Intervention de Valérie Boyer

Réunion du 8 juin 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Boyer, rapporteure :

Je remercie votre Commission de m'accueillir en son sein pour l'examen de cette proposition de loi qui, comme celle que j'ai déjà eu l'honneur de défendre devant vous à la fin de l'année dernière, concerne le respect de la dignité humaine.

La proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse forme naturellement un tout avec la proposition de loi constitutionnelle que vient de présenter M. Philippe Gosselin. Comme cette dernière, elle devrait nous rassembler bien au-delà des clivages partisans : quand il s'agit de dignité humaine, on ne saurait en effet être de droite ou de gauche.

Les auditions que nous avons menées m'ont confortée dans la conviction que l'opposition à la gestation pour autrui – préférons l'expression de « grossesse pour autrui », et évitons l'emploi d'un mot appartenant au lexique vétérinaire – était un sujet qui devait rassembler tous ceux qui portent une même vision de l'homme et de l'éthique.

Cette proposition de loi entend protéger des principes et des valeurs que nous avons en partage, à savoir le respect de la dignité de la personne, la garantie de l'indisponibilité du corps humain face aux tentatives d'aliénation et de marchandisation, la protection des femmes et des enfants contre toute forme d'exploitation et, in fine, la préservation de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui passe avant tout par le fait de ne pas être cédé comme une vulgaire marchandise. Elle n'a du reste qu'une ambition : concrétiser les engagements pris par nombre de nos collègues de la majorité et par le Gouvernement en matière d'interdiction de recours à la procréation pour autrui, pratique contraire aux principes essentiels de notre droit.

En effet, depuis les deux arrêts du 26 juin 2014 rendus par la CEDH, dans les affaires Mennesson et Labassee contre France, notre politique de prohibition de la GPA est plus fragilisée que jamais, et nous sommes aujourd'hui face à l'alternative suivante : soit nous admettons qu'elle existe et nous nous soumettons à la volonté d'autres pays ou de certains lobbys qui défendent cette pratique, soit nous jouons notre rôle de législateur, nous croyons en la politique, en ce qu'elle a de plus noble, et nous travaillons à renforcer notre droit pour empêcher ce trafic d'êtres humains.

La grossesse pour autrui ou la procréation pour autrui consiste pour un couple à conclure ce que l'on appelle une convention, mais qui est en réalité un contrat de cession, avec une femme, afin qu'elle porte un enfant qu'elle s'engage à abandonner au terme de sa grossesse. Bien souvent d'ailleurs, le contrat stipule que l'accouchement aura lieu par césarienne afin que la mère porteuse ne voie pas l'enfant et que celui-ci soit livré « tout beau, tout propre » aux parents acquéreurs.

Les progrès des techniques d'assistance médicale à la procréation ont permis une dissociation de la maternité gestationnelle et de la maternité génétique, rendant possible le transfert à la mère dite « porteuse » d'un embryon issu des gamètes des deux parents d'intention, de l'un d'entre eux et de celles d'un tiers ou encore de deux donneurs : cinq personnes peuvent ainsi être impliquées dans la venue au monde de cet enfant si cher – dans tous les sens du terme – et tant attendu. Bref, en autorisant la GPA, nous consacrons la maternité éclatée.

Pourtant, cette pratique est interdite en France depuis un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation de 1991, dont la solution, qui s'appuie sur le respect des principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, a été inscrite dans le code civil par le législateur en 1994.

La grossesse pour autrui doit demeurer interdite pour plusieurs raisons, au premier rang desquels les risques physiques et psychologiques qu'elle fait courir à la mère porteuse. On ne peut en effet minimiser les risques pris par une femme qui va porter un enfant pour autrui. Si la grossesse n'est pas une maladie, ce n'est pas non plus une aventure anodine, et elle a des conséquences qu'il ne faut pas négliger. Il serait à ce propos intéressant de disposer d'études sérieuses sur l'état des mères qui portent un enfant pour autrui ; or il n'en existe aucune à ce jour.

