Intervention de Jean-Marc Bournigal

Réunion du 8 juin 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Marc Bournigal, président du conseil d'administration de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture :

Oui, Madame la présidente. Dans la mesure où nous nous occupons des ouvrages, les risques de submersion font partie des sujets sur lesquels nous travaillons. L'institut est d'ailleurs chargé, depuis l'épisode de la tempête Xynthia, des digues et des protections maritimes.

S'agissant des moyens de l'IRSTEA, son budget est de 115 millions, dont un peu plus de 80 millions sont issus d'une dotation de l'État qui provient du ministère de l'enseignement et de la recherche et du ministère de l'agriculture. Ce budget est cependant consommé à hauteur de 93 % par la masse salariale de l'institut, de sorte qu'il nous reste très peu de moyens pour le faire fonctionner. Quant à ses ressources propres, elles ont, c'est vrai, toujours été assez élevées, mais elles sont liées à son rôle particulier d'appui des politiques publiques. En effet, 85 % de ces ressources sont d'origine publique : agences, collectivités territoriales, État. De fait, il est difficile de penser qu'il existe un marché opérationnel dans des domaines tels que les risques naturels ou le développement des territoires.

La situation est assez préoccupante. Les EPST reçoivent une dotation de l'État qui couvre leurs frais de fonctionnement et les salaires des fonctionnaires qu'ils emploient. Pour le reste, nous travaillons au coût marginal. Alors que les plateformes technologiques que nous faisons fonctionner sont de plus en plus coûteuses et les sollicitations de plus en plus nombreuses, nous devons faire face à une limitation des moyens qui commence à être très difficile à gérer.

Par ailleurs, nous sommes évidemment soumis, en tant qu'EPST, à l'évaluation du HCERS, qui a succédé à l'AERS. L'Institut a pour spécificité d'être structuré en douze thèmes de recherche. Les évaluations – la dernière a eu lieu il y a quatre ans et la prochaine interviendra en 2017 – portent donc sur l'ensemble de nos collectifs de recherche et sur l'établissement en tant que tel ; les dernières ont été bonnes, voire très bonnes. Je précise qu'à l'instar d'autres établissements qui ont pour vocation la recherche et l'expertise, nous avons défini avec l'AERS et le HCERS une grille d'analyse particulière. Ainsi l'évaluation de nos collectifs porte-t-elle non seulement sur la recherche pure, avec les publications de rang A, mais aussi sur les études que nous menons pour le compte de l'État et sur l'expertise que nous sommes amenés à produire pour ses services. Je précise que les dernières orientations ont été reprises, sur la base des critères d'évaluation de l'AERS, dans le contrat d'objectifs conclu avec l'État qui prendra fin en 2018.

L'IRSTEA n'existe que depuis quatre à cinq ans, mais il a succédé au Centre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF), qui avait préalablement fêté ses trente ans. Il est donc inscrit dans le paysage de la recherche depuis quelque temps. Son positionnement est spécifique : nous intervenons, non pas sur l'exploitation agricole et son fonctionnement, mais à sa périphérie, qu'il s'agisse de la gestion des territoires ou du domaine technologique. Dans ce cadre, nous collaborons avec l'ensemble des organismes qui constituent notre environnement. L'institut comprend ainsi des unités mixtes dans lesquelles nous sommes associés avec le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'Institut recherche développement (IRD), l'INRA, le CNRS et les universités, et nous coopérons étroitement avec les organismes qui interviennent dans des champs complémentaires des nôtres, que ce soit l'INRA ou des instituts rattachés au CNRS : l'Institut écologie et environnement (InEE) dans le domaine de l'écologie et l'Institut national pour les sciences de l'univers (INSU) pour certains phénomènes naturels. J'ajoute que, depuis l'adoption de la loi sur l'enseignement et la recherche, nous avons fait évoluer l'ensemble de nos centres pour inscrire nos recherches dans la logique de polarisation régionale mise en oeuvre dans le cadre des politiques de site.

