Intervention de Oleksii Gontcharenko

Réunion du 24 mai 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Oleksii Gontcharenko, coprésident du groupe d'amitié Ukraine-France à la Verkhovna Rada de l'Ukraine :

Je vous remercie, madame la présidente, de nous donner l'occasion d'échanger avec votre commission. Je suis coprésident du groupe d'amitié Ukraine-France à la Rada et secrétaire de la commission chargée des questions de décentralisation. Les sujets dont nous discutons aujourd'hui ayant un fort contenu émotionnel et ma maîtrise du français n'étant pas parfaite, je vais m'exprimer en ukrainien.

(Interprétation de l'ukrainien) En tant que parlementaire, M. Mariani a naturellement le droit de se rendre en Crimée occupée et d'y inviter d'autres députés français. Cependant, que se passe-t-il en Crimée ? D'après Transparency international, Amnesty international et Reporters sans frontières – ce n'est donc pas mon appréciation personnelle, ni celle de l'Ukraine –, les Tatars de Crimée et les personnes considérées comme pro-ukrainiennes sont réprimées ; le majlis – assemblée représentative – des Tatars de Crimée a été qualifié d'organisation terroriste et interdit ; des dizaines de personnes ont été arrêtées ; d'autres, portées disparues, sont en réalité enfermées entre les murs du FSB – Service fédéral de sécurité russe. Dans un tel contexte, aller en Crimée est une erreur. Bien sûr, M. Mariani a le droit de faire ce que bon lui semble. Pour ma part, j'ai le droit de dire ce que j'en pense.

La décentralisation de l'Ukraine est non pas un projet pour l'avenir, mais un processus en cours. Depuis le 1er janvier 2015, nous avons réalisé la décentralisation financière et fiscale. Les pouvoirs locaux ont reçu plus de 1,5 milliard d'euros à ce titre. Si la Crimée et le Donbass n'étaient pas occupés par la Russie, elles pourraient profiter de ces moyens. Nous allons poursuivre ce processus de décentralisation, qui est d'une grande importance pour un pays de la taille de l'Ukraine. Je tiens à remercier la France pour l'aide qu'elle nous apporte en la matière.

Quant au fossé entre la Russie et l'Ukraine, qui l'a créé ? Dans notre conversation nous avons oublié une chose : aucun soldat ukrainien n'a traversé la frontière de la Fédération de Russie ; il n'y a de militaires ukrainiens dans aucun village ou ville russe, tandis que deux régions ukrainiennes sont physiquement occupées, l'une en totalité – la Crimée –, l'autre partiellement – le Donbass. Il n'est pas facile de prouver qu'il y a des troupes régulières russes dans le Donbass, mais, en Crimée, c'est une évidence : il s'agit d'une occupation pure et simple. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, c'est la première fois en Europe qu'un pays en attaque un autre et occupe une partie de son territoire.

Croyez-vous donc au prétendu référendum organisé en Crimée, qui n'a été reconnu ni par l'ONU, ni par aucune autre organisation internationale ? Avez-vous oublié à quel point la rhétorique de Poutine à propos de la Crimée ressemble à celle de Hitler concernant l'Autriche ou l'Alsace-Lorraine ? Il s'est agi d'une une violation brutale du droit international. Bien sûr, l'Ukraine n'est pas pays parfait, et nous avons beaucoup de problèmes. Mais est-ce une raison pour s'introduire sur notre territoire, en occuper une partie et tuer des Ukrainiens ? Si votre voisin se conduit mal, allez-vous entrer dans son appartement, le tuer et vous emparer d'une partie de son appartement et de ses biens ?

L'adoption de la résolution évoquée précédemment par une partie des députés de votre assemblée a été un épisode très douloureux pour nous. Bien sûr, c'était votre droit. Mais je rappelle que des valeurs fondamentales sont en jeu : on ne peut pas accepter qu'un pays occupe le territoire d'un autre.

Nous sommes tout à fait favorables à la mise en oeuvre des accords de Minsk, mais, comme vous le savez, il y a un ordre de priorité entre les points de ces accords, et le premier d'entre eux est le cessez-le-feu. Or, depuis le début de l'année, on a dénombré plus de 6 000 violations du cessez-le-feu dans le Donbass. Au cours de la seule journée de lundi, sept soldats et officiers ukrainiens ont été tués par des militaires ou mercenaires russes. Est-ce là le cessez-le-feu ? Est-ce là l'arrêt des violences ? En outre, de quelles élections peut-on parler dans ce contexte ? Nous voulons plus que tous organiser des élections dans le Donbass, car nous avons besoin de représentants légitimes dans cette partie de l'Ukraine. Mais pouvez-vous imaginer des élections dans un endroit où circulent des chars, où l'on tire au lance-roquettes et où il y a des morts tous les jours sans exception ?

Nous avons un profond respect pour la République française et pour l'Assemblée nationale. Nous sommes reconnaissants à la France de son soutien, des positions qu'elle a prises et du rôle qu'elle joue au sein du format « Normandie ». La France n'est pas un pays ordinaire : c'est un pays très important pour l'Ukraine et pour le monde entier. Beaucoup de choses dépendent de sa position, notamment des signaux qu'envoie l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je vous prie d'être très attentifs lorsque l'on vous soumet un projet de résolution, un texte ou une idée : demandez-vous ce qu'il y a derrière et à quoi cela peut mener.

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