Intervention de Général Grégoire de Saint-Quentin

Réunion du 1er juin 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Grégoire de Saint-Quentin, commandant du commandement des opérations spéciales :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, comme vous pouvez l'imaginer, c'est pour moi un très grand honneur d'être avec vous ce matin. Si cette audition a pour objet premier de faire le point sur l'état d'avancement du renforcement des forces spéciales annoncé par le Livre blanc et programmé la LPM, je voudrais néanmoins commencer par un rapide survol de l'évolution des forces spéciales depuis la création du COS en 1992. Cela me paraît important pour fixer les esprits et donner quelques points de repères.

Conséquence des principaux enseignements de la guerre du Golfe, la création du commandement des opérations spéciales en 1992 prenait acte de l'incapacité de la France à mener des actions spéciales de niveau opératif, alors même que l'armée française disposait d'unités capables de le faire. Cette création visait en premier lieu à promouvoir leur emploi.

Il s'agissait, dans ce domaine spécifique, de créer les conditions d'une interopérabilité maximale entre les unités de forces spéciales des trois armées, et de favoriser l'émergence d'une culture commune se superposant, sans les dissoudre, aux cultures d'armées.

Depuis un quart de siècle, au gré d'engagements opérationnels nombreux sur tous les théâtres d'opérations, l'emploi des forces spéciales françaises s'est progressivement affiné et étoffé, passant d'un modèle d'emploi ponctuel à celui de campagnes structurées menées par une composante d'opération spéciale de niveau opératif, c'est-à-dire au niveau d'un théâtre d'opérations.

Plus particulièrement, au cours des trois dernières années, les forces spéciales ont connu des mutations importantes et des avancées opérationnelles significatives qui résultent, pour une grande part, de leur engagement toujours plus intensif dans la lutte contre le terrorisme. Elles ont dû s'adapter et relever de nombreux défis opérationnels beaucoup plus durs et hautement dynamiques.

Elles jouent aujourd'hui un rôle majeur dans notre dispositif de défense. Le Livre blanc de 2013 et la loi de programmation militaire 2014-2019 l'avaient d'ailleurs bien identifié ; l'évolution de la situation internationale ne l'a pas démenti, bien au contraire. Face à des adversaires organisés en réseaux agissant de manière décentralisée, utilisant des modes d'action asymétriques dans un cadre transnational anarchique dans des États défaillants, les forces spéciales constituent une réponse tout à fait adaptée, et leur renforcement était bien une nécessité qu'il faut soutenir dans la durée.

Le renforcement des forces spéciales a été lancé par les armées dès l'approbation de la LPM par le Parlement au travers du projet « Forces spéciales 2017 ». Il s'est organisé selon trois axes majeurs auxquels chacune des armées a apporté, de façon très volontariste, sa contribution propre :

– l'augmentation des moyens de commandement pour accroître notre capacité à anticiper, planifier et conduire des opérations spéciales ;

– l'amélioration et la fiabilisation des capacités détenues pour mieux répondre aux contrats opérationnels actuels ;

– l'élargissement des ressources et des capacités pour s'adapter aux nouvelles menaces et tenir dans la durée.

S'agissant du premier axe, je dois souligner qu'en dépit de la trajectoire de déflation sur laquelle les armées étaient complètement engagées au début de la période et qui s'est traduite par une rationalisation importante des structures de direction et de commandement, l'état-major du COS a bénéficié d'un effort significatif, qui l'a vu accroître sa ressource de 30 %. Ce renforcement a permis d'accroître significativement nos capacités d'analyse, d'anticipation et de conception de modes d'action, face à une menace terroriste de plus en plus agressive. Il nous permet également de consacrer une ressource plus large et plus compétente au développement capacitaire des forces spéciales, condition sine qua non de la consolidation de l'outil. Enfin, le dialogue que le COS entretient avec les armées, directions et services, se place au bon niveau.

