Intervention de Philippe Gomes

Réunion du 8 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes, rapporteur :

J'ai été chargé par la commission de présenter un projet de loi qui vise à l'approbation de l'accord signé avec la Nouvelle-Zélande sur le statut des forces en visite et la coopération en matière de défense. Il a été signé à Singapour à l'occasion du Shangri-La Dialogue le 31 mai 2014. Sur le plan juridique, cet accord vise à combler une lacune : il n'y a avait pas de cadre juridique global pour la coopération militaire avec la Nouvelle-Zélande jusqu'à ce jour, alors même qu'elle se développe beaucoup. Il fallait donc obtenir des autorisations spécifiques pour chaque action entreprise. Le principal enjeu était de donner un statut protecteur aux militaires français présents sur le territoire néo-zélandais dans le cadre de ces actions de coopération. Sur le plan politique, cet accord a une portée bien plus large. Il permet, en renforçant notre relation bilatérale avec la Nouvelle-Zélande, de mieux asseoir la légitimité de la France comme nation du Pacifique.

La Nouvelle-Zélande est en en effet un partenaire essentiel pour la France dans le Pacifique Sud. Car la France est un acteur du Pacifique ; cet aspect est bien trop souvent négligé ou mal connu de nos compatriotes. Elle y a trois de ses territoires et près de 700 000 de ses ressortissants. La région du Pacifique concentre des enjeux fondamentaux pour la sécurité internationale : protection des routes maritimes essentielles pour le commerce international, gestion des ressources maritimes – ressources halieutiques et ressources du sous-sol, lutte contre les trafics et la piraterie, enjeux liés au réchauffement climatique dont les effets sont particulièrement graves pour les petits États insulaires du Pacifique. Ces derniers ont d'ailleurs fait entendre leur voix lors de la COP 21 et la France les y a aidés en organisant le quatrième sommet France-Océanie quelques jours auparavant.

Les moyens sont limités pour faire face à ces enjeux. Les capacités militaires de la France sont, pour l'essentiel, celles des forces armées françaises en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, lesquelles n'ont pas été épargnées par les mesures de restriction budgétaire. Nous avons actuellement 1500 militaires environ en Nouvelle-Calédonie, entre un régiment d'infanterie de marine, la base navale de Nouméa et la base aérienne de Tontouta. En Polynésie française, nous avons environ 1000 militaires, dont la plupart sont affectés à la base navale de Papeete, mais aussi au sein d'un détachement terre et d'un détachement air.

Il y a peu de partenaires sur lesquels la France peut s'appuyer dans la région : l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Il faut d'ailleurs noter que la France est le seul pays de la région à être à la fois un acteur mondial et un acteur régional. La Nouvelle-Zélande est ainsi un partenaire clé pour nous dans le Pacifique sud. Elle est située à proximité immédiate de la Nouvelle-Calédonie : 1700 km, une distance particulièrement raisonnable dans le Pacifique. Elle partage nos préoccupations et nos valeurs. Le général Léonard, commandant supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie, que nous avons contacté au sujet de cet accord, a indiqué que la Nouvelle-Zélande était un allié incontournable en Océanie avec laquelle nous partageons « les mêmes visions et préoccupations en matière de risques sécuritaires, notamment maritimes ». Elle est intervenue à plusieurs reprises dans la région, souvent en partenariat avec l'Australie, aux Salomon de 2003 à 2013 pour une opération de sécurité intérieure dans le cadre de ce qu'on appelle la RAMSI, à Tonga en 2006 et au Timor Oriental de 2007 à 2012. La Nouvelle-Zélande est un partenaire à notre taille dans cette région. Elle a une ambition essentiellement océanienne. Rappelons-le, il s'agit d'un petit pays de 4 millions d'habitants. Elle a un outil de défense dimensionné à cet ambition – 9000 militaires d'active – mais rénové et cohérent. En outre, ses capacités sont complémentaires aux nôtres. Par exemple, les avions des forces armées françaises en Nouvelle-Calédonie (FANC), des Casa, peuvent atterrir sur des aérodromes auxquels les forces aériennes néo-zélandaises ne peuvent accéder. Enfin, la page un peu négative des relations entre la France et la Nouvelle-Zélande – avec les essais nucléaires français dans le Pacifique et la regrettable affaire du Rainbow Warrior – est aussi bel et bien tournée.

Nous avons développé avec la Nouvelle-Zélande une coopération de défense de large spectre, et qui ne cesse de se renforcer. C'est d'abord un dialogue politico-militaire. Nos deux pays participent au dialogue de sécurité conduit dans le cadre du Shangri-La Dialogue qui se réunit chaque année à Singapour. Sur le plan bilatéral, nos ministres de la défense et chefs d'état-major se réunissent chaque année ; la dernière rencontre a eu lieu à Wellington au mois de mars dernier. Enfin, un dialogue de sécurité des ministres de la défense du Pacifique Sud a été mis en place en 2013. Il réunit la France, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga et le Chili. Sur le plan opérationnel, la coopération est surtout mise en oeuvre par les FANC dans le cadre de deux dispositifs essentiels dans cette région. L'accord FRANZ rassemble l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la France et vise à coordonner les interventions en réponse aux catastrophes naturelles, fréquentes dans cette région. Ce mécanisme a été activé pour les cyclones à Tonga en 2014, au Vanuatu en 2015 et à Fidji en 2016. Le dispositif QUAD réunit les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la France depuis 2002 ; il a trait aux problématiques de sécurité maritime. Notre coopération avec la Nouvelle-Zélande porte également sur le renseignement ; nous avons signé en 2013 un accord de sécurité bilatéral qui nous permet d'échanger des informations classifiées. Nous avons une coopération d'armement : la Nouvelle-Zélande a acheté 9 hélicoptères NH90, il s'agit du plus gros contrat d'armement jamais conclu par ce pays. Enfin, notre coopération porte aussi sur la commémoration de la Première guerre mondiale. Notre Premier ministre, en visite officielle en Nouvelle-Zélande le mois dernier, a rendu hommage aux 18 500 soldats néo-zélandais qui y ont laissé leur vie ; près de 100 000 d'entre eux sont venus défendre les libertés dans notre pays. La commémoration du centenaire de la bataille de la Somme sera un moment fort pour nos deux pays cette année.

