Intervention de Pavlo Klimkine

Réunion du 24 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Pavlo Klimkine, ministre des Affaires étrangères de la République d'Ukraine :

(Interprétation de l'ukrainien) Merci beaucoup pour toutes vos questions.

Nous n'avons rien contre la Russie en tant que telle, mais nous avons un problème avec le régime qui existe en Russie – et vous aussi, je suppose. Le problème, c'est que, dans ce pays, on érige des monuments à Staline et que les gens y déposent des fleurs, alors que ce dictateur a fait mourir des millions de gens dans les camps – le président russe lui-même honore sa mémoire. Le problème, c'est que la Russie a envoyé des troupes en Crimée et l'occupe. Le problème, c'est que la Russie a envoyé 2 000 chars, des troupes régulières et des mercenaires dans le Donbass. Le problème, c'est que la Russie a envoyé ses avions en Syrie et que ceux-ci bombardent non pas les terroristes, mais la population civile à Alep.

La décentralisation est un processus tout à fait nécessaire pour l'Ukraine dans son ensemble. Elle consiste à transférer davantage de responsabilités aux pouvoirs locaux. Le parlement ukrainien a déjà adopté, en 2014, un projet de loi sur les spécificités de l'autonomie locale dans le Donbass. Ce texte prévoit notamment que cette région peut mener sa propre politique économique et qu'on peut y utiliser la langue de son choix : l'ukrainien, le russe ou le grec – il y a, dans le Donbass, une minorité grecque, qui compte 50 000 personnes. Mais il ne faut pas confondre l'idée très positive de l'autonomie locale et de la décentralisation avec la fédéralisation que la Russie cherche à imposer. La Russie veut donner aux régions telles que le Donbass le droit d'intervenir dans les décisions qui concernent l'ensemble de l'Ukraine, ainsi que des compétences en matière de politique étrangère. Je pense que cela n'existe dans aucun pays européen. Nous ne permettrons pas la poursuite de la fragmentation de l'Ukraine. Nous avons dit clairement que cette loi relative à l'autonomie du Donbass entrerait en vigueur dès que s'y seront tenues des élections libres et honnêtes, organisées avec l'OSCE et sous contrôle international. Actuellement, la loi ne peut pas être appliquée car la région n'a pas de dirigeants légitimes. Les élections qui se sont tenues dans le Donbass en novembre 2014 – en réalité, une farce – n'ont été reconnues ni par l'Union européenne ni par l'Ukraine, et pas même, je le souligne, par la Russie.

L'amnistie est, elle aussi, nécessaire. Il y a eu par exemple un processus d'amnistie dans les Balkans, avec un mécanisme de réconciliation coordonné par la communauté internationale. Dès qu'il y aura des pouvoirs locaux légitimes et que le système judiciaire fonctionnera, nous pourrons commencer le processus d'amnistie. Mais l'amnistie doit-elle être accordée à tous, notamment à ceux qui ont abattu le Boeing de la Malaysia Airlines, ou encore à ceux qui ont bombardé la population civile, en connaissance de cause, à Marioupol, à Kramatorsk et dans d'autres localités ukrainiennes ? Il faut séparer ceux qui se sont trompés et ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité en connaissance de cause. C'est ce qui a été fait, avec succès, dans les Balkans.

La réforme constitutionnelle est, elle aussi, nécessaire, mais nous ne pouvons pas la voter aujourd'hui, car cela légitimerait ceux qui se trouvent actuellement au pouvoir dans le Donbass et y sont arrivés à la faveur d'une farce électorale. Cela figerait la situation actuelle, laissant le Donbass aux mains de structures mafieuses et créant un « trou noir » bien pire qu'en Transnistrie. La région serait alors source d'insécurité non seulement pour l'Ukraine, mais pour toute l'Europe.

Pour progresser sur le dossier du Donbass, c'est simple : il faut obtenir le retrait des troupes et des armes russes, donner l'accès aux inspecteurs de l'OSCE et organiser les élections. Dès que ces élections se seront tenues et que l'Ukraine aura rétabli son contrôle sur sa frontière orientale, on aura appliqué les accords de Minsk et les sanctions pourront être levées. Mais la Russie n'est pas de cet avis, car elle veut garder le Donbass sous son protectorat et disposer ainsi d'un levier sur l'Ukraine et sur l'Europe. Encore une fois, il faut distinguer la Russie en tant que telle et le régime actuellement en place en Russie.

S'agissant des réformes que nous avons engagées en Ukraine, en particulier dans le domaine de l'État de droit, j'ai déjà mentionné la mise en place de la nouvelle police, qui constitue, selon moi, un vrai succès. Quant à la nomination du nouveau procureur général, il faut l'apprécier dans le contexte plus large de la réforme du parquet général, que nous devons achever. Nous allons modifier en profondeur ses fonctions, en partie héritées de la période soviétique : le parquet général n'aura plus de pouvoir d'instruction, mais seulement un rôle de supervision. Il nous faut achever, parallèlement, la réforme du système judiciaire. Toutes ces réformes correspondant à des engagements que l'Ukraine a pris dans le cadre de l'accord d'association avec l'Union européenne.

J'en viens à la lutte contre la corruption. Nous avons créé un bureau national de lutte contre la corruption, qui bénéficie de l'aide technique de l'Union européenne et des États-Unis. Il a déjà mené plusieurs enquêtes, dont certaines ont abouti à l'ouverture de procédures judiciaires. Nous avons aussi créé une agence nationale de prévention de la corruption, qui est notamment chargée d'examiner les déclarations fiscales et les revenus des personnalités politiques. Ces deux institutions ont de réels pouvoirs et sont en mesure de détecter efficacement les actifs acquis illégalement. L'Union européenne a donné une évaluation positive des réformes que nous avons réalisées à ce stade et de celles que nous envisageons. Si vous le souhaitez, je peux vous fournir toutes les informations que j'ai présentées à ce sujet hier à Bruxelles au cours de la réunion des ministres du Partenariat oriental.

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