Par ailleurs, nous sommes très attentifs à la compétitivité de l'agriculture française. C'est du reste ce qui ressort, me semble-t-il, du rapport « Agriculture et innovation 2025 », à la rédaction duquel j'ai eu le plaisir de participer. Notre approche est, certes, surtout technologique puisque, encore une fois, nous n'intervenons pas dans le domaine agronomique ni dans l'évolution des pratiques culturales. Mais je reste convaincu que la technologie contribuera à améliorer la vie des agriculteurs et, surtout, leur permettra d'appréhender un nombre beaucoup plus important de paramètres et de critères, dans un contexte où cela est rendu nécessaire pour limiter l'utilisation des intrants, faire face à la volatilité économique des prix, à la gestion des crises sanitaires ou à l'adaptation au changement climatique.

Ainsi des outils d'aide à la décision reliés à des capteurs au sol, embarqués sur le matériel agricole ou sur des drones, et à l'imagerie satellitaire permettront de réaliser des mesures extrêmement fines. Couplés à un agro-équipement qui intervient de manière de plus en plus autonome pour délivrer la bonne dose au bon endroit, ces outils amélioreront la réactivité des systèmes agricoles et les rendront plus facilement gérables par des agriculteurs seuls.

C'est sur cette agriculture de haute précision que nous misons. Je précise que celle-ci ne prédétermine pas les modèles agricoles : la technologie numérique et la robotique appliquées à l'agriculture biologique peuvent être extrêmement utiles. Moins on utilise d'intrants et de produits phytosanitaires, plus l'intervention humaine est nécessaire, et plus ce type de technologies pourra être utile.

En tout état de cause, la numérisation est en marche : aujourd'hui, 46 % des tracteurs utilisent déjà des bases GPS, ce qui signifie qu'ils commencent à enregistrer des données de culture. Certes, les difficultés d'accès à une connexion de haut débit peuvent poser problème, mais des plans de développement existent dans ce domaine, qu'il s'agisse d'adapter le réseau filaire ou de faciliter l'accès à des satellites à des coûts compétitifs. La numérisation des campagnes demeure néanmoins un défi, car elle nécessitera de développer un réseau adapté, même si les objets connectés ne réclament pas le même type d'équipement puisque, dans ce cas, des réseaux à basse fréquence suffisent.

Comment mieux diffuser l'information ? C'est la question à laquelle nous avons tenté de répondre en proposant, dans le rapport « Agriculture et innovation 2025 », la création de champs d'expérimentation nouveaux dans le cadre de « Living lab » – qui est une marque déposée. Il s'agit, pour un territoire donné, d'identifier des groupes d'agriculteurs et le type d'innovations, technologiques ou organisationnelles – car le traitement de la pollution diffuse, la gestion de l'eau ou de la biodiversité nécessiteront de nouveaux modes d'organisation – que l'on souhaite développer, et d'étudier les conditions de diffusion et d'acceptabilité de ces innovations par le monde agricole mais aussi par la société, car il faudra démontrer leur intérêt en termes de rapport coût-bénéfices. Ces « Living lab » comprendraient donc également des acteurs externes : collectivités territoriales, écoles... Le projet a été retenu par le Gouvernement et devrait permettre, dans des territoires un peu plus étendus, de diffuser les innovations d'une nouvelle façon en impliquant dès le départ la société dans leur conception et leur développement.

J'en viens à la question des pesticides. Notre établissement n'intervenant pas sur les molécules elles-mêmes, je suis mal placé pour vous dire s'il était ou non opportun d'interdire les néonicotinoïdes ou le diméthoate. Peut-être est-il encore nécessaire d'utiliser un certain nombre de produits. Quoi qu'il en soit, les autres technologies – qu'il s'agisse de la génétique ou du bio-contrôle, c'est-à-dire la recherche de systèmes alternatifs aux pesticides – méritent une mobilisation extrêmement forte car ils sont porteurs d'avenir si nous voulons renoncer à toute une série de molécules de synthèse. L'évolution des pratiques agricoles elles-mêmes peut également jouer un rôle dans ce domaine, car on s'est aperçu que la rotation culturale permettait de diminuer l'utilisation de ces produits. Toutefois, nous intervenons plutôt sur la technologie elle-même, de façon à limiter quantitativement l'utilisation de ces produits et l'impact négatif de leur diffusion sur l'environnement.