Quels sont les apports de l'accord de coopération soumis à l'examen de la commission. C'est un accord au fond assez classique, dont la première partie est relative au champ et aux modalités de la coopération. Ce champ est vaste ; il exclut simplement les escales des bâtiments de la marine militaire française qui doivent faire l'objet de demandes spécifiques. Il en va de même pour la quasi-totalité des marines de la planète. La deuxième partie de l'accord instaure un statut protecteur et réciproque en cas de visite d'une force sur le territoire de l'autre partie. Traditionnellement, sont abordées les questions juridictionnelles, facilités opérationnelles, questions relatives aux soins médicaux, au règlement des dommages etc. Concrètement, ce texte offre un statut plus protecteur aux forces françaises en visite sur le territoire de la Nouvelle-Zélande. En outre, l'organisation et la planification des actions de coopération bilatérales s'en trouveront facilitées, en particulier dans les contextes d'urgence. C'est d'ailleurs la spécificité de cet accord que de prévoir un article dédié à la problématique de l'aide d'urgence (article 13). Il prévoit la manière dont la Nouvelle-Zélande et la France interviennent en situation de catastrophe naturelle, soit sur le territoire de l'une ou l'autre partie, soit conjointement sur celui d'un Etat tiers qui les a sollicitées en ce sens. Enfin, ce texte donne une nouvelle visibilité politique à notre partenariat avec la Nouvelle-Zélande dont on peut attendre quelques retombées positives, en matière d'armement par exemple. Le Livre Blanc de la défense néo-zélandaise doit paraître aujourd'hui et devrait prévoir des renouvellements qui pourraient bénéficier aux industriels français : renouvellement de la flotte d'avions de transport et rétrofit des frégates, par exemple.

Sur le plan politique, cet accord nous permet, en approfondissant notre coopération avec la Nouvelle-Zélande, de renforcer notre ancrage dans le Pacifique Sud. Le rythme de nos échanges avec cette région s'est intensifié. Manuel Valls était à Wellington début mai et John Key sera à Paris le 14 juillet. Le ministre de la défense participe désormais systématiquement au Shangri-La Dialogue. Par ailleurs, la France a engagé des négociations en vue de conclure des accords de coopération militaires avec plusieurs États de la zone : Tonga, Fidji et le Vanuatu, qui sont des États importants dans la région. Il faut à présent entretenir cette dynamique. Nous pourrons profiter de la mise en oeuvre du contrat signé avec l'Australie pour les sous-marins, qui donnera l'occasion aux dirigeants français de se rendre plus fréquemment dans la région pour y défendre les intérêts de notre pays. Nous pourrions aussi envisager de donner une dimension politico-militaire au format FRANZ, par exemple en marge du prochain sommet France-Océanie qui se tiendra en 2018 en Polynésie française et qui pourrait permettre de rassembler les trois chefs d'Etat et de gouvernement français, australien et néo-zélandais. Par ailleurs, il serait bon de faire en sorte qu'un ministre français participe au Forum des îles du Pacifique ; ça a rarement été le cas et suscite la frustration des États du Pacifique. Hillary Clinton s'est elle-même déplacée en 2012, signe que les États-Unis accordent une attention renouvelée à cette région. Alain Juppé est le dernier ministre des affaires étrangères français à s'être déplacé à cette occasion, en 2011. Nous ne devons pas donner l'impression que la France se désintéresse de cette région.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont un rôle à jouer dans cette dynamique d'affirmation de la France, par leurs compétences et leurs apports propres à la stabilité de la région. J'ai saisi le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie au sujet de cet accord ; il a marqué son intérêt pour une coopération économique et politique renforcée avec la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont engagé depuis 2010 des démarches pour devenir membres à part entière du Forum des îles du Pacifique, qui est la principale organisation politique régionale, dont elles ne sont pour l'instant que membres associés. Elles bénéficient du soutien des premiers ministres australien et néo-zélandais ; John Key l'a affirmé lors de la conférence de presse tenue avec Manuel Valls à Wellington le mois dernier. Le nouveau Premier ministre du Vanuatu, un francophone, appuie également cette démarche. Il me semble donc que cette appartenance pleine et entière des collectivités françaises au Forum serait une bonne chose pour l'affirmation de la France dans le Pacifique.

En conclusion, cet accord ne présente que des avantages, sur le plan militaire comme sur le plan politique. La procédure est aujourd'hui à son terme : il a été ratifié par la Nouvelle-Zélande dès le mois d'octobre 2014. Conformément aux lois organiques, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ont été consultées sur ce projet qui a été soumis à leurs assemblées en avril et mars 2015, lesquelles ont donné des avis favorables. Enfin, le Sénat a approuvé cet accord au mois de février. Il est temps pour l'Assemblée de finaliser cette procédure.

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