(Interprétation de l'ukrainien) Je salue toutes les personnes présentes dans la salle et vous remercie, madame la présidente, de m'offrir l'occasion de m'exprimer devant votre commission. Nous avons de nombreux sujets à débattre ensemble, sur lesquels nous avons besoin d'une véritable solidarité et d'un véritable partenariat, au nom des intérêts de toute l'Europe et de sa sécurité. Votre introduction très détaillée constitue une excellente base pour notre discussion, notamment sur la politique étrangère de l'Ukraine. Je souhaite aborder un certain nombre de points clés.
Le format dans lequel nous discutons de la libération du Donbass ne porte pas le nom de « Normandie » par hasard : c'est précisément le jour de la commémoration du Débarquement qu'a été prise la décision de travailler en commun pour assurer la paix et la stabilité en Europe. Pour ma part, j'ai été présent à toutes les réunions qui se sont tenues dans le format « Normandie », aux réunions ministérielles comme aux sommets. J'ai également participé à la préparation des accords de Minsk.
Le contenu de ces accords est assez clair et simple, mais il est très difficile à mettre en oeuvre pour l'une des parties, à savoir la Russie. Les accords de Minsk reposent sur une logique simple : tout d'abord, la désescalade, le retrait des armes et la stabilisation de la situation sécuritaire. Les institutions internationales, en l'espèce la mission d'observation de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), doivent être présentes sur le terrain afin de contrôler la réalité de ce retrait et de s'assurer que la frontière orientale – dont plus de 400 kilomètres échappent actuellement au contrôle des autorités ukrainiennes – n'est pas franchie par des troupes régulières russes, des mercenaires, des armes et des munitions. La communauté internationale doit aussi contribuer à garantir la sécurité des opérations électorales, avec la présence d'une mission de police de l'OSCE. C'est seulement dans ces conditions que l'on pourra parler d'élections libres et transparentes.
Or, ce que nous voyons aujourd'hui, c'est la présence, sur le territoire du Donbass, de troupes régulières russes – y compris de forces spéciales –, de mercenaires, d'environ 2 000 chars et véhicules blindés, ainsi que d'une grande quantité de pièces d'artillerie lourde et de mortiers. Toutes ces armes viennent de Russie.
Le Donbass représente seulement 3 % du territoire ukrainien, mais c'est une région très importante, où se trouvent plusieurs fleurons de notre industrie. La stratégie de la Russie consiste à déstabiliser le Donbass pour déstabiliser l'Ukraine et l'ensemble de la région. Nous cherchons aujourd'hui à revenir à une bonne compréhension du processus : il faut d'abord passer par une phase de désescalade, puis par la stabilisation du Donbass, avant d'en venir à sa reconstruction.
D'autre part, l'occupation de la Crimée continue. Au cours des derniers mois la situation s'est aggravée : on parle de dizaines de disparitions et de cas de torture ; les médias des Tatars de Crimée ont tous été interdits, même les sites internet pour enfant. Dans la mesure où nous n'avons plus accès à la péninsule, nous ne pouvons pas vraiment savoir ce qui s'y passe. Nous avons à plusieurs reprises demandé l'envoi d'une mission d'observation du Conseil de l'Europe ou de l'OSCE en Crimée, mais ces efforts n'ont pas abouti pour l'instant.
Pour résoudre la situation en Ukraine, il faut en revenir à une compréhension claire du fait qu'aucun pays au monde ne doit pouvoir violer les règles du droit international. Le monde a mis longtemps à établir ces règles, qui garantissent à chaque pays son indépendance, son intégrité territoriale et l'inviolabilité de ses frontières. À cet égard, nous sommes très reconnaissants à l'Union européenne et au G7 de leur aide et de la solidarité politique qu'ils nous ont manifestée, ainsi que pour la pression politique qu'ils exercent sur la Russie.
Notre objectif est non pas d'affaiblir ou de marginaliser la Russie, mais de faire en sorte qu'elle respecte les règles du droit international. Cela implique qu'elle retire ses troupes régulières et ses équipements militaires du Donbass, qu'elle cesse d'y envoyer des mercenaires et qu'elle mette fin à l'occupation de la Crimée. Les sanctions appliquées à la Russie sont en effet liées à la pleine mise en oeuvre des accords de Minsk. Encore une fois, la communauté internationale doit pouvoir contrôler ce qui se passe sur le territoire du Donbass. Il faut donc que la mission d'observation de l'OSCE y ait accès, jusqu'à la frontière orientale. Hier, au cours de la réunion des ministres des affaires étrangères du Partenariat oriental, j'ai présenté à mes collègues des images et des vidéos – dont je suis prêt à vous remettre une copie – montrant que cette frontière est franchie, la nuit, par des équipements militaires russes : des chars, des véhicules blindés, des pièces d'artillerie lourde. Du côté russe de la frontière sont massés 38 000 à 40 000 hommes, soldats des troupes régulières russes ou mercenaires, eux-mêmes majoritairement russes.
