Merci, monsieur le président, de m'accueillir au sein de votre Commission.
La présente proposition de loi vise à faciliter l'une des missions statutaires de la Croix-Rouge : le rétablissement des liens familiaux. Celle-ci est consacrée par les conventions de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels.
Cette mission recouvre quatre activités : la recherche des membres de la famille ; l'appui à la démarche de réunification familiale lorsque la Croix-Rouge a retrouvé les proches ; la transmission de nouvelles entre les membres de la famille lorsque tous les autres moyens de communication sont bloqués ou inaccessibles ; la délivrance de certains documents – pièces d'état civil, certificats, attestations – par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), pour faire valoir un droit, ou par les États.
Pour permettre à la Croix-Rouge française de retrouver plus facilement une personne recherchée dans le cadre de sa mission de rétablissement des liens familiaux, cette proposition de loi vise à lui accorder des dérogations ciblées afin qu'elle obtienne des administrations françaises, entendues au sens large, communication de documents administratifs comprenant des données à caractère nominatif susceptibles d'aider à retrouver la personne.
Ce texte résulte d'un travail de longue haleine : la Croix-Rouge m'a fait part de ses problèmes il y a deux ans, dans le cadre des travaux que j'ai menés en tant que rapporteure de la commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif. Je suis très heureuse qu'il soit désormais inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée, d'autant que nous avons tous été sollicités récemment à l'occasion des journées nationales de la Croix-Rouge.
Comme vous le savez, la Croix-Rouge française est la première association dans notre pays, tant par la diversité de ses interventions dans le domaine de l'action sociale, médico-sociale, sanitaire et humanitaire, en France et à l'étranger, que par la densité de son maillage territorial – 910 délégations locales et 50 000 bénévoles – et de son réseau international – quelque 190 autres sociétés nationales.
L'objectif de cette proposition de loi est simple : aider des familles installées en France ou à l'étranger à retrouver, par l'intermédiaire du Mouvement international de la Croix-Rouge, des proches dont elles ont été séparées dans des situations violentes et traumatiques – guerres, conflits armés, attentats, catastrophes naturelles ou humanitaires.
Sont exclues, bien évidemment, les recherches de personnes disparues dans des conditions suspectes, les recherches généalogiques ou celles qui résultent d'une procédure d'adoption, pour lesquelles les services de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge ne sont pas compétents.
Si la demande de recherche d'un membre de la famille émane d'une personne installée à l'étranger, celle-ci doit s'adresser à sa société nationale de Croix-Rouge, qui formule ensuite une « demande entrante » auprès de la Croix-Rouge française si elle dispose d'indices laissant penser que cette personne est en France. Si la demande est formulée par une personne installée en France auprès de la Croix-Rouge française pour retrouver un proche disparu dans un autre pays, on parle de « demande sortante » : l'objectif est alors de mobiliser le réseau du Mouvement international de la Croix-Rouge pour retrouver la personne recherchée là où elle se trouve.
Dans une délibération n° 2012-161 du 24 mai 2012, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a autorisé la Croix-Rouge française à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité le rétablissement des liens familiaux. La CNIL a en effet considéré la finalité poursuivie comme déterminée, explicite et légitime. Dans cette délibération, elle a précisé que les données peuvent être collectées au moyen d'un formulaire de demande de recherche, établi par le CICR et utilisé par l'ensemble du réseau du Mouvement international de la Croix-Rouge française.
Le 21 juin 2014, à l'occasion du 150e anniversaire de la Croix-Rouge française, le Président de la République a réaffirmé le rôle d'auxiliaire des pouvoirs publics de la Croix-Rouge française et s'est engagé à faciliter son action, notamment dans le cadre de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.
La présente proposition de loi répond donc à cet engagement présidentiel en permettant désormais explicitement à la Croix-Rouge : d'obtenir communication de certains documents ou données à caractère personnel qui ne sont en principe communicables qu'à l'intéressé, auprès des administrations de l'État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes assurant la gestion des prestations familiales ; de demander directement aux officiers d'état civil dépositaires des actes les copies intégrales et d'extraits d'actes d'état civil des personnes recherchées ; de saisir le représentant de l'État afin de vérifier l'inscription d'une personne sur les listes électorales et, le cas échéant, de prendre communication des données relatives à cette personne.
La proposition de loi précise également les conditions dans lesquelles un tiers peut être informé du sort de la personne recherchée. Si elle est vivante, les informations relatives à cette personne ne peuvent être communiquées qu'avec son consentement écrit ; si elle est décédée, la Croix-Rouge française indique le décès et, le cas échéant, le lieu de sépulture, aux tiers qui les lui demandent.
Il me semble que cette courte proposition de loi devrait faciliter grandement l'action de la Croix-Rouge française en améliorant le taux de succès des demandes de rétablissement des liens familiaux.
Elle me paraît d'autant plus nécessaire que, depuis deux ans, la Croix-Rouge française constate qu'un nombre croissant de personnes ont dû quitter leur pays pour des raisons humanitaires et se sont trouvées séparées violemment de leur famille. Les zones sensibles sont connues : Syrie, Ukraine, République démocratique du Congo, Guinée, etc. C'est ainsi que le service de la Croix-Rouge française a enregistré 200 demandes nouvelles de rétablissement des liens familiaux entre les mois de janvier et d'avril 2015, et 299 demandes nouvelles sur la même période en 2016.
Faciliter la mission statutaire de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge française auprès de nos administrations centrales et territoriales devient désormais impérieux.
D'autres États se sont engagés dans cette voie depuis longtemps déjà : l'Allemagne a actualisé la loi favorisant la mission de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge allemande en 2001 ; la Grande-Bretagne l'a fait en 2007, de même que la Belgique depuis bientôt dix ans. À titre d'exemple, en Belgique, un accord avec les autorités centrales a été signé afin de permettre aux officiers de recherche de la Croix-Rouge belge d'avoir un accès direct au fichier national d'état civil et au fichier d'hébergement des personnes vulnérables.
Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi, sous réserve de quelques amendements rédactionnels et d'un seul amendement de fond que je vous proposerai, destiné à permettre à la Croix-Rouge française de saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) en cas de refus ou de silence de la part de l'administration, afin de donner toute son effectivité à ce texte.