Pourquoi ces technologies ne se diffusent-elles pas plus rapidement ? N'oublions pas que nous parlons de centaines de milliers d'agriculteurs, qui ont tous des parcs de plusieurs tracteurs, épandeurs, pulvérisateurs. Accompagner le changement prend toujours du temps, à moins que l'on ne mène des politiques plus déterminées, en interdisant certains produits ou en distribuant des primes à la casse. Mais c'est à l'État de mener ces réflexions. Quoi qu'il en soit, les technologies s'améliorent progressivement et permettent une meilleure utilisation des produits.

Par ailleurs, nous avons investi, depuis un certain temps déjà, dans la robotique, notamment dans le déplacement en milieu naturel. En effet, nous pensons que l'introduction des robots peut marquer une rupture technologique importante. Actuellement, nous disposons d'un modèle unique – le tracteur et son outil – car, jusqu'à récemment, la seule source d'énergie disponible était le moteur à explosion. Mais l'augmentation des capacités de stockage énergétique et l'avènement de moteurs électriques performants, liés aux avancées de la robotique elle-même, nous permettront de développer des outils nouveaux, au moins pour les grandes cultures. De fait, la robotique est déjà très présente dans le secteur de l'élevage, puisque la moitié des installations sont équipées de robots de traite. On voit également apparaître, dans le secteur du maraîchage, les premiers robots qui binent. Très rapidement, ces robots seront beaucoup plus autonomes et, couplés à des drones, ils seront capables d'assurer des interventions et de la surveillance. Si nous sommes capables de créer les pôles adaptés, nous estimons qu'il est possible de commercialiser d'ici à dix ans cinq types de robots. Ce domaine suscite, du reste, l'intérêt des acteurs économiques et agricoles, comme en témoigne l'implantation d'un agro-technopôle dédié à la robotique aux environs de Clermont-Ferrand.

M. Martial Saddier m'a interrogé sur le préjudice écologique tel qu'il figure dans le projet de loi sur la biodiversité. C'est, à mon sens, un véritable sujet de réflexion. Je l'envisagerais plutôt sous l'angle de la recherche. De ce point de vue, plus que la question du préjudice écologique, c'est celle de sa réparation qui se pose. La restauration des milieux est en effet complexe et très coûteuse et elle soulève de véritables questions car, dès lors que l'ensemble du paysage a été modifié par l'activité humaine, il est difficile de déterminer le milieu originel qu'il s'agit de restaurer. En outre, l'ingénierie écologique, que nous développons notamment avec le CNRS, en est à ses balbutiements.

J'en viens enfin à notre participation au portail numérique. Aujourd'hui, nous sommes capables de développer, à partir du Big data, des outils d'aide à la décision qui modélisent les différents types de culture en tenant compte des paramètres correspondants et qui permettent de conseiller les agriculteurs pour optimiser la production. Il est vrai que le véritable enjeu, dans ce domaine, est celui de l'accélération du développement de ces outils numériques qui accompagneront la transition agro-écologique et énergétique. L'idée d'un portail est née du constat que ce ne sont pas les données, en elles-mêmes, qui génèrent la valeur, mais leur partage. Actuellement, il n'existe pas d'acteurs dominants au niveau mondial dans ce secteur, même si quelques très grandes sociétés, Monsanto ou Google, commencent à y investir. L'objectif est donc de focaliser sur le secteur agricole notre écosystème, très actif, dans le domaine du numérique pour servir le développement de notre agriculture et faire émerger des acteurs français. En résumé, ce portail numérique vise à créer un écosystème ouvert d'innovation au service de l'agriculture et de l'environnement.

Je vais maintenant laisser la parole à Pierrick Givone, qui répondra aux questions de Mme Valérie Lacroute et M. Yves Albarello sur les inondations en Seine-et-Marne et sur les infrastructures, qui mobilisent beaucoup nos chercheurs actuellement.

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