Pour que des élections normales se tiennent dans le Donbass, il faut que les partis politiques puissent y participer, que les médias puissent les couvrir, que les 1,5 million de personnes déplacées puissent exercer leur droit de voter ou d'être élues et que le scrutin se déroule sous le contrôle d'observateurs internationaux. Ces conditions semblent assez logiques, mais la Russie s'y oppose catégoriquement, car elle utilise la situation dans le Donbass pour déstabiliser l'Ukraine et l'ensemble de la région.
Un nouvel entretien téléphonique a eu lieu hier, tard dans la nuit, entre les chefs d'État et de gouvernement du format « Normandie ». Ils ont souligné que l'amélioration du contexte sécuritaire était indispensable, et sont convenus de discuter du déploiement d'une mission de police de l'OSCE sur le terrain, notamment pour garantir la sécurité des prochaines opérations électorales.
La nouvelle Ukraine – qui n'est plus l'Ukraine post-soviétique – aspire à une vie pleinement démocratique fondée sur les valeurs et les principes européens. Telle est la volonté des Ukrainiens eux-mêmes. Aujourd'hui, la progression de l'Ukraine vers l'Union européenne est devenue l'idée nationale. Nous travaillons très activement à la mise en oeuvre de l'accord d'association, qui fixe la feuille de route de nos réformes.
L'un des objectifs très importants de cet accord est l'introduction d'un régime sans visas. L'enjeu est non seulement la simplification de la délivrance des visas d'un point de vue technique, mais aussi la possibilité pour de très nombreux Ukrainiens d'enrichir leurs contacts interpersonnels dans les pays de l'Union européenne. À cet égard, nous mettons en oeuvre un important programme de réformes, que la Commission européenne a validé. Je peux commenter nos réalisations point par point : nous avons créé de nouvelles institutions de lutte contre la corruption, introduit des passeports biométriques, mis en place un nouveau système d'enregistrement, etc. En coopérant avec ses partenaires européens, l'Ukraine peut contribuer de manière significative au renforcement de la sécurité sur le continent.
Je suis persuadé que la zone de libre-échange entre l'Union européenne et l'Ukraine, entrée en vigueur le 1er janvier de cette année, offre d'excellentes perspectives pour les hommes d'affaires français en Ukraine. Je me souviens des succès enregistrés par les entreprises françaises dans les pays d'Europe centrale et orientale, notamment en Pologne. Je sais que nombre d'entre elles s'intéressent aujourd'hui à l'Ukraine, pour s'y développer ou y investir. De ce point de vue, le potentiel de l'Ukraine ne va faire que croître à l'avenir.
Nous avons encore beaucoup à faire en termes de réformes. En tant que ministre des affaires étrangères, je peux néanmoins vous dire que nous avons réalisé beaucoup plus de réformes au cours des deux dernières années qu'au cours des quelque vingt années précédentes de l'Ukraine post-soviétique. Toutes ces réformes visent à renforcer l'État de droit. La nouvelle police nationale ukrainienne travaille avec des méthodes très différentes. D'autres chantiers clés sont engagés, notamment la réforme du système judiciaire. La logique des réformes que nous essayons de mettre en oeuvre consiste à transposer la législation européenne dans le droit ukrainien et à construire des institutions efficaces et transparentes. Pour cela, nous avons besoin de l'aide de l'Union européenne. Nous avons évoqué tous ces sujets hier à Bruxelles.
Au cours des deux dernières années, nous avons été pleinement engagés dans la mise en oeuvre de notre vision de l'Ukraine, à savoir un pays uni, démocratique et européen. Aujourd'hui, le projet européen n'est pas concevable sans l'Ukraine. Ce que nous défendons en Ukraine, c'est non seulement l'avenir de notre pays, mais aussi la sécurité de l'Union européenne et l'avenir du projet européen.
Je suis ravi de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui et suis prêt à répondre en détail à toutes vos questions.