Parmi les autres raisons qui doivent nous pousser à prohiber cette pratique figurent ensuite l'aliénation et la marchandisation du corps qu'elle représente, l'impossibilité d'inscrire cette pratique dans un cadre interdisant toute dérive. Je m'attarderai ici sur la notion de GPA éthique ou altruiste : pour reprendre l'expression d'une de nos collègues, ce n'est rien moins qu'une illusion « pathétique », car cela n'existe pas, et l'on parle toujours à travers cette expression de la chair et du sang de la femme qui porte l'enfant, semblant considérer, au mépris de ce qu'est réellement la nature humaine, la grossesse comme un état banal.

Je songe enfin au risque de survalorisation de la transmission génétique par rapport à d'autres formes de parentalité. Avec l'essor de la demande d'« un enfant génétiquement de soi », pour reprendre les termes du professeur René Frydman, avec la promotion de la GPA, nous assistons à une sorte de triomphe du père et à l'introduction à bas bruit du droit du sang dans nos pratiques et dans notre droit.

Contrairement à ce que certains peuvent penser, la GPA n'a absolument rien d'altruiste : elle consacre au contraire le triomphe du désir individuel sur le bien d'autrui, à commencer par le bien de l'enfant porté et celui de la mère porteuse. Que celle-ci soit consentante ou non – on pourrait d'ailleurs s'interroger sur la manière dont on recueille son consentement –, son corps n'en est pas moins réduit à l'état de bien meuble, tout comme le fruit de sa gestation, avec tous les risques médicaux que cela comporte.

On retrouve ici la définition inscrite à l'article 1er de la convention de 1926 relative à l'esclavage : « L'esclavage est l'état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux. » En effet, avec la GPA, l'enfant devient un produit, mis au monde sur commande. En défendant aujourd'hui la GPA, au nom du progrès ou, comme nous l'ont dit certains, de l'amélioration de la fertilité – un comble ! –, on fait régresser notre pays de près de deux siècles : cela revient à décréter que l'humain est une chose et que l'enfant fait l'objet d'un droit de propriété.

Avec la GPA, nous avons affaire à une adoption illégale, incluant commande, fabrication, traite et vente d'enfant. Or n'est-ce pas le premier droit de l'enfant que de ne pas être une marchandise, de ne pas être cédé ?

Pourtant, cette pratique fait l'objet d'un large consensus dans notre pays, d'autant plus large que l'effectivité de sa prohibition française est menacée ; et elle l'est doublement.

Premièrement, le non-respect de l'interdiction de recourir à la GPA est insuffisamment réprimé. Notre politique pénale en la matière sanctionne principalement les intermédiaires : en dehors des délits d'entremise en vue d'une adoption ou d'une gestation pour autrui, de provocation à l'abandon d'enfant et de supposition d'enfant, aucune infraction ne permet d'incriminer spécifiquement la présentation de cette pratique sous un jour favorable – au sens juridique de la formule – ou le fait d'entreprendre des démarches en vue d'une GPA. En outre, les sanctions notoirement faibles encourues pour les délits existants sont rarement mises en oeuvre, compte tenu des règles de territorialité de la loi pénale française.

Deuxièmement, la CEDH, en condamnant la France, a exigé que notre pays transcrive à l'état civil français des actes de naissance établis à l'étranger en vertu d'une convention de gestation pour autrui, au motif – à mon sens fallacieux – que le refus de transcription porterait atteinte au droit des enfants au respect de leur vie privée, dont relèvent les droits à la reconnaissance de l'identité et à l'établissement de la filiation.

Ces arrêts, qui ont mis un terme à la jurisprudence dissuasive de la Cour de cassation, sont contestables et doivent être contestés. Car les enfants nés d'une GPA peuvent vivre normalement en France, hériter de leurs parents et acquérir la nationalité française. Vous n'ignorez pas, en effet, qu'ils deviennent français au bout de cinq ans de scolarisation en France. Ce ne sont donc pas eux qui sont gênés dans leur vie privée, mais leurs parents. Je ne vois pas en quoi cela leur porterait atteinte. Le Gouvernement français aurait dû contester ces arrêts devant la grande chambre de la CEDH au moment où ils ont été rendus. Il ne l'a pas fait ; je le regrette vivement, pour des raisons de fond, mais aussi parce que cela aurait montré à la France et au monde que nous ne sommes pas d'accord avec la GPA et que nous le manifestons par des actes concrets au lieu de nous contenter de paroles.