L'armée de terre, quant à elle, a érigé les forces spéciales terre (FST) en capacité clef, regroupées au sein d'un commandement qui sera créé le 23 juin prochain. Au début de l'année 2016, 75 % du renforcement des effectifs des FST était déjà réalisé. Au renforcement quantitatif des 13e RDP et du 1er RPIMA, s'est ajouté un effort particulier sur la maintenance des hélicoptères du 4e RHFS avec le transfert puis la consolidation d'une structure de maintenance dédiée. Au-delà, l'armée de terre a également développé un concept novateur au travers du Groupement d'appui aux opérations spéciales (GAOS), qui identifie des unités conventionnelles partenaires des forces spéciales. Il s'agit d'un vivier de personnels sélectionnés et entraînés, appartenant à huit régiments différents de l'armée de terre, dont les capacités d'appui intéressent tout particulièrement les forces spéciales – je pense au génie, à la guerre électronique, à la cartographie, aux explosifs, aux moyens cynophiles ou encore aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC). Je soutiens tout particulièrement ce type d'approche pragmatique, qui poursuit une logique que je défends depuis trois ans : il faut souvent plus que des forces spéciales pour faire des opérations spéciales.

La marine, de son côté, s'est inscrite dans une manoeuvre en deux temps. Tout d'abord, un premier temps de consolidation structurelle interne à la Force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO), qui s'est traduit par la création, au 1er septembre 2015, du commando d'appui aux opérations spéciales, le commando « Ponchardier ». Dans le même temps, la marine, à l'instar des autres armées, a contribué significativement au renforcement des effectifs de l'état-major du COS. En fait les trois armées y ont contribué.

Le deuxième temps, dont les modalités sont toujours à l'étude au sein de la marine nationale, découle de la montée en puissance des matériels majeurs spécifiques marine, comme le programme d'embarcation commando à usage multiple embarquable, « ECUME », dont quinze ont déjà été livrées. Ce programme vise à renouveler et à moderniser la capacité d'action des commandos marine en haute mer et de la mer vers la terre. ECUME est un vecteur qui permet d'effectuer un bond capacitaire majeur aux forces spéciales « Mer », en particulier s'agissant des élongations, de la mise en oeuvre d'armement d'appui, des capacités d'emport accrues, de la mise en oeuvre par les bâtiments de surface majeurs de la marine, et d'aérolargage. Il ne s'agit pas d'une simple embarcation de commando, mais d'un véritable système d'arme.

Répondant tout d'abord au besoin de renforcement des capacités des forces spéciales, l'armée de l'air s'est engagée en lien avec l'armée de terre dans un processus de certification « forces spéciales » de l'escadron d'hélicoptères « Pyrénées » (l'EH 01.067). Depuis janvier dernier, l'armée de l'air est en mesure de mettre à disposition du COS une capacité initiale constituée d'un plot de deux Caracal, au plus, avec ses deux équipages qualifiés forces spéciales, pour une durée limitée dans le temps. L'objectif est qu'à partir de 2017, elle soit apte à la projection de deux Caracal sans limitation de durée (personnel, matériels, soutiens…). Cet escadron apportera au COS une capacité de ravitaillement en vol aujourd'hui inexistante, qui ouvrira donc un mode d'action complémentaire.

L'escadron de transport « Poitou », qui connaissait un déficit de ressources humaines, est aujourd'hui pratiquement à effectif nominal. S'agissant du Commando parachutiste de l'air n° 10 (CPA 10), il est encore en sous-effectifs, particulièrement s'agissant des militaires du rang. L'armée de l'air, dans le cadre du projet « ProDef XXI », travaille à réorganiser ses commandos parachutistes, à Orléans en particulier. Cette réorganisation doit notamment renforcer l'attractivité du métier, et donc augmenter le vivier qui alimente les flux vers les forces spéciales.

En parallèle, et selon une logique similaire à celle développée par l'armée de terre, la contribution de l'armée de l'air aux opérations spéciales est complétée par des modules capacitaires d'appui aux opérations spéciales détenus au sein d'unités conventionnelles dites « partenaires », comme le 25e régiment du génie de l'air et l'escadron de drones « Belfort ». L'ensemble des autres capacités de l'armée de l'air peut également intervenir en appui d'une opération spéciale grâce aux compétences développées et standardisées par des unités dites référentes, et je pense notamment au Régiment de chasse « Normandie-Niemen », qui nous aide à faire évoluer nos capacités d'appui feu et d'appui de nos commandos par l'aviation de chasse.

