'est poursuivie au mois de janvier à un rythme équivalent à celui de l'année dernière.

La situation de l'Europe est donc préoccupante, avec un marché de 14 millions de véhicules en 2012, très en dessous des capacités de production européennes – supérieures à 20 millions de véhicules.

Cette décroissance tenace, continue, qui apparaît sur le deuxième graphique, indique que la crise à laquelle nous sommes confrontés n'est pas uniquement conjoncturelle ; c'est une crise structurelle, qui appelle des solutions adaptées. Si les problèmes de la compétitivité en Europe ne se règlent pas, nous pourrions être plus proches de la stagnation que de la croissance. Voilà pourquoi nous souhaitons nous inscrire dans un processus de restauration de notre compétitivité.

Renault est touché de plein fouet par ce contexte difficile. En 2012, ses cinq sites industriels d'assemblage ont produit 530 000 véhicules, contre 640 000 l'année précédente. À titre de comparaison, l'usine Nissan de Sunderland, au Nord de l'Angleterre, produit 480 000 véhicules à elle seule !

Que faire dans un tel contexte ? Fermer des sites, comme certains l'ont fait ou l'envisagent ? Attendre que la situation ne soit plus gérable ? Nous avons choisi de privilégier la voie du dialogue social, et donc de la négociation. Nous l'avons fait à un moment où nous ne sommes pas dos au mur car nous avons besoin d'une marge de manoeuvre. En novembre dernier a donc été ouvert ce cycle de négociations avec les partenaires sociaux. C'est moi qui les pilote, depuis que le 15 octobre, le président Carlos Ghosn, m'a demandé de quitter mes fonctions de directeur industriel du groupe et de m'y consacrer à temps plein en tant que membre du comité exécutif.

Notre objectif est, pour le périmètre « branche automobile » (Renault SAS et filiales industrielles), d'identifier les leviers et le cadre de mise en oeuvre permettant d'assurer dans l'avenir – et dans un avenir suffisamment lointain – une base solide et durable pour l'ensemble des activités de Renault en France. L'essentiel est de retrouver un niveau d'attractivité sur cette base France pour continuer à affecter de nouveaux véhicules Renault – c'est-à-dire le « plan gamme » de Renault – et attirer les volumes de nos partenaires. Pour cela, nous avons besoin d'un accord donnant-donnant, qui précise les engagements de chacune des parties, engagements qui nous permettront de construire le futur. Et je peux affirmer que nous tiendrons ceux que j'aurai pris au nom de Renault, dans le cadre de cet accord.

Nous ferons tout pour aboutir positivement afin que, à l'horizon 2016, et bien sûr dans le cadre d'une restauration progressive du marché européen, nous puissions assurer une croissance de la production en France plus soutenue que celle du marché européen. Cela suppose que nous allions plus vite que ce que le marché européen nous permettrait naturellement.

Rentrons maintenant un peu plus dans le détail. Nous avons tenu hier la huitième réunion de négociation : nous y avons repris l'ensemble des propositions préalablement faites, et les organisations syndicales ont formulé leurs propres propositions et leurs commentaires.

Lors de cette réunion, nous avons rappelé nos engagements dans le cadre d'un accord équilibré, à savoir :

- ne fermer aucune usine ;

- assurer un ajustement des effectifs sans recourir à quelque plan social ou à quelque plan de départ volontaire que ce soit ;

- nous appuyer sur l'effet positif d'un accord et sur le renouvellement de notre « plan gamme » pour accroître les volumes de production français de notre gamme d'environ 100 000 véhicules par an sur la période, en ayant une croissance plus rapide que celle du marché européen ;

- ajouter à cette croissance un équivalent de 80 000 véhicules annuels provenant de nos partenaires ;

- maintenir l'ensemble de nos activités corporate coeur de métier (ingénierie et tertiaire) en France.

- et, bien sûr, ne pas sacrifier à la protection des salariés : par exemple, en assurant à tous une complémentaire santé.

Notre volonté, et nous l'avons réaffirmé, est d'obtenir un niveau de performance et d'activité compatible avec le maintien de l'ensemble de nos usines.

Pour cela, j'ai fait plusieurs propositions, que je souhaite vous rappeler.

Créer deux pôles régionaux industriels (Nord-Est et Ouest), cadre de la mutualisation de fonctions supports – RH, communication, maintenance, logistique… – afin de compenser le handicap de la dispersion physique, et de préserver et d'élever le niveau des compétences dont nous avons besoin.

