Intervention de Ernesto Samper

Réunion du 31 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Ernesto Samper, secrétaire général de l'UNASUR, ancien président de la République de Colombie, sur l'Union des nations sud-américaines : état des lieux et perspectives pour les pays latino-américains :

Je vais tenter d'être bref, tout en répondant le plus précisément possible à vos questions. C'est tout d'abord un grand honneur d'être parmi vous aujourd'hui : j'ai moi-même commencé ma carrière politique au sein de l'Assemblée nationale de Colombie en tant que député, avant d'être sénateur.

Il me semble que, comme je le disais hier au Président du Sénat français, si les hommes politiques peuvent faire l'objet de critiques, au final, ce qui fait la différence et qui permet à un pays de ne pas sombrer dans la dictature, c'est d'avoir un Parlement ouvert, sans quoi, il n'y a pas de liberté d'expression et de décision. En ce sens, je pense qu'il est fondamental de pouvoir échanger nos différentes expériences ce matin.

L'organisation que je représente ici est très jeune. Elle est composée des douze États sud-américains : l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, l'Équateur, le Guyana, le Paraguay, le Pérou, le Suriname, l'Uruguay et le Venezuela. Nous représentons 420 millions d'habitants sur 18 000 km² et la 4ème puissance économique mondiale. Nous sommes par ailleurs tributaires de processus politiques qui ont débuté à la fin du siècle dernier : il nous faut enraciner la tradition démocratique car nous ne voulons pas revivre les périodes de dictature qu'a traversées le continent.

L'UNASUR a également été créée en réponse aux modèles de marché développés à la fin du XXème siècle qui, au final, ne nous ont pas permis d'atteindre une croissance économique suffisante ni d'obtenir des résultats sociaux probants. Elle est née aussi de la volonté de disposer d'une représentation politique pour dialoguer avec les interlocuteurs d'autres continents.

Notre organisation a pour but de nous défendre en tant que partenaire politique. Nous ne sommes pas comme le MERCOSUR, l'ALBA, ou la Communauté andine : notre propos n'est pas économique mais politique. Nous agissons sur le plan politique, et nous avançons et traitons des sujets politiques.

Plusieurs objectifs animent l'UNASUR : le premier est de préserver l'Amérique du Sud comme zone de paix dans le monde. Nous avons traversé des guerres et on ne peut pas dire qu'il existe une seule forme de paix. Notre premier objectif reste de trouver des solutions pacifiques et adaptées aux différents conflits affectant notre continent. Ces dernières années ont montré que l'Amérique latine a su progresser en la matière et c'est un territoire où n'a pas été développée l'arme nucléaire.

Cette volonté de défendre un dialogue de paix peut s'observer à travers les traités qui sont actuellement négociés à La Havane entre le Gouvernement de Colombie et les FARC. Les discussions sont longues et difficiles, mais nous avons décidé de prendre le chemin du dialogue pour sortir de la lutte armée. On peut être de nouveau optimiste, après cinquante ans de conflit : grâce à une volonté politique de dialogue, est aujourd'hui née la possibilité d'une solution pour que ce pays se développe non pas à travers la violence mais à travers le dialogue, et de réconcilier les différentes parties au conflit.

Évidemment si ces traités de paix sont signés à La Havane, nous pourrons ne pas avoir de « paix négative », c'est-à-dire une paix limitée à l'absence de conflit armé. Il faut réapprendre aux gens à vivre ensemble, retisser le lien social qui s'est érodé au fil des ans, puisqu'on dénombre sept millions de victimes. La blessure n'est pas qu'économique et sociale, mais également morale. Les lieux où les FARC se sont étendues, en l'absence de l'État, sont des zones où il faut que nous travaillions. Il faut recréer un dialogue avec les différentes collectivités locales et recréer une structure sociale : c'est le plus grand défi qui se présente à nous. Il nous faudra investir environ 150 millions de dollars et ce travail va prendre deux voire trois générations pour pouvoir vraiment changer l'état d'esprit et donner un nouvel élan à la Colombie.