Concernant le renforcement capacitaire, je commencerai par la question des C-130, qui concerne les forces spéciales à plusieurs titres.

Premièrement, la modernisation de la flotte de C-130 permettra de répondre aux obligations de l'aviation civile à l'horizon 2020, sans quoi nos aéronefs ne pourraient plus décoller. Huit des quatorze C-130 bénéficieront dans le même temps d'améliorations substantielles de leurs capacités tactiques, dont notamment l'amélioration de leur autoprotection, de leurs capacités de communication, de leur aptitude à la navigation très basse altitude sous faible visibilité, avec des capacités de détection infrarouge. Si la notification du contrat intervient bien à l'automne 2016, ces huit appareils devraient être livrés entre 2019 et 2022. Après le retrait programmé des Transall, cela permettra d'éviter une régression capacitaire des forces spéciales.

Deuxièmement, le retour d'expérience des dernières opérations milite pour que le capteur à longue endurance qu'est aussi le C-130 soit équipé pour permettre l'appui feu des troupes amies et l'engagement de cibles dynamiques.

Troisièmement, l'arrivée des deux C-130J ravitailleurs en 2019 au sein de la composante transport de l'armée de l'air, conjuguée aux capacités de ravitaillement en vol du Caracal, offrira aux forces spéciales une allonge significative et de nouvelles capacités de pénétration prometteuses. Pour ce qui est de la mobilité et du combat terrestre, dans le cadre d'un programme à effet majeur, l'arrivée des 25 premiers poids lourds forces spéciales fin 2016 dans un premier standard permettra de disposer de véhicules de combat modernes et spécifiquement élaborés pour répondre véritablement aux besoins des forces spéciales.

En effet, dans ce domaine, nous connaissons une fragilité depuis déjà plusieurs années, alors même que la quasi-totalité de nos engagements sont réalisés en milieu aéroterrestre. À titre d'illustration, la task force Sabre, actuellement engagée au Sahel, a dû adapter ses cinq dernières opérations motorisées en milieu désertique pour tenir compte de la fragilité actuelle de ses véhicules. Cette situation était anticipée depuis un certain temps, ce qui a justifié la forte priorité demandée par le COS sur ce programme à la fois en LPM et lors de son actualisation de l'an passé. Les enjeux de ce programme sont multiples : il s'agit d'abord de remplacer un parc de véhicules parfois très anciens (Peugeot P4 et véhicules légers de reconnaissance et d'appui), peu nombreux, usés et hétérogènes entre les trois composantes d'armées. En outre, avec ces véhicules conçus dès l'origine pour les forces spéciales, nous connaîtrons un bond qualitatif opérationnel indéniable du fait de capacités d'emport adaptées aux besoins de groupes lourdement équipés, et de l'agencement des équipements à bord réellement pensé pour le combat. Enfin, le soutien d'un parc unique en sera plus aisé. Ceci contribuera directement à la réduction de notre empreinte logistique, qualité essentielle des forces spéciales. L'ensemble des acteurs l'état-major des armées, le COS, les armées et la DGA sont mobilisés pour tenir les spécifications et les échéances telles qu'elles ont été prévues, et qui répondent à l'urgence de nos engagements.