Assurer les meilleurs équilibrages entre les sites, ce qui passe par des prêts inter site. Une telle solution permet de préserver l'outil industriel tel qu'il est, même si cela nous contraint à faire, sur la durée, des équilibrages d'effectifs en fonction de la charge des usines. Nous faisons d'ores et déjà appel au volontariat – 1 200 personnes environ ne sont pas en permanence sur leur propre site d'affectation. L'expérience nous prouve que nous devons aller au-delà. Voilà pourquoi nous avons proposé des détachements temporaires obligatoires, avec un certain nombre de critères à négocier et limités dans le temps (un an maximum). Bien sûr, et je voudrais insister sur ce point, le volontariat restera la voie privilégiée.

Assurer de la formation dans le temps de travail – gage de l'engagement de Renault dans le développement des compétences – sans faire appel au compte épargne formation, dont la gestion est extrêmement compliquée et conduit à des surcapitalisations dans les comptes temps. Évidemment, le droit individuel à la formation est totalement préservé.

Limiter les compteurs temps annuels, qui ne font qu'accumuler les congés. C'est le gage de notre vigilance sur la qualité de vie au travail et l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. En conséquence, chaque salarié devra être en mesure de prendre ses congés dans l'année d'acquisition, et chaque manager aura la responsabilité de s'organiser dans ce but.

Aligner le temps de travail effectif de tous les sites de Renault en France sur la référence légale de 35 heures hebdomadaires en moyenne. Il ne s'agit pas d'aller au-delà de ce que nous indique la loi, mais de remettre à plat l'ensemble des accords qui, en cumulant un certain nombre de dispositions particulières, font qu'en moyenne, dans nos sites industriels, on travaille 6,5 % de temps en dessous des 35 heures. Cela étant, nous continuerons à générer dix jours de RTT par an.

Abaisser le point mort de l'entreprise à 12 % en dessous du niveau des ventes de 2011, et nous donner la possibilité d'assurer les recrutements dont nous avons besoin pour préparer l'avenir sur les compétences critiques. Ainsi, au-delà des départs naturels qui ne seront pas renouvelés – environ 5 700 estimés à l'horizon 2016, dans le cadre de nos accords –, nous avons décidé de prolonger et d'élargir les mesures de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) sur les quatre prochaines années, ce qui nous assurerait, potentiellement, 2 560 départs additionnels. Cela nous donnerait l'opportunité de recruter plus de 760 personnes sur les compétences critiques, tout en préservant l'objectif visé. Donc, en cas de signature d'un accord, je me suis engagé à ne recourir ni à un plan social ni à un plan de départs volontaires.

La maîtrise de la masse salariale est un élément fondamental, mais il n'est pas le seul pour assurer le niveau du point mort de l'entreprise. Nous avons donc proposé de maintenir cette année les salaires à leur niveau actuel et de les augmenter progressivement, de 0,5 % en 2014, et de 0,75 % en 2015. Nous avons proposé aussi de faire évoluer l'accord d'intéressement, dont nous souhaitons renforcer la dimension solidaire et rétributrice : en augmentant le montant de la part uniforme versée à l'ensemble des collaborateurs et en revalorisant le montant distribué dès que la marge opérationnelle dépasse 3 %.

Ainsi que je le disais en introduction, lors de la réunion du 29 janvier, chacune des organisations syndicales s'est exprimée sur ces points. Elles l'ont fait dans un état d'esprit constructif, et nous leur avons proposé de nous revoir la semaine prochaine, soit le 5 février, pour trouver les points de convergence sur chacun des items propres à nous permettre de signer un accord.

Je reste intimement persuadé que le dialogue social est la meilleure voie possible pour que nous-mêmes et les représentants du personnel trouvions ensemble les moyens d'assurer l'avenir de Renault en France, et de donner aux salariés une vision positive du futur. L'accord que j'appelle de mes voeux aurait pour Renault une dimension historique. Ce serait une première, dans la mesure où cette négociation couvre un spectre extrêmement large. Un tel accord nous placerait dans l'anticipation, seule voie pour construire l'avenir dans un contexte difficile, en faisant tout pour éviter de recourir à des mesures douloureuses, comme des fermetures de sites ou un plan social. Voilà notre ambition.

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