S'agissant de la stratégie de l'UNASUR, a été établi un conseil sud-américain de défense, composé des douze ministres ainsi que des chefs des armées des différents pays membres de l'organisation. Nous essayons de résoudre des conflits comme le narcotrafic et la traite des êtres humains, qui sont de véritables fléaux mondiaux.

Depuis les années 1970, une fois surmontée l'époque noire des dictatures, des processus démocratiques ont été engagés. Le conseil électoral sud-américain, qui rassemble les assemblées électorales des pays membres de l'UNASUR accompagne tous les processus électoraux. Nous avons assisté et appuyé de nombreuses élections, notamment au Venezuela. Tout le monde pensait que les dernières élections législatives vénézuéliennes seraient marquées par des fraudes massives. Or, l'opposition a remporté la majorité qualifiée au sein de l'Assemblée nationale. À mon sens, ce résultat est très positif et a montré qu'il est possible de trouver une voie de dialogue entre les gouvernements et les différentes entités politiques et sociales.

L'UNASUR défend également les droits sociaux et environnementaux. A été mise en place une instance sur les politiques publiques qui compte douze conseils, divisés par secteurs, qui ont différents thèmes, sur lesquels sont préparés des plans d'action : la santé, l'éducation, l'économie, les infrastructures, les finances, etc. L'action de ces conseils sectoriels, assistés par le secrétariat, s'articule autour de trois différents objectifs.

Tout d'abord, dans la région sud-américaine, il existe de fortes inégalités et le premier objectif est de les réduire. Il s'agit non seulement de s'atteler à sortir les gens de la pauvreté, mais également de mettre un terme aux politiques qui appauvrissent les gens et aux mécanismes qui reproduisent cette situation, comme l'insertion inégale dans l'éducation et le travail informel. Près de 20 % du PIB de la région provient du travail au noir, ce qui représente une perte de recettes fiscales très importante, de l'ordre de 30 à 40%.

Le deuxième objectif est économique et lié à la concurrence : nous sommes censés être à la hauteur de ce que nous demande le marché mondial. Or, pour être compétitif, il faut produire beaucoup, mais aussi se comparer à d'autres pays. C'est pourquoi, nous envisageons cette compétitivité au regard de la présence que la région pourrait avoir sur la scène internationale, en remportant des marchés ou en exportant des marchandises.

Cette idée, nous l'avons conçue et amplifiée en une chaîne sociale de valeur. Dans le monde actuel, le commerce international s'attache aux chaînes de valeur, c'est-à-dire aux chaînes de production qui permettent d'obtenir une valeur ajoutée. Un des paradoxes existant en Amérique Latine, c'est que même si c'est l'une des régions les plus riches au monde, nous n'avons pas vraiment mis en oeuvre les efforts suffisants pour profiter de cette richesse. Nous avons sur notre territoire 20 % des réserves de pétrole, la moitié des réserves en or, et 30 % des ressources hydrauliques. Mais toutes ces richesses et ressources naturelles, nous n'avons pas su nous en servir pour y ajouter une valeur. Finalement, nous finissons par exporter simplement ce que nous produisons sur notre territoire.

Ceci explique la situation économique difficile dans laquelle nous nous trouvons, puisqu'au moment où les prix de certaines matières premières ont chuté, notre économie également. La crise économique a eu des répercussions sur tous les processus politiques et gouvernementaux. Je crois que c'est ce qui explique en partie la situation brésilienne actuelle. De même, le Venezuela ne peut pas profiter pleinement de sa production de pétrole.

Le troisième objectif est politique : il vise à accroître la participation des citoyens au processus et à l'exercice de la démocratie. L'UNASUR a été présente à des moments historiques dans notre région. Tous les moments où une rupture démocratique a pu poindre ou apparaître, nous avons été là. Par exemple, nous avons été présents au Venezuela, pendant les élections sous l'ancien président Chávez, au Paraguay, lorsque les droits du président n'ont pas été respectés, en Équateur, lorsqu'il y eu une tentative de coup d'État par la police, et en Colombie, lorsque les militaires ont essayé de reprendre le pouvoir et cherchaient à rentrer en conflit avec le Venezuela. Non seulement les présidents, mais aussi les ministres des affaires étrangères, se sont réunis de manière proactive pour tenter de mettre un terme au conflit naissant et rétablir l'équilibre nécessaire.