Aujourd'hui, le législateur a l'ardente obligation d'intervenir pour garantir l'effectivité de la prohibition en droit français des grossesses pour autrui. Tel est l'objet de la présente proposition de loi, qui vise à agir à trois niveaux.

En matière pénale, d'abord, les articles 1er et 2 créent de nouvelles incriminations permettant de sanctionner plus sévèrement la GPA, en particulier le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la naissance d'un enfant par le recours à une mère porteuse, la provocation à la gestation pour autrui et la présentation de cette pratique sous un jour favorable. Il s'agit également d'étendre le champ d'application de la loi pénale française en cette matière, en supprimant la double exigence de réciprocité d'incrimination et de dénonciation officielle par l'État dans lequel les faits ont été commis, à laquelle est subordonnée la poursuite des délits commis par un Français à l'étranger.

J'insiste sur ces articles en raison des enjeux financiers de cette pratique : la fabrication et la vente d'enfants sont aujourd'hui un business international.

En matière civile, ensuite, l'article 3 permet au législateur de se prononcer sur cette délicate question de sorte que la CEDH, constatant que le droit français ne prive pas les enfants nés d'une GPA du droit à une vie privée normale, reconsidère sa position. Cet article tend en effet à maintenir la présomption de bonne foi dont bénéficient en France les actes d'état civil étrangers régulièrement établis, traduits et authentifiés. Cette règle permet aux enfants concernés de vivre dans notre pays comme n'importe quel autre enfant. En revanche, je vous inviterai à inscrire dans notre droit le refus de transcription des actes étrangers établis en vertu d'une convention de gestation pour autrui.

Au niveau international, enfin, aux termes de l'article 4, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les perspectives d'adoption d'une convention internationale interdisant la gestation et la procréation pour autrui, dans le prolongement des conventions existantes sur la traite des êtres humains et la vente d'enfants.

Je vous proposerai de compléter le texte par trois dispositions.

Premièrement, le Gouvernement devrait également remettre au Parlement un rapport sur les raisons pour lesquelles il n'a pas interjeté appel des deux arrêts de la CEDH et sur ses intentions de maintenir l'effectivité de la prohibition française.

Deuxièmement, je souhaite étendre l'extraterritorialité de la loi pénale française à l'ensemble des atteintes à la filiation, et non aux seules infractions créées par la proposition de loi.

Troisièmement, il convient de sanctionner pénalement la vente d'enfants, qui ne fait l'objet dans notre pays d'aucune incrimination spécifique, comme l'a fait observer le comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations unies (ONU).

Ainsi que M. Philippe Gosselin l'a rappelé, nous avons un droit original de la bioéthique que nous devons à la volonté de notre ancien Président de la République ; l'exception française qu'est l'existence d'un Comité national d'éthique devrait servir d'exemple aux autres pays. Ce sont les lois de bioéthique qui ont conduit à la convention d'Oviedo, que la France a ratifiée et dont de nombreux États se sont inspirés. Nous avons un devoir de cohérence. Aucun d'entre nous ne veut d'une société où tout s'achète et où tout se vend, où la marchandisation triomphe. L'histoire nous oblige, notre héritage nous oblige : c'est un rendez-vous que nous ne devons pas manquer. Nous ne devons pas participer à la fabrication et au trafic d'êtres humains, qui rapportent des milliards et dans lesquels les femmes sont la matière première et les enfants des objets convoités. Ne soyons pas complices de cette production infinie ; ne réduisons pas le corps humain, la personne humaine à une simple marchandise ; inscrivons ce refus dans la loi. Tel est le sens de la proposition de loi que M. Philippe Gosselin et moi-même avons déposée. J'espère que le débat et l'adoption de nos amendements permettront de répondre aux attentes de ces femmes considérées comme des marchandises et de ces enfants que l'on a fabriqués pour les céder.

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