Cette LPM sera également l'occasion de faire porter un effort sur notre capacité au combat de nuit, qui caractérise la plupart de nos engagements opérationnels. Le parc actuel de jumelles de vision nocturne (JVN) est actuellement obsolète, hétérogène et incomplet. Qui plus est, il subit des conditions très abrasives sur le terrain. Enfin, cette technologie se répandant assez rapidement et n'étant plus l'apanage des seules nations occidentales, le maintien de notre supériorité suppose de pouvoir rester constamment au niveau des dernières évolutions technologiques : miniaturisation, niveau de définition, champ large, etc. Les trois armées sont concernées. Depuis 2014, nous avons entrepris de remplacer l'ensemble de nos JVN par des matériels plus performants. En ce qui concerne le segment hélicoptère, qui est une dimension majeure des opérations spéciales, le regroupement de la flotte Caracal a été acté par les armées, conformément à l'actualisation de la LPM, et six NH90 commandés. Ce regroupement repose sur la faculté à équiper rapidement le 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales de machines de dernière génération telles que le NH90. Un tel appareil est indispensable pour assurer la mise au bon niveau d'exigence et de capacité du COS pour les quinze prochaines années. Le besoin est de l'ordre de 24 appareils, ce qui pourrait par ailleurs correspondre aux besoins d'autres pays étrangers. Pour répondre aux exigences d'une opération spéciale, il est néanmoins nécessaire de compléter les capacités dont dispose cet hélicoptère, qui n'a pas été développé initialement pour cette finalité. Cela suppose de procéder à plusieurs évolutions concernant, sans être exhaustif, l'avionique, les communications, l'armement ou encore l'ajout d'équipements optionnels pour l'aérocordage. Ce dossier, qui n'est pas encore abouti, revêt à mes yeux une importance particulière, car doter le 4e RHFS d'un même parc de machines adaptées à sa mission, afin de pouvoir procéder ensuite au regroupement des Caracal au sein de l'EH 1.67 « Pyrénées », accroîtra considérablement l'aéromobilité des forces spéciales et permettra d'homogénéiser les flottes, ce qui est un gage d'efficacité.

Enfin, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser à vous pour évoquer les drones de surveillance de théâtre, qui n'appartiennent pas aux forces spéciales, car les opérations menées par le COS ne peuvent pas être conduites sans moyens modernes de surveillance et de renseignement, dits ISR. Depuis 2013, où les capacités en la matière se résumaient à deux systèmes de drone MALE Harfang largement utilisés en Afghanistan, un saut considérable a été accompli avec l'entrée en service du MQ9 Reaper. En plus d'être des outils de cohérence interarmées, ces moyens constituent de véritables démultiplicateurs d'efficacité et une technologie de rupture en opération. Les forces spéciales consomment 80 % des heures de potentiel Reaper et le besoin ne cesse de croître.

Avant de conclure, je redirai que les forces spéciales, comme le Livre blanc le soulignait déjà, continuent de s'imposer comme une capacité de premier plan. À cet égard, le développement de programmes majeurs tels que celui du véhicule forces spéciales, lancé en 2015, constitue un signe très encourageant. En effet, il témoigne de la capacité à intégrer les besoins des forces spéciales dès les premières réflexions relatives au développement d'un programme d'armement. C'est un gage de maîtrise des ressources financières, car cela évite probablement des adaptations coûteuses ultérieures.

En termes capacitaires, les défis à relever restent encore nombreux et variés. Ils découlent d'une part de la nécessité à être capable de s'infiltrer vite, loin et en toute discrétion, sur tout type de théâtre. Cela touche évidemment l'aéromobilité – hélicoptères, avions – et l'infiltration en parachute.

D'autre part, le renforcement de la capacité de contrôle et de commandement, le C2, constituera davantage encore à l'avenir un des facteurs d'efficacité et d'efficience du COS. En effet, le C2 conditionne la robustesse de notre système de commandement et la capacité du COS à décider puis à agir vite grâce à une circulation des informations et des ordres à la fois rapide, large et hautement sécurisée.

Enfin, est aussi posé aux armées et au COS le défi de la faculté d'adaptation des forces spéciales, qui doivent pouvoir faire évoluer leurs capacités à un rythme compatible avec l'évolution des menaces et des théâtres d'opération. Nous réfléchissons, au sein du ministère, aux adaptations nécessaires pour pouvoir acquérir des équipements plus rapidement, et pour certains de manière plus discrète, afin de maintenir une supériorité opérationnelle dans un contexte général de prolifération des technologies et des équipements militaires ou duaux.

Pour conclure, les armées ne ménagent pas leurs efforts pour que leurs forces spéciales puissent répondre à de nombreux défis opérationnels. Les forces spéciales constituent un outil performant, reconnu par nos pairs, qui a atteint une maturité indéniable. Elles répondent au quotidien à la confiance placée en elles grâce à des hommes et des femmes capables de mener des opérations délicates, précises, discrètes, souvent audacieuses et courageuses. Et je puis témoigner de ma fierté à les commander en opération.

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