Notre dépendance vis-à-vis du GPS est indéniable. Or ce système est contrôlé non seulement par les États-Unis, mais par leur ministère de la Défense, alors que Galileo est un système européen civil dont les emplois peuvent être gouvernementaux.
Galileo a eu une histoire difficile et pleine d'aléas, mais il me semble que la situation est désormais sous contrôle. A priori, en 2020, la constellation devrait être entièrement opérationnelle.
Tous les pays européens partagent-ils l'intérêt de la France pour ce programme ? Le signal sécurisé gouvernemental a posé des problèmes et reste un sujet sensible. Certains de nos partenaires, notamment le Royaume-Uni, n'ont eu de cesse il y a quelques années de contester les usages militaires de Galileo que pourrait permettre le recours à ce volet gouvernemental. Selon eux, Galileo étant un programme communautaire, qui dépend de la Commission européenne, et non un élément du « deuxième pilier » qui relève du Conseil de l'Union, il ne saurait avoir aucune dimension militaire. Ce problème, qui a vraiment fait débat, a été résolu par la Commission elle-même, qui a considéré que les usages nationaux de Galileo restaient entièrement du ressort de la souveraineté de chaque pays. De ce point de vue, Galileo demeure par essence un programme civil, avec des fonctions gouvernementales – le Public Regulated Service (PRS) dont je viens de parler – dont les gouvernements peuvent faire l'usage qu'ils souhaitent.
À cet égard, les Américains ont compris plus vite que les Britanniques l'intérêt que présentait pour eux le développement de Galileo, une fois la démarche bien engagée du côté européen : ils envisagent d'utiliser dans le domaine militaire les deux constellations GPS et Galileo, afin d'améliorer la performance globale du système. Quand on sait que l'on va devoir se battre dans des environnements urbains, que l'on aura besoin de précision, de permanence, il est plus intéressant de disposer de quarante-huit satellites que de vingt-quatre.
Tout n'est pas réglé s'agissant de Galileo, mais les gros problèmes sont derrière nous. Les éléments constitutifs de la constellation sont assez régulièrement mis en orbite.
La France peut-elle conserver son leadership, compte tenu de ses objectifs politiques et de sa position prééminente en matière de défense en Europe ? Il me semble que c'est déjà chose faite. Sur 30 000 personnes employées dans le secteur spatial, 12 000 à 13 000 le sont en France ; notre pays maîtrise l'ensemble des technologies stratégiques liées au spatial, qu'il s'agisse de l'accès à l'espace ou de l'observation de la Terre. Quant à Galileo, la France occupe une place de choix dans la conception même du programme, aux niveaux les plus complexes. Certes, le programme étant européen, plusieurs installations clés ne sont pas situées sur le territoire français. Reste que, dans ces domaines, la France a su préserver l'essentiel.
Cela ne signifie pas que personne ne conteste le leadership français. Sans aller jusque-là, l'Allemagne considère que sa place dans le secteur spatial en Europe n'est pas à la mesure de son rôle dans le concert politique européen. Elle s'intéresse de plus en plus au spatial, elle stimule son industrie pour créer des champions nationaux – on peut citer l'exemple de l'entreprise OHB ou de branches très actives d'Airbus Allemagne –, sans aller jusqu'à entrer en concurrence avec nous, sinon peut-être de manière mesurée, sur tel ou tel appel d'offres. Le paysage change un peu, mais la France conserve pour l'instant sa place. Il est bon de garder à l'esprit que celle-ci n'est jamais entièrement acquise.
Chose tout à fait nouvelle, le Royaume-Uni s'intéresse à son tour à l'espace, en particulier à la mise en forme des informations spatiales, à l'intelligence en matière de données spatiales. Cet intérêt s'est manifesté par la création d'incubateurs et de campus avec l'aide de l'agence spatiale européenne, ainsi que par la production de plusieurs rapports au cours des dernières années. Mais il n'existe pas au Royaume-Uni une industrie spatiale dont la taille soit comparable à celle de la nôtre. Les volumes financiers en jeu sont moindres.
Ce goût nouveau, de la part d'un pays qui a toujours été très sceptique vis-à-vis des dépenses spatiales, confirme en tout cas le lien entre l'espace et les technologies de l'information : c'est parce que celles-ci intéressent les Anglais qu'ils accordent à l'espace une considération inédite.
Avons-nous les moyens de ne pas dépendre d'une seule source d'information, fût-elle alliée ? Je pense que oui. Je me ferai ici l'écho de ce que dit à juste titre le ministère de la Défense. Depuis les débuts du programme spatial militaire national, nous consacrons tous nos efforts à notre autonomie en matière d'information, de décision et d'action. Les premiers programmes militaires français sont des programmes d'observation par satellites autonomes qui restent aujourd'hui une priorité – et le demeureront, puisque la composante spatiale optique (CSO) succédera à Hélios. Nous en mesurons chaque jour la valeur. Les Américains le savent très bien et la France leur apparaît comme un de leurs rares véritables partenaires en ce domaine.
C'est autour de l'autonomie d'information et de la souveraineté de la décision politique que s'est construit l'espace militaire français. Aujourd'hui, non seulement cet aspect est préservé, mais l'on est passé à la vitesse supérieure : on l'a vu récemment, nous sommes désormais capables d'améliorer par nous-mêmes la qualité de nos opérations militaires à partir des moyens spatiaux. Ainsi, les deux satellites très agiles, capables de fournir beaucoup d'images par jour, qui composent Pléiades – outil dual dont certaines capacités sont réservées au Gouvernement et au ministère de la Défense tandis que d'autres sont commercialisées – sont devenus essentiels aux opérations militaires, dans lesquelles leur utilisation est très bien maîtrisée.
L'écoute, qui faisait défaut, est maintenant prévue pour 2020 dans le cadre du programme CERES (capacité de renseignement électromagnétique spatiale). Elle contribue elle aussi à la préservation de notre souveraineté.
De toute façon, on ne peut coopérer avec les États-Unis que si l'on dispose de moyens autonomes ; dans le cas contraire, on ne les intéresse pas. En matière de surveillance de l'espace, par exemple, des accords récemment signés permettent à la France et aux États-Unis d'échanger des informations jusqu'alors protégées. C'est que nous avons depuis quelques années nos propres moyens d'information, certes bien moins considérables que le réseau mondial américain, mais suffisamment efficaces pour nous apporter des éléments que les États-Unis ne nous fournissaient pas auparavant. Le fait que nous nous soyons montrés capables de les obtenir seuls a ouvert la voie à la discussion et à la coopération. Sans vouloir parler à la place du commandant du commandement interarmées de l'espace, je pense pouvoir dire que de très bonnes relations se sont ainsi construites.