Intervention de Pierre Hinard

Réunion du 8 juin 2016 à 18h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Pierre Hinard :

Je suis aussi un éleveur passionné. Et je sais que les animaux que j'élève seront consommés, donc abattus. C'est une étape qui peut être considérée violente par certains consommateurs, mais c'est un droit que j'octroie à l'homme, et c'est pour cela que je préconise une troisième voie entre celle qui consiste à ne plus manger de viande et celle qui consiste à se désintéresser complètement du mode de production et d'abattage et de la condition animale – vive l'industrialisation, tout va bien et on se fout du reste… Je soutiens qu'il y a une voie de sagesse : il faut élever moins, élever bien, donner à l'animal une vie décente et avoir envie de partager sa vie.

Certes, nous savons que nous allons décider à un moment donné d'une fin, mais c'est aussi le cas dans la nature. J'observe des animaux qui ne sont pas élevés pour être abattus, et parfois leurs fins de vie ne sont pas heureuses. Les fins de vie, quelles qu'elles soient, ne sont pas idylliques. Dans le cas de l'élevage, nous fixons une date butoir pour une consommation ; il faut que ce soit fait dans le respect de l'animal, en ayant conscience que c'est un être sensible auquel on doit du respect, d'autant plus que nous allons le consommer.

Cette troisième voie consiste à élever un animal en respectant ses besoins physiologiques : il doit être élevé en plein air et avoir une vie soutenable. Lors de l'abattage, il faut intervenir en amont, c'est-à-dire limiter le stress dans les transports et durant l'amenée jusqu'au piège au poste de tuerie. Nous sommes dans une société moderne, les moyens existent. L'innovation est possible, c'est le refus d'investir qui la limite. Faisons l'investissement !

L'autre voie possible, notamment pour les filières qualité, serait de permettre l'abattage à la ferme, comme en Suisse ou au Canada. C'est totalement interdit aujourd'hui, alors que ce sont les conditions idéales pour limiter le stress de l'animal. Certes, il n'est pas question de se contenter de donner un coup de masse pour assommer l'animal et de le saigner à la ferme, mais il est possible qu'un camion d'abattage, un abattoir ambulant se déplace à la ferme. Ce sont les conditions idéales pour la qualité de la viande, parce que l'animal n'a jamais été stressé, et il reste dans son milieu jusqu'au moment où il est étourdi et assommé. C'est vraiment important.

Une troisième voie est donc possible. Mon propos n'est pas de condamner tout ce qui est transformation, commercialisation et consommation de la viande, tout d'abord parce que je suis éleveur, et je suis conscient qu'il y a moyen de faire autrement. Je le fais d'ailleurs déjà aujourd'hui.

Il m'a fallu commencer à réinventer une autre vie puisque l'on m'empêche d'exercer mon métier. C'est le paradoxe insupportable des lanceurs d'alerte : nous ne sommes pas indemnisés, nous ne sommes pas protégés, et celui qui doit virer et disparaître dans l'histoire est celui qui a amené l'information, qui a révélé et qui a fait respecter la loi, et non pas le fraudeur, l'industriel qui a été pris en flagrant délit. Lors d'une précédente commission parlementaire sur les lanceurs d'alerte, M. de Courson disait qu'il faudrait faire en sorte que ce soit le fraudeur qui soit contraint de laisser la direction de l'entreprise, qu'il soit indemnisé, et qu'il ne soit plus actionnaire et ne puisse plus gérer l'entreprise. Ce serait normal. Ce n'est pas au lanceur d'alerte d'être brûlé sur la place publique ; pourtant c'est ce qui se passe aujourd'hui.

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