Intervention de Karima Delli

Réunion du 18 mai 2016 à 14h15
Commission des affaires européennes

Karima Delli, membre de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen :

Nous sommes au coeur d'un débat difficile, mais qui permettra aussi de faire avancer le projet européen. Tout d'abord, la réalité des travailleurs détachés en France et en Europe n'est pas celle que certains voudraient dépeindre.

Avant tout, il s'agit bien d'une directive qui protège les travailleurs, en leur assurant la continuité de leurs droits sociaux. Les Français qui partent pour une mission d'un mois dans un pays d'Europe centrale, par exemple, restent ainsi payés et couverts comme s'ils travaillaient en France, donc sans changer de système de sécurité sociale. Quant au travailleur polonais, allemand ou grec détaché en France, c'est grâce à la directive qu'il a le droit au SMIC, au même régime de durée du travail, aux mêmes conditions que tous les autres salariés français.

Pour autant, il ne faut pas nier que la directive de 1996 est trop souvent détournée. On estime à 300 000 le nombre de faux détachés en France. Ces travailleurs, non déclarés, sont exploités par des employeurs qui ne respectent pas les règles et se dissimulent derrière des sociétés de sous-traitance ou des sociétés « boîtes aux lettres », pour tailler dans les salaires ou la couverture sociale des salariés. Il faut bel et bien lutter contre ces employeurs véreux qui abusent du système pour pratiquer l'esclavage moderne, comme on l'a vu dans ma circonscription sur le chantier de l'EPR de Flamanville, conduit par Bouygues avec des centaines de travailleurs qui n'étaient pas payés de manière régulière.

Je voudrais également tordre le cou à l'idée que les travailleurs détachés prennent la place de travailleurs au chômage. Il faut le répéter sans cesse : c'est une idée fausse, relayée par certains discours eurosceptiques.

En France, les travailleurs détachés comblent une demande non pourvue de travail dans des secteurs qui ont du mal à recruter. En 2014, 37 % des travailleurs détachés en France travaillaient dans le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP), 26 % pour des entreprises d'intérim, et 18 % dans l'industrie. Or environ 40 % des entrepreneurs du BTP disaient avoir du mal à recruter jusqu'en 2015 ! Depuis cette date, avec la diminution du nombre de chantiers, et donc la baisse du recrutement, le problème s'amoindrit.

Le discours de ceux qui voudraient supprimer la directive relative aux travailleurs détachés est un non-sens, qui aurait, s'il était appliqué, des conséquences dramatiques pour les salariés européens.

La réforme d'avril 2014 a permis d'accentuer les contrôles pour lutter contre les abus. Dorénavant, les grosses entreprises du BTP ne peuvent plus se cacher derrière leurs sous-traitants. Dans le secteur de la construction, les donneurs d'ordre et leurs sous-traitants sont tenus co-responsables si une fraude est constatée. Mais nous aurions voulu que cette co-responsabilité soit appliquée dans tous les secteurs, notamment l'agro-alimentaire et le transport.

Cette réforme n'a pas encore pu porter tous ses fruits, puisque les États membres ont jusqu'à juin 2016 pour la traduire dans leur droit national. Certains d'entre eux – surtout ceux d'où proviennent la majorité des travailleurs détachés en Europe – avaient demandé que la Commission attende au moins que tous les États aient transposé la réforme de décembre 2013 avant d'en proposer une autre. C'était du chantage.

Nous nous réjouissons, au Parlement européen, que la Commission ait publié une proposition de réforme en mars 2016. Mais cette proposition, qui a fait beaucoup de bruit, va-t-elle vraiment régler le problème ?

Vu de France, où le gouvernement Valls a pris ces deux dernières années des mesures allant bien au-delà des règles européennes en matière de lutte contre les abus en matière de détachement des travailleurs, la proposition de la commissaire Marianne Thyssen n'apporte pas grand-chose. Par exemple, le détachement est limité à deux ans, mais, dans les faits, il se limite déjà en moyenne à 45 jours en France, et à moins de quatre mois en Europe…

En outre, on essaye d'aller vers le principe « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail », mais la démarche reste très floue, le texte n'évoquant que la « rémunération nécessaire à la protection des salariés ». La Commission tente ainsi d'imposer le fait que les travailleurs détachés se voient garantir les mêmes conditions salariales que les travailleurs locaux, par exemple le treizième mois, mais sa position manque de clarté. Qu'est-ce qu'une « rémunération adéquate » ? S'agit-il réellement d'une rémunération garantissant une vie décente dans le pays de résidence ?

La proposition de révision prévoit aussi d'imposer le respect des conventions collectives dans tous les secteurs, et non plus dans certains secteurs seulement. En outre, les agences d'intérim devront respecter les mêmes règles que les autres en cas de détachement. Nous soutiendrons donc cette proposition qui va dans le bon sens, mais le vrai problème est celui des contrôles.

C'est pourquoi nous appelons à la création d'un corps européen d'inspecteurs du travail. Le contrôle doit être élargi à tout ce qui permet de déterminer le caractère digne d'un travail effectué sur le sol européen.

Sur le terrain, j'ai rencontré nombre de routiers qui dorment dans leur cabine. Pouvons-nous accepter en 2016 de telles conditions de travail, alors même que le critère de logement digne n'est pas respecté ?

On observe que la sous-traitance est également utilisée pour contourner les règles de santé et sécurité au travail. C'est un scandale, alors que vingt-quatre directives européennes sur la santé et la sécurité au travail sont en vigueur !

La directive sur le travail détaché mérite d'être refondée sur trois piliers : salaire minimum européen, assurance chômage et couverture universelle européenne, contrôles accrus. Ne réduisons pas le débat aux clichés sur le plombier polonais !

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