Cet objectif de participation citoyenne se traduit de façon très positive autour de l'idée de constituer un Parlement d'Amérique du Sud. À l'heure actuelle, il existe un Parlement andin et un Parlement au sein du MERCOSUR, mais je pense qu'il serait intéressant d'avoir un seul et même Parlement qui regrouperait et représenterait l'ensemble des parlements existants.

À cet égard, nous avons pensé qu'il serait intéressant de développer un processus qui existe dans d'autres régions : les parlementaires ne seraient pas élus par les citoyens mais par les parlements eux-mêmes. Ces différents parlements pourraient, à travers les personnes qu'ils ont élues, faire passer des projets au niveau continental. Je crois qu'il est très important de comprendre qu'au sein de l'UNASUR, nous ne pensons pas qu'en termes de pays, mais aussi en termes de souveraineté et de citoyens. Nous prenons en compte l'ensemble des éléments qui fait qu'une démocratie fonctionne.

À travers les différents sujets évoqués, nous avons vu qu'il y avait des thématiques horizontales : certains sujets traités par les conseils sectoriels peuvent être repris par d'autres conseils.

Le premier est le problème du genre. Il existe un problème de genre qui s'explique en partie par les cultures, puisque nous avons des populations asiatiques, africaines et descendant de divers continents. Je crois que cela peut expliquer la façon dont la femme est traitée et sa situation inégale dans le monde du travail : les salaires sont beaucoup plus bas, la moitié de ceux des hommes pour un poste équivalent. Il faut impérativement réduire cette différence. Nous travaillons également sur l'idée des droits de l'Homme, de manière transversale.

Enfin, l'environnement reste un sujet très important puisque l'Amérique du Sud se trouve dans l'oeil du cyclone, que ce soit un bien ou un mal, mais c'est une réalité. C'est un bien car 50 % de la biodiversité présente dans le monde se retrouve dans le bassin amazonien. C'est un lieu très intéressant, qui recèle de nombreuses possibilités qui pourraient aider l'ensemble de l'humanité.

Mais la contrepartie à cela est que nous sommes l'une des régions les plus touchées par les problèmes climatiques, notamment dans la Cordillère des Andes, où il y a des mouvements telluriques très prononcés. Récemment, un tremblement de terre a détruit l'ensemble de la côte de l'Équateur, avec un bilan de 660 personnes décédées. Nous nous retrouvons dans des situations de grande détresse face au déchaînement des éléments sur l'ensemble de la côte du Pacifique, mais aussi dans la zone des Caraïbes, en raison du réchauffement climatique. Nous voulons réduire les émissions de gaz carbonique, nous ne voulons même pas qu'il y ait des bons à racheter car la pollution continue. Il s'agit vraiment de trouver un remède puisque notre survie collective en dépend.

Tous ces projets ont été repris dans un projet global : celui d'une citoyenneté sud-américaine. Cette idée de citoyenneté est liée à celle de l'appartenance à une collectivité. D'une certaine façon, je crois qu'on peut comprendre la citoyenneté de deux façons : comme un droit mais également comme une identité. La richesse de l'Amérique latine est son identité. Nous avons su intégrer la religion catholique avec l'ensemble des croyances natives. L'Amérique latine est un véritable creuset ethnique : ses populations sont venues d'Afrique, d'Europe… Au fond, ce ne sont pas les Européens qui nous ont découverts, ce sont nous qui avons découvert les Européens ! Quand le conquistador Hernan Cortés a débarqué au Mexique, il aurait dit impérieusement au chef aztèque : « Nous venons vous parler de Dieu et de la civilisation ». Ce dernier lui aurait répondu : « Très bien, que voulez-vous savoir ? ». Notre identité est notre fierté, c'est ce qui nous pousse à vouloir développer une citoyenneté sud-américaine qui permettrait à tous de circuler librement au sein de la région. Je crois que la mondialisation passe avant tout par la libre-circulation des personnes. Ce principe est plus important que tous les débats liés à l'immigration, même si cela reste un sujet compliqué pour nous aussi.

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